Dialogue pour la vie : lutter contre le suicide et guérir sans honte ni tabou
Chaque année, la conférence Dialogue pour la vie accueille entre 500 et 900 personnes pendant sept jours pour des ateliers, des discussions ou encore des séances de guérison destinés aux Autochtones – intervenants ou non – d’un peu partout au Québec. Mais cette semaine, et pour la première fois, se tient une autre conférence de quatre jours à Montréal à la demande des participants, tant le besoin de parler et de partager est grand.
Lors de la cérémonie d’ouverture, la Mi’kmaw de Listuguj April Dedam a rappelé qu’il n’y avait pas de mal à parler du suicide. Pourquoi? Car le sujet reste tabou et il y a toujours cette stigmatisation par peur, peur d’être jugé, peur que les mots sortis entraînent un passage à l’acte, peur de l’idée.
«Malheureusement, le suicide sera toujours une réalité. Et nous devons être capables de commencer à parler de ces réalités dans un format sain où les gens n’ont pas honte, ne se sentent pas coupables, n’ont pas peur de s’exprimer. Nous avons donc tous la responsabilité d’engager ces discussions. Parlons-en. Partageons. Allons de l’avant. Guérissons», a lancé la présidente de l’Association prévention suicide Premières Nations et Inuit du Québec.
Au Canada, le taux de suicide chez les Autochtones est de 3 à 9 fois plus élevé que dans la population allochtone, selon Statistique Canada.
S’ouvrir sur le sujet reste difficile. Dans certaines langues, le mot suicide n’existe pas, comme en cri. À Chisasibi, on préfère d’ailleurs nommer la semaine de prévention du suicide avec un terme qui réfère à la beauté de la vie : Miywaashui Pimaatisiiun.
C’est tout l’intérêt de cette conférence que de partager ce message : vous n’êtes pas seul. Il y a des gens qui vous soutiennent, qui vous guident, qui vous réconfortent. Il s’agit simplement de vous aider à développer ce courage et à trouver la force de tendre la main et demander.
– April Dedam, Mi’kmaw de Listuguj et présidente de Dialogue pour la vie.
Des ressources entre nations
L’une des missions de l’Association est de soutenir les travailleurs en santé mentale des communautés ou ceux de première ligne qui travaillent à la prévention du suicide.
«On vient chercher toutes les ressources possibles ici. Il y a des visions différentes de la guérison», indique la directrice générale du Conseil des jeunes Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh, Dominique Bégin.
En novembre dernier, elle est venue à Dialogue pour la vie avec une cohorte de jeunes de la communauté ilnue du Saguenay–Lac-Saint-Jean afin de leur permettre de participer à ces évènements, d’écouter et de pouvoir repartir avec des outils de prévention. L’objectif était aussi de contribuer à l’entraide entre nations.
Ici, autant le partage de connaissances que les contacts sont importants. Récemment, elle a invité une personne rencontrée à Dialogue pour la vie à intervenir pendant la semaine de prévention du suicide à Mashteuiatsh.
Besoin d’aide pour vous ou un proche?
Briser l’isolement
Le partage d’expériences est un moment marquant également. Dominique Bégin montre sa robe de guérison où elle a cousu des libellules: une pour chaque personne importante qui a quitté ce monde, dont sa mère et sa meilleure amie qui se sont suicidées. La mission de l’Association, en lien avec son vécu, l’a touchée. Elle a, depuis, rejoint le conseil d’administration.
«On sent qu’on n’est pas tout seul», lance Dominique Bégin.
Dans les communautés autochtones, «tout le monde, tout le monde» a un proche qui s’est suicidé, affirme de son côté Juliana Matoush Snowboy.
Comme de nombreuses personnes, la femme crie de Mistissini raconte ce suicide – celui de sa cousine – qui l’a tellement touchée, c’est un «choc inoubliable». À tel point qu’elle a toujours parlé de suicide, de bien-être dans sa propre famille, ce qui n’a pas empêché un de ses enfants d’avoir des pensées suicidaires. Car, rappelle-t-elle, même si elle a essayé de ne pas transmettre ce qu’elle a vécu ou ce que ses parents ont vécu, les traumatismes intergénérationnels se font ressentir, car ils sont omniprésents dans les communautés.
