« L’enfant qui danse » défendra le territoire canadien du Nunavut : Ottawa n’a qu’à bien se tenir

Mumilaaq Qaqqaq est la nouvelle députée de la circonscription de Nunavut. (Marc Godbout / Radio-Canada)
À peine élue, Mumilaaq Qaqqaq est devenue une sensation. La nouvelle députée du NPD porte sur ses épaules les rêves, les attentes, mais aussi le désespoir de la jeunesse du Nunavut. Son arrivée à Ottawa représente du même coup une rebuffade à l’endroit du gouvernement Trudeau.

Le soir de l’élection fédérale, une grande secousse sociale et politique s’est produite au Nunavut, loin des projecteurs.

Il suffit d’écouter attentivement Aasivak Qumuatuq pour en saisir la signification et la portée.

Cette mère de deux enfants et interprète en langue inuktitut habite Pangnirtung, une des 25 communautés du territoire. Elle aborde avec fierté et avec un grand sourire ce qu’elle décrit comme un « tournant » pour les Inuit du Nunavut : l’élection de Mumilaaq Qaqqaq.

« Plusieurs de nos jeunes ont un besoin urgent de repères. Ils se sentent oubliés. Cette génération avait besoin d’une guide, elle vient de la trouver. »
Aasivak Qumuatuq

Au Nunavut, un élément fondamental s’inscrit maintenant dans l’équation politique. Le territoire compte la population la plus jeune du Canada. L’âge moyen est de 25 ans; Mumilaaq Qaqqaq en a 26.

Un jeune inuk à Iqaluit, au Nunavut. (Marc Godbout / Radio-Canada)

Jamais une députée n’avait été élue sous la bannière néo-démocrate depuis la création du Nunavut, il y a 20 ans. Les Inuit s’étaient rangés du côté d’un des deux partis qui s’échangent le pouvoir.

Aasivak Qumuatuq aime raconter qu’en inuktitut, Mumilaaq signifie « l’enfant qui danse ». C’est le surnom qui lui a été donné, précise l’interprète. « Elle ne manque pas d’énergie ». Et de l’énergie, elle en aura besoin.

Ces jours-ci, il faut de la persévérance pour obtenir un rendez-vous avec la nouvelle députée du Nunavut. Tout le monde veut rencontrer Mumilaaq Qaqqaq.

Son arrivée en politique est aussi le début d’un casse-tête logistique. Sa circonscription, la plus grande au Canada, couvre près de 2 millions de kilomètres carrés – l’île de Montréal fait environ 500 km2. Bref, c’est 21 % de la surface totale du pays. Il faut ajouter à cela trois fuseaux horaires.

« Je ne suis pas là pour combler un siège, je suis là pour aider 38 000 personnes du plus grand territoire de la nation », tient à signaler Mumilaaq Qaqqaq.

La députée Mumilaaq Qaqqaq est en compagnie d’une résidente d’Iqaluit. (Marc Godbout / Radio-Canada).

« Durant toute la campagne, rien n’était scripté. J’ai eu la liberté de parler de nos réalités. Les gens ont compris que je peux être une voix forte sans être au pouvoir. »

Ses réponses franches et sans détour suggèrent que la nouvelle députée n’est nullement intimidée. Mais les défis qui l’attendent semblent aussi immenses que le territoire de sa circonscription.

« Beaucoup de gens vivent dans les conditions du tiers-monde et leurs droits fondamentaux sont bafoués. Comment pouvons-nous parler d’autre chose alors que nous sommes incapables d’offrir ces droits à tous les Canadiens ? »
Mumilaaq Qaqqaq, députée du NPD

À sept reprises, le premier ministre Trudeau ou des ministres se sont rendus au Nunavut durant l’été. Mais cette présence a peut-être finalement laissé un arrière-goût, une saveur d’opportunisme politique.

L’exemple le plus éloquent a eu lieu la veille du déclenchement des élections quand le gouvernement a finalement annoncé son « Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord ». Justin Trudeau avait pourtant promis cette politique en début de mandat.

« Je l’ai signalé à tout le monde. J’ai dit : où était Trudeau il y a quatre ans? Où était-il il y a trois ans? Où était-il il y a deux ans? Pourquoi se présente-t-il ici maintenant ? »

Mumilaaq Qaqqaq veut que son peuple soit « écouté, compris et respecté ». Entendre des excuses ne suffit plus, attendre des années pour des projets de logements a ses limites. Le Nunavut a besoin de beaucoup plus, et plus rapidement.

Le grand drame qui hante Mumilaaq et le Nunavut

La députée reste profondément attachée à Qamani’tuaq. Ce hameau qui l’a vue grandir est mieux connu sous le nom de Baker Lake. Mais elle ne s’y rend que très rarement. Le traumatisme et la douleur sont encore trop présents.

