Des experts sonnent l’alarme après le déversement à la mine Eagle au Yukon
Trois semaines après le déversement de 2 millions de tonnes de minerai mêlé à du cyanure sur le site de la mine Eagle, au centre du Yukon, des experts embauchés par la Première Nation Na-Cho Nyäk Dun affirment que la situation est une catastrophe et que le temps presse pour limiter les dommages.
Farzad Mohamm, un expert en traitement de l’eau qui a visité le site après l’accident, affirme : « Il faut maintenant accepter certaines réalités bien difficiles. Environ la moitié du cyanure s’est déjà échappé, et l’autre moitié est en train de filtrer. »
« Ce n’est pas un désastre du passé, mais un désastre actuel. Chaque minute compte! », dit M. Mohamm.
Le chimiste des procédés miniers explique que les infrastructures sur le site sont tellement endommagées que l’impact environnemental est inévitable. Le cyanure qui s’écoule dans l’eau souterraine se dirige tout droit, selon lui, vers le ruisseau Haggart, qui se déverse dans le bassin du fleuve Yukon.
Déjà, une présence de 0,04 mg/litre a été décelée dans un premier échantillon du ruisseau prélevé le lendemain de l’accident, mais pour l’instant, aucun impact sur les poissons n’a été observé, selon le gouvernement territorial.
Santé Canada établit à 0,002 mg/litre la quantité limite au-delà de laquelle le cyanure présente des risques pour la santé des espèces aquatiques.
« C’est une question de semaines, voire de jours. L’écoulement va s’affaiblir, et les concentrations vont diminuer, mais [le cyanure] sera là encore longtemps. Il faudra traiter l’eau pendant encore très longtemps » , soutient l’expert.
Le gouvernement du Yukon a affirmé avoir toujours en sa possession l’entièreté de la caution de sécurité de près de 104 millions de dollars pour la remise en état du site, advenant que la minière ne puisse pas terminer les travaux requis.
Entre-temps, la minière Victoria Gold a entrepris certains travaux de redressement, comme la construction de deux digues de confinement. Elle a aussi remis au gouvernement les plans d’action exigés, dont l’installation d’un système pour récupérer les eaux souterraines.
Les dirigeants n’ont encore accordé aucune entrevue depuis l’accident malgré les multiples demandes des médias. Le plus récent communiqué de presse a laissé entendre que la minière n’aurait possiblement pas assez de fonds pour réparer les dommages et assainir le site.
Un système d’extraction chimique complexe
L’effondrement d’une série de digues de rétention le 24 juin dernier a engendré le glissement de 4 millions de tonnes de terre et de minerai dont la moitié contenait du cyanure, un agent chimique utilisé pour extraire l’or par percolation selon la méthode de lixiviation en tas. Or, jusqu’à 40 millions de tonnes de minerai seraient toujours contenus dans le tas, selon la minière.
Depuis l’effondrement, comme l’explique Farzad Mohamm, la capacité de pompage du site est désactivée, il n’y a presque plus de place pour contenir l’eau de surface nécessaire à la dilution et il n’y a pas assez de peroxyde d’hydrogène pour dissoudre le cyanure.
« Le montant de peroxyde qu’ils administrent en ce moment représente une fraction de ce qui est requis », soit environ 1 % de l’eau de surface. Mais même s’ils pouvaient traiter davantage d’eau, la solution finit par se transformer en ammoniac, un composé également toxique.
« Il n’y a aucun plan pour l’ammoniac, aucune infrastructure pour l’ammoniac. »
Pour sa part, Bill Slater, un consultant en environnement de longue date au Yukon qui offre également son expertise à la Première Nation Na-Cho Nyäk Dun, explique que les minières qui utilisent la lixiviation en tas n’ont souvent pas la capacité de stocker en entier la solution de cyanure pour des raisons économiques.
Elles choisissent plutôt de gérer les risques de fuite.
« Il n’y a pratiquement aucune capacité à traiter le cyanure et il y a de moins en moins de place pour contenir [la solution] dans les bassins » , dit le spécialiste, qui estime qu’environ 5 % de la solution se sont échappés lors du glissement et que le reste s’écoule dans le sol depuis.
« [Le cyanure] n’a pas disparu. Nous savons qu’il s’est écoulé dans la vallée et, ainsi, dans l’eau souterraine. » L’expert évalue que cette eau souterraine atteindra le ruisseau au cours des prochaines semaines.
« Quand [cette eau atteindra le ruisseau Haggart], ce sera vraisemblablement toxique pour les poissons et les espèces aquatiques », dit Bill Slater.
Un autre mont Polley?
Cord Hamilton, ingénieur géotechnique et hydrotechnique, croit que l’effondrement à la mine Eagle pourrait être aussi dévastateur, dans le contexte du Yukon, que l’a été le désastre du mont Polley en 2014 en Colombie-Britannique, qu’on avait qualifié de pire déversement de l’histoire du pays.
À l’époque, 25 millions de mètres cubes d’eau et de résidus miniers s’étaient retrouvés dans les cours d’eau avoisinants après la rupture du bassin de décantation. La méthode d’extraction, toutefois, n’impliquait pas l’utilisation de cyanure.
« Nous avons ici du cyanure qui s’échappe dans l’eau souterraine, qui a été prélevé dans l’eau de surface d’un bassin de rétention qui disparaît rapidement. Nous avons affaire à un contenu encore pire. »
Avec les informations de Julien Greene