Sheila Watt-Cloutier, une voix forte pour l’Arctique

Sheila Watt-Cloutier en séance de signature pour son ouvrage Le droit au froid, lors du Salon du livre de Montréal. (Anne-Marie Yvon / Radio-Canada)
Une étude récente, publiée dans la revue scientifique Nature Climate Change, nous apprenait que si rien n’est fait pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici 50 ans l’océan Arctique risque de ne plus être recouvert de glace, ce qui aura un impact important pour le reste du monde.

Sheila Watt-Cloutier n’a pas eu besoin de ces récents travaux de recherche pour en arriver à cette conclusion. Depuis plusieurs années, elle observe et dénonce les changements climatiques sur le toit du monde.

« Je ne me considère pas une militante, je ne me présente pas comme une activiste », dit d’entrée de jeu Sheila Watt-Cloutier. Cette Inuk, née à Kuujjuaq (alors Old Fort Chimo) au Nunavik préfère le terme défenseure des droits de la personne, des droits culturels, de la conservation de la culture et des droits environnementaux.

Son destin d’exception – elle est une personnalité reconnue à l’échelle internationale – a été identifié dès son jeune âge, comme elle le raconte dans son ouvrage Le droit au froid, publié chez Écosociété en début d’année 2019.

En effet, après quatre ans sur les bancs d’école la jeune Siila, de son prénom inuit, a été choisi avec quelques autres dans le cadre d’un programme fédéral pour aller étudier dans le Sud « afin de favoriser l’éclosion de leur potentiel de futurs chefs de file ».

Elle admet avoir emprunté un chemin politique pendant 11 ans pour parler et agir au nom de ses concitoyens. Après avoir travaillé en santé et en éducation, elle devient secrétaire générale de l’institution inuit la plus puissante du Nunavik, la Société Makivik, dont le mandat est de gérer les revendications territoriales des Inuit découlant de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Elle est ensuite élue présidente de la Conférence circumpolaire inuit (CCI), d’abord au niveau national et puis à l’international. Si cet organisme qui représente les 155 000 Inuit du Canada, des États-Unis, de la Russie et du Groenland est une organisation non gouvernementale, « nous étions un quasi-gouvernement pour nos électeurs à ce niveau », précise Sheila Watt-Cloutier.

Plusieurs communautés inuites du Nord canadien doivent adapter leurs pratiques aux nouvelles réalités qu’imposent les changements climatiques. La pêche et la chasse, qui assurent depuis plusieurs siècles la subsistance des Inuits, sont confrontées au déclin de certaines espèces contre l’apparition d’autres. (Matisse Harvey/Regard sur l’Arctique)

C’est à cette époque qu’elle observe concrètement les effets néfastes des changements climatiques et décide de défendre l’environnement et les droits de la personne. « Tout de suite, j’ai participé aux négociations internationales sur les polluants organiques persistants qui empoisonnent notre chaîne alimentaire et qui se retrouvent dans le lait maternel de nos mères à des niveaux très élevés ».

Elle savait en tant que mère et future grand-mère qu’il ne s’agissait pas seulement d’un enjeu lié aux produits chimiques, que ce n’était pas simplement une question environnementale, « mais avant tout une question de santé pour nous ».

Et c’est ainsi, tout naturellement, qu’elle devient une pionnière en liant l’impact des changements climatiques aux droits de la personne.

En 2005, sous sa présidence au Conseil circumpolaire inuit (CCI), elle et 65 autres Inuit déposent une pétition auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Ce recours accusait les États-Unis de violer les droits des Inuit avec leurs importantes émissions de gaz à effet de serre.

Cette même année, elle laisse derrière elle le monde politique et choisit plutôt la manière indépendante de défendre et de protéger son territoire, l’Arctique, sa culture et ultimement la planète en prenant la parole publiquement et par le biais de l’écriture.

Le combat d’une Inuk

Sheila Watt-Cloutier est nommée officière de l’Ordre du Canada en 2006. Déjà sa réputation n’est plus à faire hors du pays, mais il en est autrement chez elle.

L’année suivante elle est mise en nomination pour le prix Nobel de la paix pour ses prises de position politiques et environnementales, « les Canadiens se sont dit : « Oh une Canadienne? Qui est-ce? » Ils ne savaient pas du tout qui j’étais », se rappelle Mme Watt-Cloutier.

