La fonte de l’Arctique aurait déclenché un refroidissement de la Terre il y a des milliers d’années

L’un des derniers vestiges de la glace « paléocrystique » autrefois abondante, vu ici au large de la côte de l’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien, en juillet 2002. À la fin de la dernière période glaciaire, une telle glace aurait recouvert de grandes parties de l’océan Arctique et aurait atteint une épaisseur de 50 m par endroits, créant ainsi un énorme réservoir d’eau douce indépendant des lacs et des calottes glaciaires terrestres. Les simulations de modèles climatiques indiquent que la rupture de cette glace aurait libéré suffisamment d’eau douce dans l’Atlantique Nord pour affaiblir un courant climatique majeur et déclencher des épisodes de refroidissement climatique brutal. (Courtoisie : C. Braun, Westfield State University, Massachusetts, USA)
En libérant de grandes quantités de glace il y a 8000 à 13 000 ans, l’Arctique aurait déstabilisé les courants climatiques terrestres et provoqué une période de refroidissement, avance une étude récente.

Ce serait toute l’eau douce contenue dans les glaces qui, en fondant, se serait mêlée aux eaux de l’océan Atlantique et aurait ralenti un courant climatique majeur, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC). Ce ralentissement aurait par la suite mené à un refroidissement de la planète.

Les scientifiques de l’Université du Massachusetts à Amherst et de la Woods Hole Oceanographic Institution ont étudié le passé afin de mieux comprendre les changements climatiques actuels et de prédire les possibles conséquences qui en découlent.

Il y a 21 000 à 13 000 ans, la Terre vivait une phase de réchauffement ponctuée par des périodes de refroidissement. Les scientifiques ont longtemps cherché à comprendre à quoi étaient dues ces chutes de température.

« On a souvent émis l’hypothèse que ces périodes de refroidissement coïncidaient avec des périodes où beaucoup plus d’eau douce était déversée de la terre vers l’océan, explique Alan Condron, l’auteur principal de l’étude. Mais il y a toujours eu quelques imprécisions dans cette théorie, le lien n’était pas aussi évident. »

C’est ainsi qu’Alan Condron et Raymond Bradley, directeur du centre de recherche sur les systèmes climatiques de l’Université du Massachusetts à Amherst ont émis leur hypothèse. Ce serait la fonte des glaces de l’Arctique, qui contiennent d’énormes quantités d’eau douce, qui aurait perturbé les courants climatiques et, à terme, entraîné un refroidissement de la planète.

Lorsque les chercheurs ont calculé l’épaisseur des glaces arctiques dans le passé, ils ont trouvé qu’elle variait de 35 à 50 mètres. Aujourd’hui, les glaces arctiques dépassent rarement les cinq mètres d’épaisseur indique Alan Condron. Photo de glace prise au Nunavut, dans le nord-est du Canada. (Jeff McIntosh/La Presse canadienne)
Estimer l’épaisseur des glaces arctiques

Afin de vérifier leur hypothèse, les deux chercheurs ont mis en place des modèles climatiques permettant de simuler l’étendue et l’épaisseur des glaces de l’Arctique. Avec ces données en main, ils ont ensuite pu établir le volume d’eau douce contenu dans la région arctique. Les résultats obtenus ont quelque peu surpris les scientifiques.

« Dans nos modèles, nous avons observé de la glace d’une épaisseur de 35 à 50 mètres, ce qui, selon les normes modernes, est particulièrement épais. La glace que nous observons aujourd’hui est de deux, trois mètres d’épaisseur, à certains endroits elle atteint juste cinq mètres. »Alan Condron, l’auteur principal de l’étude

Condron et Bradley ont donc cherché à vérifier ces données en se basant sur les plus anciennes observations disponibles.

Ils ont examiné les carnets de bord et les journaux des expéditions arctiques du début des XIXe et XXe siècles pour voir si ces explorateurs avaient observé des glaces aussi épaisses. Leurs voyages ont notamment eu lieu à la fin d’une « petite ère glaciaire ».

En 1884, un article publié dans le Harpers Weekly décrit l’apparition soudaine d’une « monstrueuse » île de glace de plus de 11 km de long au large de la côte de St. Johns, Terre-Neuve, Canada, qui était « sans doute la même que celle signalée dans les hautes latitudes », avant d’émettre un avertissement alarmiste : « Malheur au Mail Steamer qui s’écrasera à nouveau sur ses flancs ou sur sa base cachée ». Le 14 avril 1912, le RMS Titanic a heurté un iceberg juste au sud de cette région, à une époque où il y avait près de deux fois et demie plus d’icebergs dans l’Atlantique Nord que d’habitude. (Harpers Weekly, 1884, New York: Harper’s Magazine Co., p. 650, Vol. XXVIII, no 1450)

Ce sont les écrits du vice-amiral Sir George Nares qui ont confirmé leur théorie. Il a dirigé l’expédition arctique britannique de 1875 dans le détroit de Nares, entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, au nord-est du Canada.

