Chronique| Arctique : la Russie en avance, le Canada à la traîne

Une chronique de Robert Falcon Ouellette
En tant que professeur d’université, je donne au gouvernement une note B pour sa nouvelle stratégie arctique. Bien que cette stratégie soit globale, elle nécessite un recalibrage pour répondre véritablement aux intérêts nationaux à long terme du Canada et des Inuit qui habitent cette région depuis des millénaires. L’Arctique n’est pas qu’un jeu de balle géopolitique, c’est une patrie dynamique, riche en culture, en savoir et en potentiel économique inexploité.
Le Canada doit placer les Inuit au cœur de sa stratégie pour l’Arctique, en reconnaissant leur rôle en tant que gardiens de cette région fragile, mais dynamique. En même temps, il est impératif d’aligner les priorités de sécurité nationale avec une croissance économique durable, visant à augmenter la contribution de l’Arctique au PIB du Canada à 5 %, tout en préservant son environnement unique et le mode de vie autochtone. Créons de la richesse au lieu de simplement redistribuer celle qui existe déjà.
Pour que le Canada réalise le plein potentiel de l’Arctique, les investissements dans les infrastructures doivent être prioritaires. Malgré son immensité et son importance stratégique, l’Arctique canadien ne représente que 0,5 % de l’économie nationale, un contraste frappant avec l’Arctique russe, qui représente 20 %.
La stratégie pour l’Arctique reconnaît que la Russie, les États-Unis et même la Chine sont de sérieux concurrents pour la souveraineté dans cette région. Pour garantir que notre souveraineté ne soit pas remise en question par d’autres nations, nous devons intégrer l’Arctique à notre économie en investissant dans les transports, la connectivité numérique, le logement et l’énergie. Tout est une question de personnes et d’emplois.
Construire des routes praticables toute l’année, des voies ferrées et des ports améliorera les chaînes d’approvisionnement, réduira le coût de la vie des communautés arctiques et attirera des investissements. Par exemple, des installations portuaires dirigées par des Inuit, dotées de solides capacités de recherche et de sauvetage (SAR), peuvent soutenir à la fois les économies locales et les revendications de souveraineté du Canada.
En responsabilisant les entreprises et communautés inuit pour diriger ces initiatives, nous créons un modèle durable qui aligne la croissance économique sur la préservation culturelle.
De plus, il est nécessaire d’établir un système de passage complet pour les navires transitant par le passage du Nord-Ouest. Inspiré de la voie maritime du Saint-Laurent, ce système exigerait la formation et le déploiement de pilotes maritimes inuit — des professionnels ayant une connaissance inégalée des eaux arctiques — pour guider les navires en toute sécurité.
Cela réduirait les risques environnementaux tout en veillant à ce que les communautés locales bénéficient directement de l’augmentation des activités maritimes. Près des entrées du passage du Nord-Ouest, des équipes d’inspection de la Marine et de la Garde côtière canadienne devraient vérifier que tous les navires respectent des normes strictes de sécurité et d’environnement. Cette mesure proactive empêcherait des catastrophes telles que des marées noires ou des naufrages, qui pourraient dévaster les écosystèmes marins et les moyens de subsistance des Inuit.
La sécurité dans l’Arctique est cruciale à mesure que l’intérêt mondial pour la région grandit. Les Forces armées canadiennes (FAC) jouent un rôle clé dans l’affirmation de notre souveraineté et la réponse aux urgences. Cependant, le Groupe d’intervention de l’Arctique, qui fonctionne actuellement au sein de la 38e Brigade des FAC, a besoin d’un mandat renforcé.
Ce groupe devrait être élargi pour devenir une unité à temps plein des FAC, avec le soutien des forces de réserve. Cela permettrait d’assurer une capacité constante tout au long de l’année pour s’entraîner, répondre aux crises et opérer dans l’environnement exigeant de l’Arctique. Le Royal Winnipeg Rifles, avec son histoire riche et son expertise, est idéalement placé pour mener cette transformation.
Cette capacité élargie permettrait également des exercices conjoints plus fréquents avec les Rangers inuit et les forces alliées, renforçant ainsi l’interopérabilité et démontrant l’engagement du Canada envers la défense de l’Arctique. De plus, investir dans des infrastructures qui soutiennent les opérations militaires, notamment des bases permanentes et des pistes d’atterrissage, aurait des avantages doubles pour la défense et les communautés locales.
Le rôle des Inuit
Au cœur de toute stratégie pour l’Arctique doit se trouver la reconnaissance de l’autodétermination des Inuit et de leurs connaissances traditionnelles.
Les Inuit prospèrent dans cet environnement depuis des milliers d’années, et leurs perspectives sont inestimables pour relever les défis actuels. Les Inuit ne devraient pas se limiter à être consultés, ils doivent diriger. Cela inclut une participation active dans les processus de prise de décision liés à la réglementation de la navigation, à la protection de l’environnement et au développement des ressources. Les gardiens inuit, qui surveillent et protègent leurs terres et eaux, offrent un modèle de gestion que le Canada pourrait amplifier à l’échelle nationale.
Avec des investissements accrus dans l’éducation et la formation professionnelle pour les Inuit, nous pouvons nous assurer que les communautés locales sont prêtes à saisir les occasions émergentes dans des domaines comme les énergies renouvelables, le transport maritime et le développement des infrastructures, y compris la création d’une nouvelle université inuit.
Notre échec prolongé à protéger nos intérêts nationaux dans l’Arctique ne signifie pas que nous devons persister dans cette voie. Fixer un objectif de 5 % de l’économie canadienne provenant de l’Arctique est ambitieux, mais réalisable. Cela exige une approche équilibrée qui priorise la durabilité, la sécurité et l’économie. En investissant dans les infrastructures, en élargissant les capacités de sécurité dans l’Arctique et en plaçant le leadership inuit au centre, nous pouvons libérer le potentiel de la région tout en sauvegardant son avenir canadien.
L’Arctique n’est pas un rêve lointain
Ni un trésor à piller sans fin
C’est un foyer, une terre de liens
Une part du Canada, notre bien
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