Voici pourquoi 2023 est l’année de tous les records climatiques

En raison des changements climatiques, les ours polaires doivent désormais parcourir de nombreux kilomètres pour se nourrir, loin de leur territoire. (Photo d’archives/Reuters/Ho New)

Jamais le climat ne s’est autant déréglé qu’en 2023. Aux records de chaleur, battus au fil de l’année, s’ajoutent des écarts de température et des événements météorologiques extrêmes comme la planète en a rarement connu. Alors que tous les indicateurs sont au rouge, l’année qui s’achève – la plus chaude de l’histoire – donne un aperçu des phénomènes irréversibles qui se produiront si l’humanité poursuit sur sa lancée, au-delà du seuil limite de réchauffement de 1,5 °C.

Si les climatologues anticipaient une année très chaude, ils ne s’attendaient pas à ce que nous a réservé 2023. D’un bout à l’autre de la planète, les records de température sont tombés les uns après les autres, particulièrement depuis le mois de mai.

Au sortir d’un été record, pendant lequel juillet est officiellement devenu le mois le plus chaud jamais enregistré, nous avons battu des records également en octobre et en novembre. Ce dernier mois a ainsi été le septième mois le plus chaud d’affilée cette année.

En raison de cette tendance, l’humanité frôle désormais le seuil symbolique que la communauté internationale s’est pourtant engagée à respecter, soit de limiter la température moyenne à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels.

De janvier à novembre, la température enregistrée sur le globe n’a jamais été aussi élevée : elle se situait à 1,46 °C au-dessus des niveaux préindustriels, soit 0,13 °C de plus qu’en 2016, l’année qui était jusqu’ici la plus chaude de l’histoire.

Pour la première fois, la température moyenne a même grimpé temporairement au-delà de la marque des 2 °C, allant ainsi à l’encontre de l’objectif inscrit à l’Accord de Paris et auquel 196 pays ont adhéré.

« On vient de vivre toute une année d’un point de vue météorologique », résume le climatologue Philippe Gachon, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et chercheur au Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale.

Nous sommes entrés dans une période où on n’a jamais vu des températures aussi élevées que ce qu’on a observé pendant ce qu’on appelle le maximum holocène, il y a 6000 ans. – Philippe Gachon, spécialiste de l’hydroclimatologie et professeur au Département de géographie de l’UQAM

Le thermomètre a atteint des niveaux inégalés, de l’Amérique du Nord à l’Asie du Sud-Est en passant par le sud de l’Europe et le nord de l’Afrique.

En Chine, la température a monté jusqu’à 52 °C dans une commune isolée de la région ouïghoure du Xinjiang, dans le nord-ouest du pays, tandis que la ville de Phoenix, dans l’État de l’Arizona, a enregistré une série de 31 jours d’affilée à plus de 43 °C.

Le 16 juillet, la vallée de la Mort, en Californie, s’est approchée du record mondial de chaleur, lorsque la température a atteint 53,3 °C. La température la plus chaude de l’histoire a été enregistrée dans cette même région, à Furnace Creek, en juillet 1913 : le mercure avait alors grimpé à 56,7 °C.

La chaleur extrême a forcé les résidents de l’Arizona à trouver tous les moyens possibles pour se rafraîchir. (Reuters)

Les pays du bassin méditerranéen ont quant à eux été frappés par d’importantes canicules au cours de l’été, forçant plusieurs villes d’Italie, de Grèce, de France et d’Allemagne à déclencher des alertes de santé publique. Plus au sud, la température d’Agadir, au Maroc, a dépassé pour la première fois les 50 °C.

« Nous avons connu une année record en termes d’anomalies chaudes », souligne Philippe Gachon.

Alors que s’établissaient ces records, l’écart s’est quant à lui creusé entre les moyennes enregistrées à la surface de la Terre et celles qui sont documentées depuis 1850.

Des phénomènes amplifiés par les changements climatiques

Dès le mois de mai, presque toutes les régions au Canada ont connu d’importantes anomalies par rapport à la période de référencement allant de 1991 à 2020. Une sécheresse exceptionnelle et des températures anormalement chaudes ont été observées dans le nord du pays.

Au printemps, l’Ouest a connu des températures au-dessus de la moyenne, tandis que le scénario s’est répété en été dans le nord-est du Québec.

Des dizaines de milliers de Canadiens ont dû quitter leur domicile à un moment donné, cette année, à cause des feux de forêt. (Radio-Canada/Carla Ulrich)

Ces conditions ne sont pas étrangères à la saison record de feux de forêt qu’a connue le Canada cette année.

Près de 18,5 millions d’hectares de forêt ont été incendiés au pays en 2023. L’ampleur des brasiers était telle que la qualité de l’air a été compromise dans certaines régions en raison de la fumée, fortement concentrée en particules fines, et que le ciel a tourné à l’ocre et à l’orangé, de Calgary à New York.