Les choses ont changé pour elle après cette importante nomination. En 2015, elle publie un ouvrage remarqué, The Right to Be cold: One Woman’s Story of Protecting Her Culture, the Arctic and the Whole Planet.

En 2015, Sheila Watt-Cloutier, à droite, a reçu le Right Livelihood Award, décerné par Jakob von Uexkull, le fondateur du prix, pour avoir protégé les Inuits de l’Arctique et défendu leur droit de conserver leurs modes de vie et leur culture, fortement menacés par les changements climatiques. (Vilhelm Stokstad/TT via AP)

Cette année, ce livre, traduit en français par Gérald Baril, a révélé aux francophones le travail acharné de cette Inuk.

Le droit au froid : Le combat d’une femme pour protéger sa culture, l’Arctique et la planète raconte une époque où les traîneaux à chiens étaient légion, où les familles se déplaçaient encore sur leur territoire de chasse et de pêche pour subvenir à leurs besoins de base, où le savoir des aînés et sa transmission était un gage de survie et de prospérité pour la communauté.

L’autrice décrit ensuite le déclin rapide de ce mode de vie millénaire causé par la colonisation, l’industrialisation et des changements sociaux brutaux.

Les changements ont été spectaculaires par rapport à l’époque où j’étais enfant.
Sheila Watt-Cloutier

Pour les Inuit, la glace, la neige et le froid sont une force vitale, dit Sheila Watt-Cloutier. « Nous chassons et pêchons dans ces éléments. Pour nous, c’est une question de mobilité, ce sont nos autoroutes ». Mais lorsque ces éléments se modifient et deviennent imprévisibles, cela se transforme en enjeu de sûreté et de sécurité. L’autonomie économique en est bouleversée, tout comme la culture des Inuit.

Autrefois les Inuit se déplaçaient sur la glace dès l’automne, ce n’est plus le cas. La glace se forme plus tard et se brise beaucoup plus tôt. « Les conditions météorologiques sont imprévisibles de nos jours ».

 Et les conséquences sont dramatiques, le pergélisol fond, les côtes s’érodent, particulièrement dans l’Inuvialuktun, dans l’ouest de l’Arctique canadien, près de la mer de Beaufort , explique Mme Watt-Cloutier.

Les décès associés à ces changements représentent, malgré leur petit nombre, un ratio important par rapport à la population totale des Inuit dans le monde, ils ne sont qu’environ 155 000, dit-elle encore.

Les connaissances des aînés sont aussi mises à rude épreuve, ceux-ci ne pouvant plus se fier à la météorologie pour planifier la vie quotidienne.

Changements dans le Nord, répercussions dans le Sud

Sheila Watt-Cloutier ne cesse de répéter que l’Arctique est le climatiseur de la planète grâce à la glace qui recouvre cette région comptant pour 40 % du territoire canadien. Mais c’est là, tout comme à l’autre pôle, que le réchauffement planétaire se fait le plus rapidement. « Et ce qui se produit dans l’Arctique ne se cantonne pas à l’Arctique ».

On ne peut ignorer ce qu’il se passe en Arctique, simplement parce que les répercussions se font sentir partout sur la planète.
Sheila Watt-Cloutier

Depuis plus de 20 ans, Sheila Watt-Cloutier répète le même message, expliquant que l’impact des changements climatiques sur l’Arctique est un signe précurseur pour le reste du monde. « Si vous protégez l’Arctique, vous protégez le cœur de la planète ».

Mais conscientiser les populations est une tâche titanesque, ajoute-t-elle, « tant que les gens se sentent en sécurité dans le confort de leur foyer, dans leur environnement urbain, ils ne s’en font pas », elle blâme aussi le monde politique lent à régler le problème et peu enclin à bouleverser l’économie mondiale en modifiant, entre autres, la façon de faire des affaires.

« J’agis de manière indépendante depuis 2005, depuis que j’ai quitté la politique, alors j’ai la liberté de dire ce que je veux, d’écrire ce que je veux, sans contrainte. Et je n’ai pas cessé une minute d’être passionnée par ces enjeux », dit Sheila Watt-Cloutier, qui continue d’exiger la reconnaissance, à l’échelle internationale, du bien-être environnemental comme un droit humain fondamental.

Anne-Marie Yvon, Espaces autochtones

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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