« Au cours des 11 derniers mois, nous avons perdu cinq personnes. J’ai des amis et des proches qui ont mis fin à leurs jours. C’est quelque chose avec lequel je compose difficilement sur le plan émotif. »

Le cimetière d’Iqaluit au Nunavut. (Marc Godbout / Radio-Canada)

Le taux de suicide au Nunavut est près de neuf fois plus élevé que la moyenne nationale. Tout le monde ici est touché.

Jusqu’à tout récemment, la nouvelle députée occupait un poste dans une agence du gouvernement territorial chargée de la prévention du suicide et du mieux-être.

« Combien de personnes devront encore mourir avant que quelque chose se produise ? Nous avons le taux de suicide le plus élevé au pays et c’est comme ça depuis trop longtemps. »
Mumilaaq Qaqqaq, députée du NPD

La détresse est multifactorielle : pénurie de logements sociaux, prévalence de maladies mortelles comme la tuberculose, coût de la vie…

Et la soupe populaire d’Iqaluit est un rappel brutal des nombreux défis associés à la réalité sociale. Il peut y avoir jusqu’à 120 personnes qui font la queue le midi pour y recevoir un repas. Pour certains, ce sera le seul de la journée.

Les plus récentes études ont démontré que près de la moitié des ménages ne mangent pas à leur faim. C’est quatre fois plus que dans le sud du Canada.

Des Inuit se font servir un repas chaud à la soupe populaire d’Iqaluit. (Marc Godbout / Radio-Canada)
« Les montagnes sont belles, mais ce qui se cache sous cette beauté est si affreux ! »
Mylena Idlout-Mullin

Mylena Idlout-Mullin a 18 ans, mais elle s’exprime comme si elle était trois fois plus âgée. Elle rêvait du jour où elle pourrait voter pour la première fois, voter pour Justin Trudeau.

« J’ai vraiment cru que Justin Trudeau était une occasion unique pour le Nunavut, j’ai fini par ne plus croire en lui. »

Alors, comme tant d’autres jeunes, Mylena a préféré tourner le dos aux libéraux. « Maintenant, j’ai une voix. »

Mylena Idlout-Mullin a voté pour Mumilaaq Qaqqaq. (Marc Godbout / Radio-Canada)
Un pied de nez au gouvernement libéral

L’arrivée sur la scène fédérale de Mumilaaq Qaqqaq n’est donc pas un accident.

À Ottawa, des sources au sein du gouvernement Trudeau expliquent sous le couvert de l’anonymat que de perdre le Nunavut a été « un des coups les plus durs à encaisser » le soir du 21 octobre.

Ce résultat expose la fragilité du parcours vers la réconciliation. « C’est une cassure, c’est un choc », explique-t-on. Nos sources au gouvernement s’attendent à devoir faire face à une députée très revendicatrice : « Ça change la donne ».

Le chef du NPD Jagmeet Singh et la députée de Nunavut, Mumilaaq Qaqqaq en compagnie de deux jeunes filles à Iqaluit. (Marc Godbout / Radio-Canada)

La semaine dernière, Iqaluit recevait à bras ouverts le chef du NPD, Jagmeet Singh, qui se rendait pour la première fois au Nunavut.

En fait, la capitale a été témoin de deux événements politiques en l’espace de quelques heures. L’autre événement étant la visite de la ministre Mélanie Joly, maintenant responsable de l’Agence canadienne de développement économique du Nord.

« Ce qui nous préoccupe, c’est comment on peut être plus proche d’eux. Présence et écoute, empathie et mode solutions », admet la ministre, qui souhaite que l’Agence mise davantage sur une approche de proximité.

« Je pense que, 20 ans après la création du Nunavut, les gens veulent savoir en quoi le gouvernement fédéral est pertinent dans leur vie. »
Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Depuis 2015, Justin Trudeau a construit des relations avec les organisations inuit et l’élite du Nunavut. Mais ce partenariat Inuit-Couronne ne semble visiblement pas avoir atteint les communautés.

 C’est normal que le Nunavut soit égoïste 

Les jeunes électeurs inuit se sont exprimés. Ils ont non seulement recoloré la carte électorale fédérale, mais ils ont aussi lancé un avertissement en rejetant la vision des libéraux à l’égard du Nunavut et de l’Arctique.

« Je crois que c’est normal que le Nunavut soit égoïste. Il a le droit de l’être », explique Mylena Idlout-Mullin. « Nous devons avoir plus de jeunes Inuit comme Mumilaaq pour nous permettre de sortir de l’ombre. »

La colère, les rêves et les attentes. Ils s’accrochent et placent beaucoup d’espoirs en elle.

Mumilaaq Qaqqaq a une lourde mission. Ressent-elle tout ce poids? « Ce n’est pas un poids, les jeunes sont brillants, inspirants et motivants. »

Son regard indique qu’elle n’a pas aimé la question.

« On m’a sous-estimée toute ma vie et je ne cesse de prouver que les gens ont tort. »

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