Les gardiens de l’Arctique, protecteurs de la faune, de la culture et des traditions
Au petit matin, dans la communauté arctique de Taloyoak, au Nunavut, Abel Aqqaq, le coordonnateur des gardiens autochtones du territoire, informe l’équipe des missions cruciales à venir qui façonneront leur semaine.
Des carottes de glace doivent être prélevées et envoyées au Sud. Mais d’abord, une excursion est prévue le lendemain pour permettre aux jeunes de participer à un cours de formation aux savoir-faire traditionnels, notamment la construction d’igloos.
La neige suscite toutefois des inquiétudes.
Dans le passé, on pouvait amener les enfants juste à l’extérieur de la communauté pour leur enseigner ces techniques, mais avec les changements climatiques qui frappent l’Arctique, la qualité de la neige n’est plus ce qu’elle était.
« Aujourd’hui, nous devrions avoir une belle neige solide que nous pourrions découper dans la forme que nous voulons », explique M. Aqqaq. « Mais ces jours-ci, nous avons beaucoup de neige poudreuse, et on ne peut pas construire une maison de neige ou un igloo avec elle. »
M. Aqqaq tient tout de même à poursuivre la formation, car il ne veut pas que les journées d’hiver plus chaudes qui s’annoncent soient gâchées.
« Beaucoup d’étudiants d’ici n’ont pas l’équipement adéquat pour aller sur le terrain lorsqu’il fait trop froid », note-t-il.
« Le coût de la vie est très élevé ici, donc beaucoup de familles ne peuvent pas se permettre d’acheter les vêtements chauds dont les jeunes ont besoin pour aller sur le terrain. Alors nous essayons de travailler avec eux quand le temps est plus chaud. »
Aqqaq a indiqué que la journée restera importante et que si la neige n’est pas au rendez-vous pour la leçon sur les igloos, ils pourront toujours se concentrer sur des sujets comme la sécurité sur le terrain, la pêche sur glace et la culture traditionnelle.
Surveiller les écosystèmes et la faune
Le programme des gardiens du territoire autochtones a été lancé en 2017 et est financé par le gouvernement fédéral. L’objectif était d’intégrer les communautés dans le suivi et la surveillance des écosystèmes.
Cela n’est nulle part plus important que dans l’Arctique canadien, dans des communautés uniquement accessibles par avion comme Taloyoak, où les résidents sont les yeux et les oreilles de la terre et où il n’y a pas de présence scientifique tout au long de l’année.
Parmi les principaux projets des gardiens de Taloyoak figure la surveillance des caribous, qui consiste à installer des caméras le long de la péninsule de Boothia afin de recueillir des données cruciales sur les itinéraires de migration et sur les vêlages. Ils patrouillent également sur le terrain, mènent d’autres enquêtes sur la faune et recueillent des données environnementales, tout cela dans le but de préserver les terres autour de leur communauté.
M. Aqqaq souligne que le programme des jeunes gardiens était un élément important. Il permet de former les jeunes de la communauté aux compétences traditionnelles, aux procédures de sécurité et à la gestion de l’environnement.
Cette formation pratique et cette immersion culturelle visent à doter les jeunes de connaissances et de compétences sur le terrain, dans l’espoir qu’ils se joignent plus tard à l’équipe des gardiens.
« Nous leur montrons tout, de la préparation et de la découpe de la viande à la survie sur le terrain, mais aussi comment utiliser les hydrophones et d’autres équipements pour la surveillance ou l’échantillonnage », dit M. Aqqaq.
L’un des projets actuels des gardiens du territoire consiste à extraire des carottes de glace autour de la péninsule, qui sont ensuite fondues et envoyées à des laboratoires au Québec qui ont besoin de ces échantillons pour leurs recherches.
Pour ce faire, ils se rendent à des stations désignées et extraient les carottes de glace avec une foreuse. Il faut de trois à cinq heures pour se rendre sur les sites et extraire les échantillons, selon l’endroit.
Après avoir travaillé dans le secteur de la construction, Tad Tulurialik est gardien depuis environ trois ans et affirme que son travail est toujours aussi gratifiant.
« J’ai grandi en chassant et en campant. Mais en devenant gardien du territoire, j’ai aussi appris à utiliser de nouvelles technologies et de nouveaux équipements et à collecter des échantillons », a-t-il déclaré.
« C’est un défi et beaucoup de travail, et parfois notre équipement gèle sur place, mais nous travaillons tous ensemble et nous nous entraidons. »
Abel Aqqaq souligne qu’il est extrêmement satisfaisant de voir ce que l’équipe est capable d’accomplir.
« Nous avons vu beaucoup de choses, nous avons parcouru beaucoup de kilomètres », dit-il.
MM. Aqqaq et Tulurialik s’accordent à dire que l’un des aspects les plus satisfaisants de leur travail est qu’il permet de passer du temps sur le territoire après les tâches de collecte et de surveillance. Ce temps leur permet de chasser pour la communauté. Ils viennent en aide à ceux qui n’ont pas les ressources pour le faire.
« Nous pouvons tendre le filet pour attraper des poissons, puis les ramener et les distribuer à la communauté », explique M. Aqqaq. « Ainsi, les personnes qui n’ont pas l’équipement nécessaire pour aller chasser reçoivent de la nourriture traditionnelle, qu’elles soient jeunes ou âgées.»
Pour l’avenir, M. Aqqaq envisage de développer le programme en augmentant le nombre de gardiens afin de couvrir de plus grandes distances tout au long de l’année.
« Nous sommes parfois très occupés. Et si j’avais plus d’hommes sur le terrain, nous pourrions explorer davantage, couvrir plus de terres et nous assurer que la péninsule reste propre et que la faune et la flore sont en sécurité. »
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