Sépultures anonymes : « Le Canada crée sa propre amnistie »
L’interlocutrice spéciale indépendante pour les lieux de sépulture non marqués autochtones, Kimberly Murray, demande au Canada de se conformer à certaines de ses obligations envers les Autochtones et estime qu’il s’est offert sa propre amnistie en ne lui accordant aucun pouvoir.
Alors qu’elle s’apprête à décrocher son tablier après deux ans de travaux, l’interlocutrice, originaire de la communauté mohawk de Kanesatake, s’est confiée à Espaces autochtones pour revenir sur son mandat et sur les travaux qui restent à accomplir pour permettre aux communautés de faire la lumière sur le traitement réservé aux enfants disparus en lien avec les pensionnats pour Autochtones.
Espaces autochtones : Depuis que vous êtes interlocutrice spéciale, quelle est votre plus grande réalisation?
Kimberly Murray : « Ma plus grande réussite a été de rassembler les survivants et les communautés lors de six rencontres nationales que nous avons organisées [Montréal, Winnipeg, Vancouver, Edmonton, Toronto et Iqaluit]. »
Cela a créé un espace pour que les survivants puissent partager leurs vérités, en particulier en ce qui concerne les enfants disparus et les sépultures anonymes. Cela a également permis aux communautés d’apprendre les unes des autres. Elles ont pu échanger sur la manière de mener les recherches sur le terrain et sur les obstacles auxquels elles sont confrontées. Finalement, elles ont créé une sorte de réseau et un lieu sûr où les gens peuvent parler des difficultés qu’ils rencontrent pour retrouver les sépultures. J’espère que cela continuera ainsi.
« C’était beaucoup de travail, mais c’était un travail important. Je pense que les rapports qui ont découlé de chacune des six rencontres étaient aussi quelque chose de différent par rapport à d’autres commissions. »
Dans mon rapport final, je parle de l’importance de cela et du fait que soutenir les survivants et les communautés est ma priorité. Cela devrait aussi être la priorité du gouvernement.
EA : Vous espérez que le gouvernement poursuive le travail. Dans quelle mesure pensez-vous qu’il peut continuer à soutenir les survivants et leurs familles?
KM : « Le gouvernement doit continuer d’offrir du financement pour que les communautés et les organisations puissent rassembler les survivants. Mais ils doivent aussi les soutenir dans leur demande d’accès aux archives, par rapport aux recherches sur le terrain, ou encore soutenir les familles qui veulent faire des exhumations. »
Mon travail consiste à formuler des recommandations pour un nouveau cadre juridique. Ainsi, mon rapport final identifiera les lois qui doivent être modifiées. Le Canada n’a pas de législation pour protéger les lieux de sépulture des peuples autochtones, ni de stratégie, ni de loi pour encadrer le rapatriement des restes humains. Il y a donc beaucoup de choses que le Canada doit faire et qui sont conformes à la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dont il est signataire. Je crois donc que la communauté internationale doit soutenir le travail que font les survivants pour trouver les sépultures anonymes.
EA : Comment voyez-vous la suite après votre départ, surtout si un gouvernement conservateur avec Pierre Poilievre prend le relais du gouvernement libéral?
M : Je suis très préoccupée par le fait que les recommandations que je suis sur le point de faire ne soient pas mises en œuvre. Nous devons nous assurer que les Nations unies prêtent attention à ce qui se passe au Canada.
« Il ne s’agit pas d’un programme [politique], tout comme la recherche des personnes disparues n’est pas un programme [politique]. C’est une obligation juridique internationale pour le Canada. Nous devons faire comprendre à tous les gouvernements en place qu’ils ont ces obligations, car il ne s’agit pas seulement de faire les choses par bonté d’âme. »
EA : Combien de choses reste-t-il encore à faire?
KM : « [Les recherches] vont prendre encore beaucoup de temps. De nombreuses communautés n’ont même pas encore commencé à faire des recherches sur le terrain. Beaucoup sont au tout début du processus. D’autant plus que si nous allons plus loin que les fouilles près des pensionnats, il faudra aussi examiner les hôpitaux, les sanatoriums, etc. Il faut mettre en place un mécanisme pour aider les communautés à poursuivre ce travail qui prendra une décennie. »
La tâche est longue, car des enfants de plusieurs communautés différentes fréquentaient parfois le même pensionnat. Elles doivent donc se concerter.
EA : Votre mandat se termine à la fin de l’année. Pensez-vous que le gouvernement aurait dû pérenniser votre poste?
KM : « Dans mon rapport final, je fais des recommandations sur ce qui est nécessaire pour poursuivre le travail que j’ai commencé. Il est évident que la première chose est de mettre en place un dispositif qui permette de soutenir les communautés comme je l’ai fait jusqu’à présent, mais avec des pouvoirs supplémentaires. Je ne pouvais pas obtenir des dossiers, je ne pouvais pas pénétrer dans les propriétés privées, je n’avais pas le pouvoir d’obliger quoi que ce soit. Tout ce que j’avais, c’était le pouvoir de mes mots. Nous avons donc besoin d’un mécanisme plus solide. »
Le Canada a créé ce mandat, m’a nommée et ne m’a pas donné ces pouvoirs, et c’est en quelque sorte la façon dont il se protège. Cela fait partie de l’amnistie qu’il a créée pour lui-même.
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