Les ours polaires de Churchill délaissent la banquise pour le dépotoir

Un texte d’Alexia Bille
Des résidents de Churchill s’inquiètent de leur sécurité et du bien-être des animaux emblématiques de la « capitale mondiale de l’ours polaire ». Depuis que la station de transfert des déchets de la ville a brûlé, au printemps dernier, les déchets entreposés à l’air libre attirent les ours qui ont rapidement eu raison du grillage qui entoure la décharge.
A fed bear is a dead bear. Un ours nourri est un ours mort, lance Karine Genest, productrice et guide d’observation d’ours polaires. Lors de son dernier passage à proximité de la décharge, elle a pu observer plusieurs ours en train de fouiller dans les poubelles. Il s’agissait principalement de femelles avec leurs oursons. Elles sont en train de leur apprendre à revenir l’année prochaine. Il va falloir déprogrammer la prochaine génération, estime-t-elle.
À cette période de l’année, les ours devraient quitter la terre ferme pour aller chasser le phoque sur la banquise.
La glace est là et il y a encore des ours à la déchetterie, ça n’est pas normal, affirme Karine Genest.
Même son de cloche du côté du biologiste de l’Université de Saint-Boniface Daniel Dupont, qui craint que les ours ne restent au dépotoir tout l’hiver.
C’est encore un peu tôt pour savoir si ça va être le cas. On espère que non. On espère que ces ours-là vont suivre leur comportement naturel. On verra ce qui va arriver dans les prochaines semaines, les prochains mois, indique-t-il.
Depuis la fermeture de L5, le bâtiment abritant anciennement les détritus, les agents de conservation ont constaté une hausse du nombre de signalements d’ours polaires, selon la province. Un porte-parole note toutefois que les ours jeûnent depuis le printemps, ce qui explique, selon lui, le nombre d’animaux qui se rendent à la décharge.
Malheureusement, ils vont devoir tuer l’animal si le comportement continue, dit le biologiste Daniel Dupont. C’est rare, ces situations, mais ça arrive. Puis, on veut éviter à tout prix d’abattre un animal, surtout un ours polaire qui est déjà sous beaucoup de stress à cause des changements climatiques.
Non seulement la décharge attire les ours polaires à proximité de la communauté, mais la décharge est dangereuse pour eux, comme l’explique Rob Watson, résident de Churchill et ancien garde-forestier de Parcs Canada dans la région. Il est lui aussi guide d’observation d’ours polaires. « Ils mangent les poubelles, mais il y a du plastique dedans, de l’antigel, et caetera », précise-t-il.
Il y a 40 ou 50 ans, mon grand-père allait à la décharge pour donner du miel aux ours polaires. Maintenant que L5 a brûlé, on retourne dans le passé. On ne peut pas avoir ce problème en 2024, c’est dangereux pour tout le monde.
Rob Watson affirme que, pendant la haute saison en octobre et en novembre, il a vu une quarantaine de véhicules stationnés à côté de la décharge pour observer tous les ours qui s’y trouvaient. Là encore, la situation comporte des risques.
Cette année, il y avait tellement de trafic qu’une personne a heurté un ours parce que la visibilité était masquée par un autobus allant dans l’autre direction.
Les incursions des ursidés dans la déchetterie sont sur toutes les lèvres dans la communauté depuis l’incendie, selon une résidente de Churchill, Emma Klippenstein.
On en a beaucoup parlé tout au long de la saison des ours polaires. J’ai publié une vidéo de ces ours sur Facebook, et c’est devenu un sujet brûlant à Churchill.
En attendant une solution
Je suis passée devant la gare aujourd’hui, et il y avait huit poubelles anti-ours flambant neuves. Elles ont été achetées par Polar Bear International. Ils nous aident, assure Emma Klippenstein. Je ne sais pas qui est chargé de régler le problème de la décharge, mais j’espère que les différents niveaux de gouvernement vont coopérer pour résoudre ce problème dans les meilleurs délais.
Contactée par Radio-Canada, la province affirme que le problème est du ressort de l’administration municipale. Cependant, des agents de conservation se rendent régulièrement à la décharge pour tenter de tenir les ours à distance, notamment grâce à des dispositifs sonores. Selon les résidents, cela ne semble pas suffisant pour les éloigner pour de bon.
La Ville a mentionné qu’elle mettrait une clôture plus solide, qu’elle l’arrangerait pour que ce soit vraiment à l’abri des ours, mais ils sont encore en train de trouver comment le faire, raconte Karine Genest.
Elle ajoute qu’il y a plusieurs éléments qui rendent la tâche compliquée, comme le fait que l’hiver est arrivé ou que le coût des matériaux et des équipements est plus élevé dans le Nord. La Ville n’a pas répondu à nos demandes de commentaires.
Grillage plus solide ou non, la solution est ailleurs, selon Rob Watson, qui aimerait qu’on reconstruise un bâtiment.
Il n’y a pas de plan. On a la Ville, les gouvernements provincial et fédéral, les compagnies comme Polar Bears International, WWF, tout le monde veut voir les ours. Ils prennent tout l’argent, 88 millions de dollars provenant du tourisme, l’an passé, et avec ça ils n’ont rien fait.
Si le problème des ours polaires dans la décharge à ciel ouvert est récent à Churchill, ce n’est pas le cas ailleurs dans la baie d’Hudson. C’est vraiment minime par rapport à ce qu’il se passe dans l’Arctique au complet, dit Karine Genest.
Churchill est soutenu par de grosses organisations qui tentent de protéger les ours polaires, ce qui n’est pas le cas ailleurs. La situation à Arviat, par exemple, est la même depuis des années.
Elle espère que, si l’on met en lumière la situation actuelle à Churchill, d’autres communautés du Nord pourront également en bénéficier et qu’une solution pourra être trouvée au problème des ours polaires fouillant dans les poubelles.
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