La biopsie au bout du fusil : chasse au mercure chez les mammifères de l’Antarctique

Le partenariat global pour protéger des effets du mercure, créé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), a averti que les mammifères marins, parce qu’ils sont «au sommet de la chaîne alimentaire, sont particulièrement sensibles à la contamination au mercure». (AP Photo/Natacha Pisarenko)

Un coup de feu interrompt le sommeil paisible d’un phoque léopard, allongé nonchalamment sur un petit bout de glace de l’Antarctique.

Le chercheur Diego Mojica abaisse son fusil. Le mammifère, l’un des plus grands prédateurs du «continent blanc» après l’orque, sursaute du fait de l’impact de la biopsie à distance.

Une fois l’animal parti, le biologiste marin colombien descend de son petit bateau à moteur pour récupérer la petite pipette rouge dans laquelle sont enfermés quelques centimètres de peau du phoque.

Une équipe de l’AFP l’accompagne pour cette journée sur l’île de Livingston, dans l’archipel des Shetland du Sud. M. Mojica montre son excitation, car il est rare de se retrouver à quelques mètres d’un léopard des mers, espèce habituellement solitaire et plutôt agressive se nourrissant de manchots.

Le chercheur de la fondation colombienne Malpelo (spécialisée dans la protection et l’étude de la faune marine) soupçonne que le mercure utilisé par l’homme à des milliers de kilomètres de là, dans des activités telles que l’exploitation minière artisanale et industrielle, pourrait avoir atteint les frontières de l’Antarctique et affecter les grands mammifères.

Ce métal lourd, nocif pour leur santé, a pu atteindre la mer avec le courant des fleuves ou parce qu’il s’est volatilisé dans l’atmosphère. Il s’est ensuite retrouvé dans les océans par le biais des précipitations, explique M. Mojica, l’un des membres de l’équipage de la 10e expédition scientifique de la marine colombienne en Antarctique.

Les raisons de cette hypothèse ne manquent pas. Au cours de la dernière décennie, des scientifiques de l’université espagnole de Murcie ont trouvé du mercure dans les plumes de manchots à jugulaire sur l’île du Roi George, le point de l’Antarctique le plus proche des Amériques.

La pollution semble s’étendre vers le sud jusqu’à l’île Livingston et le détroit de Gerlache, un canal naturel, au large du continent blanc, qui regorge d’animaux sauvages et où travaille également M. Mojica.

Le partenariat global pour protéger des effets du mercure, créé par le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), a averti que les mammifères marins, parce qu’ils sont «au sommet de la chaîne alimentaire, sont particulièrement sensibles à la contamination» par ce métal qui se transforme en liquide à température ambiante.

De temps à autre, M. Mojica quitte le pont de l’ARC Simon Bolivar, le navire de la marine colombienne qui emmène les chercheurs en Antarctique, pour inspecter de son zodiac des paradis de glace et de neige immaculée quasi inexplorés par l’homme.

Lors d’une de ces excursions, il se retrouve entouré de baleines à bosse. Lorsque les gigantesques cétacés sortent leur dos ou leur queue de l’eau, le chercheur prend à nouveau son fusil s’assure de bien viser malgré la forte houle.

Cette fois-ci, les échantillons de peau et de graisse sont récupérés avec un filet dans l’eau. Les baleines à bosse consomment de grandes quantités de krill, petits crustacés susceptibles d’être contaminés par le mercure.

Une fois analysés en Colombie, mais également en France, ces fragments permettront de déterminer «si cette bio-accumulation [du métal] s’est effectivement transformée en un effet de bio-amplification, c’est-à-dire si ce mercure s’est transmis d’un maillon à l’autre» de la chaîne alimentaire, explique M. Mojica.

Selon l’UNEP, si un animal consomme du mercure, il peut souffrir d’un échec de la reproduction, de changements comportementaux et peut même en mourir.

En 2013, 140 pays ont signé la convention de Minamata sur la protection de la santé humaine et de l’environnement contre le mercure, à Kumamoto, au Japon. Les signataires, dont plusieurs disposent de bases scientifiques en Antarctique, ont fixé l’échéance de 2032 pour mettre fin à l’utilisation du mercure dans l’exploitation minière.

«Nous voulons faire notre part du boulot pour pouvoir, dans la mesure du possible, proposer des mesures crédibles pour la conservation et la protection de ces mammifères emblématiques», plaide M. Mojica.

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