Les dirigeables, une solution pour ravitailler les communautés isolées?
Pendant deux jours, une vingtaine de spécialistes des transports discutent du développement des ballons dirigeables lors de la conférence internationale Aviation Innovations en banlieue de Toronto. De plus en plus d’entreprises s’intéressent à l’utilisation de ces aéronefs pour le transport de marchandises, notamment vers les régions isolées.
Des professeurs, experts et représentants du secteur aéronautique venant d’Amérique du Sud, d’Asie, d’Europe, des États-Unis et du Canada présenteront les avancées dans l’industrie de ces vieux modèles d’aéronefs ainsi que des possibilités d’avenir.
Les dirigeables existent depuis longtemps, mais suscitent un regain d’intérêt à mesure que des projets voient le jour, comme en France ou au Royaume-Uni, indique Barry Prentice, professeur d’économie des transports à l’Université du Manitoba.
« Il y a 80 ans, des ballons dirigeables traversaient déjà des océans avec de lourdes cargaisons, mais ce mode de transport a été mis de côté au profit d’une technologie plus récente », rappelle-t-il.
Faciliter l’accès aux régions isolées
« Nous cherchons à développer des dirigeables qui pourraient transporter des cargaisons du sud vers le nord du Canada, là où nous n’avons pas de routes par exemple. C’est aussi un marché qui intéresse le secteur minier », explique M. Prentice.
Selon lui, le transport de cargaisons par ballons dirigeables serait un mode de transport moins onéreux et moins polluant que l’avion qui pourrait servir les régions isolées du Canada.
« Il y a un gros problème avec les routes. Nous avons environ 292 communautés isolées au Canada et aucune route ne s’attachant au continent ou au sud. Et comme nous avons perdu la moitié de la saison des routes de glace avec les changements climatiques, cela devient de plus en plus difficile sur la durée », indique-t-il.
Il ajoute que les coûts pour construire ces routes éphémères sont aussi importants, à raison de 3 millions de dollars par kilomètre, sans compter la maintenance. Les dirigeables, eux, ne nécessitent que très peu d’investissements en termes d’infrastructure, selon lui. « Un dirigeable n’a pas besoin d’une grande piste d’atterrissage et il y a déjà la place », souligne-t-il.
Un pari sur l’avenir?
Le professeur en économie à l’Université Laurentienne, David Robinson, rappelle toutefois que le premier modèle de dirigeable au pays ne devrait être disponible que cette année. Même si un certain nombre d’entreprises produisent ces machines, elles sont pour la plupart encore au stade de projet-pilote au Canada.
Lui-même sera présent à la conférence afin de parler de la réalité des communautés isolées dans le Nord de l’Ontario. Il estime que cela pourrait être une solution pérenne pour transporter des marchandises vers ces régions.
« Potentiellement, cela est extrêmement utile, car vous n’aurez pas à construire de route. Les petits avions que les gens du Nord de l’Ontario utilisent en ce moment sont coûteux à exploiter et ne peuvent pas transporter beaucoup de cargaisons », précise-t-il.
M. Prentice met pour sa part de l’avant que cela permettrait de réduire le coût de la vie dans ces régions isolées. Les aliments et les matériaux de construction y étant souvent dispendieux en raison du sous-développement de l’infrastructure des transports dans le Nord.
À voir toutefois si ce genre de nouveaux modes de transport aurait un impact sur le monopole qui existe présentement en terme de biens de consommation.
C’est pourquoi M. Robinson estime que rien ne se fera sans un partenariat accru entre les entreprises qui souhaitent développer des dirigeable et les communautés autochtones concernées. Certaines d’entre elles participeront d’ailleurs à la conférence.
Argument écologique
« Les ballons dirigeables peuvent fonctionner à l’électricité », explique M. Prentice. Contrairement à ceux dans les années 1930 remplis d’hydrogène, un gaz inflammable, ils seront désormais gonflés d’hélium.
David Robinson abonde dans le même sens. Il y a très peu d’émissions de carbone, voire quasiment aucune si le moteur est électrique, affirme-t-il.
Mais même si le secteur privé semble s’y intéresser, le ministère des Transports se montre plus frileux sur ce marché, selon M. Prentice.
En 2013, un rapport du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communs sur l’innovation dans le secteur des transports évoquait les avantages théoriques de l’utilisation de ces aéronefs. Le Comité appelait toutefois à la prudence avant d’investir dans ces nouvelles technologies.
Malgré cette prudence, des entreprises canadiennes ont investi dans le développement de ballons dirigeables pour le transport de marchandises. C’est le cas de Minéraux rares Quest qui avait, en 2016, fait part de son intention d’avoir recours à des ballons dirigeables pour le transport de minerais.
« Transport Canada n’a pas de position sur les dirigeables. Le gouvernement se préoccupe des villes, mais moins des communautés isolées », juge M. Prentice.
Depuis février 2018, il s’est donc tourné vers le Brésil pour signer une entente de collaboration avec Airship do Brasil visant à développer et construire un prototype capable de transporter des cargaisons de 50 tonnes. Il estime qu’il faudra au moins deux ans pour développer et tester le prototype.
D’ici là, il espère que Canada se montrera intéressé par cette solution alternative.
De son côté, M. Robinson rêve déjà du jour où il sera possible de voyager dans un ballon dirigeable pour aller de Sault-Ste-Marie à une communauté isolée.
La conférence se déroule à l’hôtel Sheraton Airport jeudi 14 et vendredi 15 mars 2019.