La saison, plus longue que les moyennes, a débuté tôt dans l’année. L’Alberta a vu les premiers feux se déclencher aussi tôt qu’à la fin avril, période où l’on trouve habituellement encore de la neige au sol. Cette année, toutefois, le thermomètre affichait près de 30 °C, et le temps très sec et venteux était au rendez-vous.

Les grands feux ont brûlé pendant des semaines, voire des mois, et ont été combattus par des pompiers appelés de partout au pays et d’ailleurs dans le monde. Les spécialistes des feux ont en outre été surpris de voir les incendies brûler de vastes pans de forêt d’ouest en est, dans des régions d’ordinaire épargnées, comme la Côte-Nord (au Québec) ou la Nouvelle-Écosse (dans les Maritimes).

Au début du mois d’août, les regards se sont tournés vers Hawaï, où les pires feux de forêt de l’histoire de l’archipel ont fait plus d’une centaine de morts et réduit en cendre une bonne partie de la ville touristique de Lahaina, sur l’île de Maui. Ce triste bilan en fait l’incendie le plus meurtrier à avoir frappé les États-Unis en plus de 100 ans.

Un feu de forêt a détruit la ville de Lahaina à Hawaï au moins d’août. (Reuters)

De l’autre côté de l’océan, la Grèce, l’Italie et l’Espagne ont aussi dû faire face à une difficile – quoique moins dévastatrice que celle de 2022 – saison des feux de forêt. Des incendies se sont aussi déclenchés dans des pays habituellement épargnés par de tels feux, dont la Lituanie et l’Estonie.

Dans le Maghreb, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, en proie à des canicules, ont également dû combattre des brasiers.

Les grands épisodes de sécheresse et de chaleur peuvent aussi créer les conditions propices aux inondations, puisque le sol asséché peine à absorber l’eau. Dans la corne de l’Afrique, cinq saisons consécutives de sécheresses ont ainsi été suivies d’inondations au printemps, forçant les populations à se déplacer.

 La combinaison d’événements extrêmes qu’on a vue à travers le monde – canicules, chaleurs extrêmes, sécheresses, feux de forêt, précipitations extrêmes, inondations – a un peu pris de court la communauté scientifique. C’est un cumul exceptionnel de phénomènes et de records à travers la planète.Philippe Gachon, spécialiste de l’hydroclimatologie et professeur au Département de géographie de l’UQAM

Les changements climatiques s’accélèrent au moment où la quantité de gaz à effet de serre (GES) issus de nos activités continue d’augmenter, et même si les pays du monde entier se sont fixés des cibles de réduction de GES à l’horizon 2030.

Selon les plus récentes données, les trois principaux GES – le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O) – avaient atteint des niveaux records en 2022. D’après les données en temps réel obtenues jusqu’ici en 2023, la quantité de GES rejetés dans l’atmosphère a continué de s’accroître au cours de l’année, selon l’Organisation météorologique mondiale.

Au Canada, les changements climatiques auraient ainsi doublé les probabilités d’avoir les conditions propices au déclenchement des feux de forêt cet été, d’après les scientifiques du réseau World Weather Attribution.

Des indicateurs au rouge

Dans l’ombre des feux de forêt et des canicules records, la banquise de l’Antarctique a établi un record de petitesse cette année.

Après avoir atteint un record de fonte en plein été austral, le couvert de glace, qui se reconstitue habituellement au cours de l’hiver, s’est reformé à un rythme inhabituellement lent.

En septembre, la banquise a atteint son étendue maximale annuelle, avec 16,96 millions de kilomètres carrés, ce qui en fait « le plus bas maximum, d’après les relevés allant de 1979 à 2023, et de loin », selon le National Snow and Ice Data Center (NSIDC).

La mer est à un niveau record et jamais la banquise de l’Antarctique n’a affiché une surface aussi faible, a prévenu l’Organisation météorologique mondiale à la COP28, en décembre. (Jorge Saenz/AP Photo)

À l’autre bout du globe, l’Arctique a connu son été le plus chaud jamais documenté. Le couvert de la glace de mer a continué de baisser jusqu’à atteindre, à la mi-septembre, son sixième niveau le plus bas. En réaction à cette tendance, les experts de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (National Oceanic and Atmospheric Administration, ou NOAA) et l’Agence spatiale américaine (National Aeronautics and Space Administration, ou NASA) ont appelé à réduire les émissions de GES « à l’origine de ces changements ».

« Le retard de l’englacement dans le Nord est un symptôme du réchauffement qui est en train de s’amplifier, explique Philippe Gachon. L’anomalie de glace la plus importante dans le bassin Arctique se trouve d’ailleurs dans nos régions : dans la mer du Labrador et la baie d’Hudson.»