À Montréal, pendant ces quatre jours, comme plusieurs autres guérisseurs traditionnels, elle va écouter, conseiller ceux qui ont besoin d’une oreille pour ventiler et partager dans l’intimité d’une pièce avec de la sauge, sa pipe et sa plume d’aigle.
«Les rencontres, ce sont des personnes ou des familles qui passent à travers un deuil à cause d’un suicide ou qui ont des idées. Des fois, elles viennent juste pour des prières, pour le soutien, l’encouragement», explique Juliana Matoush Snowboy. Si elle n’a pas les «outils appropriés» pour telle personne, elle la réfère à d’autres guérisseurs, car ils se connaissent presque tous.
Directrice qualité organisationnelle et sécurisation culturelle du Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie James, elle s’occupe de la dizaine de guérisseurs traditionnels cris qui sont en contrat avec le Conseil.
Travailler dans une région parfois très isolée, souvent dans son propre milieu, parfois même dans sa propre famille, vient aussi avec son lot de traumatismes et de surcharges émotives pour les intervenants qui peuvent donc, devant Juliana Matoush Snowboy, se vider le cœur et l’esprit.
D’autant plus que la COVID a eu un impact important dans les communautés qui, pour beaucoup, se sont complètement isolées. Les évènements communautaires et les sorties en territoire, si importants culturellement, ont été diminués. Nombreux sont les intervenants et membres des communautés à avoir constaté l’impact sur la santé mentale.
Se redécouvrir dans un environnement sécuritaire
Perspective autochtone sur le deuil, théorie des systèmes familiaux, pleine conscience, projet de travailleurs de soutien autochtone, autodétermination et santé mentale, élever des enfants avec des besoins spécifiques dans les communautés… les thèmes des ateliers sont divers.
«Une grande partie de la population autochtone a subi de nombreux traumatismes au cours de l’enfance et de la vie. Et nous sommes tous des produits de la colonisation et de l’assimilation. Nous vivons donc une réalité basée sur la peur», rappelle le Kanien’kehá:ka (Mohawk) d’Akwesasne Joey David, qui travaille avec les personnes aux prises avec des dépendances en préconisant une approche basée sur la culture.
Il est venu présenter un atelier sur la façon de reprogrammer le cerveau et d’apprendre de nouvelles voies pour des relations plus saines, et ce, en se basant sur la roue de la médecine.
«Cette conférence donne à l’individu l’occasion de guérir, d’être entendu et de parler de ces expériences de traumatismes dans un endroit où il se sent en sécurité, ainsi il a l’opportunité de se regarder et peut se sentir de nouveau en position de force», explique Joey David.
C’est bien que les gens se sentent en sécurité dans cet environnement parce que nous voulons promouvoir la guérison et l’amour. Nous voulons aider ces personnes à aller de l’avant dans la vie et à ne pas rester bloquées.
– Joey David, intervenant en dépendance kanien’kehá:ka d’Akwesasne
À la fin de son atelier, il demande à chaque personne quel enseignement elle a retiré des discussions. À ceux qui ne savent pas encore, n’osent pas dire, il assure que la réflexion va se poursuivre pendant des semaines.
À l’écoute de la jeunesse
Afin d’aider les jeunes du mieux possible, Juliana Matoush Snowboy n’hésite pas à demander à ses propres enfants les meilleures pistes de solution, consciente qu’elle n’a peut-être pas toutes les clés.
Lors de la dernière conférence, raconte la présidente April Dedam, les jeunes en cercle de partage ont exprimé avoir peur de parler de santé mentale, de suicide, «parce qu’ils ne savent pas à qui faire confiance. Ils ne veulent pas être mis à l’écart, ni avoir honte, ni être culpabilisés». D’où l’importance de la discussion. D’ailleurs les deux derniers jours de la conférence sont consacrés à la jeunesse.
Cette année, la danse du soleil, communément connue sous le terme de sundance, va être offerte aux participants, avec la danse du bison. «C’est un chant d’honneur pour tous ceux qui sont morts par suicide et ceux qui luttent. Ces cérémonies sont des voyages de guérison très puissants», explique April Dedam.
Des cérémonies longtemps interdites, alors de «pouvoir apprendre, y participer et les ramener à la maison ou les utiliser dans nos voyages personnels», c’est encore plus fort, conclut-elle.
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