Le chasseur de papillons du Nord québécois
Des papillons dans le Grand Nord québécois? Aussi étonnant que cela puisse paraître, un chercheur répertorie les rares espèces pour mieux comprendre les effets des changements climatiques sur la biodiversité. Une aventure écologique au cœur du Nunavik qui inclut la participation des Autochtones de la région.
C’est en 2014 que Maxim Larrivée a commencé à dresser l’inventaire des papillons et autres insectes pollinisateurs du Nunavik en compagnie de jeunes Inuit et Cris. Depuis, plusieurs autres expéditions ont été menées sous sa houlette, dont la plus récente s’est déroulée en août dernier.
« Au Québec, on compte plusieurs espèces de papillons vivant au-delà du 55e parallèle, tels le Cuivré de la potentille ou le Cuivré des tourbières, explique le chercheur en entrevue. L’étude de ces insectes volants en zone boréale est une source inestimable d’analyses. »
Originaire de Rimouski, Maxim Larrivée est un spécialiste passionné de l’entomologie, branche de la zoologie spécifique aux insectes. L’homme de 42 ans, qui vient d’être nommé nouveau directeur de l’insectarium de Montréal, s’intéresse depuis longtemps à la présence des papillons au Canada. Il s’est rendu compte que le Grand Nord demeure toujours une terra incognita pour les entomologistes.
« On en sait trop peu, regrette-t-il. Pourtant, les insectes présents là-bas sont essentiels au fonctionnement des écosystèmes de ce territoire. C’est d’autant plus important de les connaître que les changements climatiques bouleversent la région.
En effet, le Grand Nord canadien et l’Arctique restent les zones où les changements climatiques sont les plus prononcés. Une récente étude, publiée en avril dans Nature Communications, concluait que ces régions n’avaient jamais été aussi chaudes depuis 10 000 ans.
« Les changements climatiques, il y en a toujours eu, rappelle M. Larrivée. La préoccupation qu’on a présentement se situe dans l’intensité et la rapidité avec laquelle ils se produisent. Pour pouvoir mesurer et comparer ces changements, ça nous prend des données entomologiques de base. En ce qui concerne le Grand Nord, ces données demeurent insuffisantes. »
Devant l’urgence climatique, Maxim Larrivée a décidé de lancer son projet Les sentinelles du Nunavik, un programme de formation mené en collaboration avec l’Administration régionale Kativik et destiné aux jeunes Autochtones inuit et cris. Son but : leur permettre d’inventorier et de préserver les insectes trouvés dans leurs territoires ancestraux. Le défi est de taille, puisqu’ils n’ont devant eux qu’une fenêtre de six semaines par année pour atteindre leurs objectifs.
« L’étendue à explorer est énorme et la saison d’observation est très courte, concède M. Larrivée. Mais l’acuité visuelle de ces jeunes pour identifier les espèces différentes est hors du commun. Ils sont capables instinctivement de distinguer les papillons ou de les relier à une autre espèce comme j’ai rarement vu. »
De la baie d’Ungava jusqu’à la baie d’Hudson, à travers les parcs de Kuururjuaq, de Pingualuit et de Tursujuq, les expéditions en pleine nature rassemblent les Autochtones des villages du Grand Nord. Apprendre des mots du vocabulaire des langues inuit et crie facilite les prises de contact, ajoute le chercheur.
« Il y a dans les langues autochtones un souci de la description qui s’arrime parfaitement à la réalité du territoire, dit-il. J’ai découvert avec eux le lexique des insectes avec une certaine fascination. Prenez par exemple le bourdon, qui se dit iguttaq (ou igutsa) en inuktikut, ce qui veut dire « celui qui aime les fleurs ». Il y aussi le terme papillon (tarralikitaaq), qui signifie « celui qui bouge beaucoup ». C’est vraiment magnifique. »
Malgré l’initiative assez récente de son projet Les Sentinelles du Nunavik, le chercheur et ses équipes – quatre jeunes Cris de Kuujjuarapik et six jeunes Inuit originaires de différents villages (Kuujjuaq, Kangirsuk, Kangiqsujuaq et Salluit) lors de l’expédition de 2018 – ont pu compter sur plusieurs découvertes.
« On a réussi à localiser un tout petit papillon prénommé l’Hespérie échiquier à environ 500 kilomètres au nord de son habitat naturel. J’ai été très étonné de le trouver à cet endroit. Les papillons sont très sensibles aux variations climatiques, précise M. Larrivée. Les espèces qui n’arrivent plus à survivre au sud parce qu’il fait trop chaud peuvent se déplacer en direction du Nord.
L’impact du réchauffement climatique sur les populations
Toutefois, il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions, prévient M. Larrivée. La présence d’une espèce dans le Grand Nord peut s’expliquer d’une multitude de façons, et le manque d’inventaire ne facilite pas le travail des scientifiques.
« Il y a un certain nombre de spécimens qu’on récolte qui sont considérés pour l’instant comme des espèces endémiques à l’Arctique. Il reste que cela prendra plusieurs années d’analyse pour déterminer si ce sont des espèces à part entière qui se sont déplacées jusque-là, ou bien seulement des sous-espèces déjà présentes dans les zones boréales. »
« Notre méconnaissance de cette faune nous empêche d’évaluer à quelle vitesse l’environnement et sa biodiversité entomologique changent sous l’impact des réchauffements climatiques », poursuit-il.
Toutefois, à l’échelle humaine, Maxim Larrivée voit bien que les changements climatiques font déjà leurs effets sur le quotidien des communautés inuits et cries. « Les aînés à qui je parle me racontent tout ce qui a changé depuis leur enfance. Ils m’expliquent que les paysages se modifient autour d’eux. Certains me disent que les rayons du soleil ne touchent plus leur peau de la même façon qu’avant », conclut-il.