Le climatologue note aussi que les cycles entre le gel et le dégel se dérèglent et viennent bouleverser l’installation de l’hiver au pays. Le résultat : « Un hiver en soubresaut [avec] des systèmes météorologiques qui peuvent apporter à la fois de bonnes quantités de neige, mais aussi de bonnes quantités de pluie lorsqu’il fait plus de 0°C », résume-t-il, au moment même où l’espoir d’un Noël blanc s’amenuise.

Un autre facteur qui vient retarder la formation de la glace inquiète aussi les experts du climat : les océans accumulent de plus en plus de chaleur, en particulier l’Atlantique Nord.

Ce dernier, qui s’étend de l’Arctique à l’équateur, a connu en 2023 des anomalies records de la température à la surface et des vagues de chaleur marine.

Le gel et le dégel se dérèglent et viennent bouleverser l’installation de l’hiver au pays en plus d’engendrer de nombreux défis pour les communautés du Nord. (Chris Wattie/Reuters)

« Et ce n’est pas juste en surface, précise M. Gachon. On se rend compte que, dans l’océan, notamment Atlantique, on a du réchauffement qui est perceptible jusqu’à 2000 m de profondeur. »

Ce dérèglement n’a rien d’anodin. L’Atlantique, l’un des océans les plus menacés à long terme par le réchauffement climatique, joue un rôle majeur en tant que porte d’entrée, dans le nord-est, des systèmes météorologiques vers l’Arctique. «Plus l’Atlantique est chaud, plus il y a un apport de chaleur dans le Nord », indique Philippe Gachon.

Lorsqu’un océan se réchauffe, il devient le carburant qui propulse les ouragans et les tempêtes et leur permet de gagner en intensité.

Selon une étude publiée en octobre, les ouragans qui se forment dans l’océan Atlantique sont plus susceptibles de prendre de l’ampleur rapidement que ce qu’on observait il y a à peine quelques dizaines d’années. Ils peuvent désormais passer d’une faible tempête de catégorie 1 à un ouragan majeur de catégorie 3 en seulement 24 heures.

Comme les océans sont de plus en plus chauds, l’année 2023 a été marquée par des précipitations diluviennes et des typhons qui ont notamment touché le Japon et une partie de l’Indonésie. Le cyclone méditerranéen Daniel a quant à lui déversé des pluies torrentielles qui ont provoqué des inondations meurtrières en Libye. La catastrophe a coûté la vie à plus de 4000 personnes.

Le spectre d’El Niño plane sur 2024

Les experts du climat rappellent que l’année 2023 a été mouvementée, même si El Niño, qui a succédé en juin à une longue période de La Niña, n’a pas encore atteint son pic. Ce phénomène vient faire grimper les températures et est généralement associé à la sécheresse, aux fortes pluies et aux inondations.

El Niño et La Niña sont des courants marins de grande envergure dans le Pacifique équatorial qui influent, entre autres choses, sur la température à la surface de la mer, sur les précipitations et sur le régime des vents. Ils se développent habituellement d’avril à juin, avant d’atteindre leur puissance maximale entre octobre et février.

«Si El Niño, la plus grande superficie océanique d’anomalie chaude, se développe et s’intensifie au cours des prochains mois, ça va rajouter évidemment au réchauffement global», dit Philippe Gachon.

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El Niño a succédé en juin à une longue période de La Niña. (Earth NullSchool)

Au même rythme que le réchauffement s’accélérera sous l’effet de l’augmentation des concentrations de GES dans l’atmosphère, l’humanité assistera à des phénomènes météorologiques d’une intensité jamais vue, prévient le chercheur.

Plus les changements climatiques prendront de l’ampleur, plus nous assisterons à des phénomènes qui, historiquement, n’ont jamais été observés […] depuis que l’homme moderne, Homo sapiens, est sur terre. – Philippe Gachon, spécialiste de l’hydroclimatologie et professeur au Département de géographie de l’UQAM

D’après les scientifiques, 2023 n’est que la prémisse de ce qui nous attend à l’avenir. L’avant-goût que l’année nous laisse est un avertissement, comme un appel à nous attaquer sans plus tarder aux facteurs des changements climatiques.

Dans un rapport récemment publié dans les pages de la revue médicale The Lancet, des experts rappelaient que les conséquences sur la vie et sur les moyens de subsistance «pourraient n’être que les premiers symptômes d’un dangereux avenir».

Que les phénomènes extrêmes engendrent des dommages et causent la mort dans leur sillage n’a rien de nouveau. La différence, c’est que les populations sont désormais plus exposées et vulnérables que jamais, selon M. Gachon.

Mieux s’adapter, se protéger et se rétablir nécessite d’être vigilant et attentif aux changements qui s’opèrent sur le globe, fait-il remarquer. «On n’est plus dans l’adaptation, on est dans la gestion des risques.»

«Savoir anticiper la prochaine catastrophe, dit-il, est la seule façon de passer au travers.»

Un texte de Mélanie Meloche-Holubowski et de Valérie Boisclair

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Valérie Boisclair, Radio-Canada

Journaliste à Radio-Canada Info

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