Marqué par l’épaisseur inouïe des glaces (35 à 50 mètres), Nares a même créé le terme de « glace paléocrystique » pour décrire « de la banquise… d’une épaisseur colossale avec une surface des plus inégales et recouverte de profondes couches de neige. »

L’expédition de Nares (1875) pour trouver le pôle Nord, telle qu’elle est représentée dans The Graphic (1876). En voyant cette épaisse couche de glace, le vice-amiral Sir George Nares déduisit qu’elle devait être extrêmement vieille, et qu’elle devait se trouver dans l’Arctique depuis longtemps. On a découvert que cette « mer de glace ancienne », comme il l’a appelée, s’étendait le long de la côte nord du Canada arctique sur plus de 450 km et qu’elle avait par endroits une épaisseur de 35 à 50 mètres. Le récent réchauffement climatique dans l’Arctique a provoqué la rupture et la fonte d’une grande partie de cette vieille et épaisse glace, mais ces journaux sont une « fenêtre » sur ce que devait être l’Arctique à une époque plus reculée, pendant la dernière période glaciaire. (The Graphic, 1876; publisher: William Luson Thomas Company, Illustrated Newspapers Ltd.)
« Nous voyons des changements importants dans l’Arctique depuis les premières observations satellites dans les années 1980. Ces changements sont évidemment assez choquants, mais ils le sont encore plus quand on les met en perspective avec ce que Nares et les autres explorateurs ont vu il y a à peine 150 ans. »Alan Condron, l’auteur principal de l’étude

Cette fonte est attribuable aux activités humaines telles que l’extraction de matières premières et les émissions de gaz à effet de serre, explique Alan Condron.

« Bien que le récent réchauffement climatique dans l’Arctique ait provoqué la fonte d’une grande partie de cette vieille et épaisse glace, on en trouvait encore de gros morceaux au début du XXe siècle », notamment des morceaux de banquise utilisés comme stations de recherche scientifique par les États-Unis et la Russie à la fin de la guerre froide, précise Condron dans un communiqué de presse.

Le British Royal Mail Steamer, Britannia, alors qu’il quittait son quai de Boston le 3 février 1844, à destination de Liverpool. La glace était si épaisse qu’un canal d’environ 11 km de long et de plus de 30 mètres de large fut creusé dans la glace. En février de la même année, le port de Boston fut complètement fermé par les glaces et le trafic maritime dut en grande partie être dirigé vers New York et d’autres villes plus au sud. (Ferd. Mayer & Co. (lithographer), 1876)
Un possible scénario catastrophe

Une fois l’épaisseur des glaces vérifiée, la théorie selon laquelle l’eau douce des glaciers a ralenti l’AMOC devient donc plausible.

« Lorsque vous ralentissez l’AMOC, vous réduisez la quantité de chaleur qui se déplace vers le nord, vers la côte est de l’Amérique et l’Europe. Cela revient à couper ce pipeline de chaleur qui va des régions des Tropiques vers l’Arctique, » explique l’auteur principal de l’étude.

En établissant cela, les deux chercheurs pensent avoir répondu à une énigme qui se pose à beaucoup de scientifiques : qu’est-ce qui a déclenché une période de refroidissement il y a environ 12 900 ans, connue sous le nom de « Dryas récent »?

La question maintenant, dans un contexte de fonte accélérée des glaces, est de savoir si ce phénomène pourrait se produire dans un futur proche.

« Un scénario envisageable à l’avenir est que si nous réchauffons la planète et que nous continuons à faire fondre les glaciers comme ceux du Groenland, de l’Antarctique et que nous faisons fondre davantage de glace de mer dans l’Arctique, il est possible que nous puissions ralentir le Gulf Stream. Nous pourrions ramener notre climat à un état plus froid. »

Alan Condron fait notamment référence au film « Le jour d’après » qui illustre un scénario similaire à ce qui se produirait si le Gulf Stream ralentissait. (Capture d’écran YouTube / Bande annonce «Le jour d’après» / 20th Century Fox)

Ce scénario reste incertain, mais nous commençons déjà à voir des conséquences de la fonte des glaces sur le climat comme l’a démontré une récente étude de la NASA (étude en anglais).

« Si on se base sur ce qu’il s’est passé il y a vingt mille ans, on observe que nous pouvons passer de conditions assez chaudes comme aujourd’hui à des conditions assez glaciales et froides en moins de 100 ans », conclut Alan Condron.

« Lorsque nous regardons le passé, nous observons que les changements climatiques de la Terre sont alarmants, ils sont rapides et leur ampleur est considérable. »

Correction
Une précédente version de ce texte indiquait que la fonte des glaces de l’Arctique avait provoqué une ère glaciaire. Par soucis d’exactitude, nous avons modifié ce terme par « période de refroidissement ». Cette version du texte a été modifiée.

Mathiew Leiser, Regard sur l'Arctique

Né dans le sud de la France d'une mère anglaise et d'un père français, Mathiew Leiser a parcouru le monde dès son plus jeune âge. Après des études de journalisme international à Londres, il a rapidement acquis différentes compétences journalistiques en travaillant comme journaliste indépendant dans divers médias. De la BBC à l'Agence France Presse en passant par l'agence d'UGC Newsflare, Mathiew a acquis de l'expérience dans différents domaines du journalisme. En 2019, il décide de s'installer à Montréal pour affronter les hivers rigoureux et profiter des beaux étés mais surtout développer son journalisme. Il a rapidement intégré Radio Canada International où il s'efforce de donner le meilleur de lui-même au sein des différentes équipes.

Une réflexion sur “La fonte de l’Arctique aurait déclenché un refroidissement de la Terre il y a des milliers d’années

  • dimanche 23 février 2020 à 08:28
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    Les physiciens savent depuis longtemps que la terre a connu plusieurs phases d’alternance de réchauffement et de refroidissement. Depuis quelques décennies, on a théorisé que la modification du cycle halin causée par la fonte des glaces pouvait être la cause d’un nouveau refroidissement. Cette explication est exposée dans un livre accessible et bien illustré publié en 2000 : Nataf, Henri-Claude, Sommeria Joël, La physique et la Terre, Belin CNRS Editions, 2000.

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