La fonte de l’Arctique aurait déclenché un refroidissement de la Terre il y a des milliers d’années
En libérant de grandes quantités de glace il y a 8000 à 13 000 ans, l’Arctique aurait déstabilisé les courants climatiques terrestres et provoqué une période de refroidissement, avance une étude récente.
Ce serait toute l’eau douce contenue dans les glaces qui, en fondant, se serait mêlée aux eaux de l’océan Atlantique et aurait ralenti un courant climatique majeur, la circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (AMOC). Ce ralentissement aurait par la suite mené à un refroidissement de la planète.
Les scientifiques de l’Université du Massachusetts à Amherst et de la Woods Hole Oceanographic Institution ont étudié le passé afin de mieux comprendre les changements climatiques actuels et de prédire les possibles conséquences qui en découlent.
Il y a 21 000 à 13 000 ans, la Terre vivait une phase de réchauffement ponctuée par des périodes de refroidissement. Les scientifiques ont longtemps cherché à comprendre à quoi étaient dues ces chutes de température.
« On a souvent émis l’hypothèse que ces périodes de refroidissement coïncidaient avec des périodes où beaucoup plus d’eau douce était déversée de la terre vers l’océan, explique Alan Condron, l’auteur principal de l’étude. Mais il y a toujours eu quelques imprécisions dans cette théorie, le lien n’était pas aussi évident. »
C’est ainsi qu’Alan Condron et Raymond Bradley, directeur du centre de recherche sur les systèmes climatiques de l’Université du Massachusetts à Amherst ont émis leur hypothèse. Ce serait la fonte des glaces de l’Arctique, qui contiennent d’énormes quantités d’eau douce, qui aurait perturbé les courants climatiques et, à terme, entraîné un refroidissement de la planète.
Estimer l’épaisseur des glaces arctiques
Afin de vérifier leur hypothèse, les deux chercheurs ont mis en place des modèles climatiques permettant de simuler l’étendue et l’épaisseur des glaces de l’Arctique. Avec ces données en main, ils ont ensuite pu établir le volume d’eau douce contenu dans la région arctique. Les résultats obtenus ont quelque peu surpris les scientifiques.
Condron et Bradley ont donc cherché à vérifier ces données en se basant sur les plus anciennes observations disponibles.
Ils ont examiné les carnets de bord et les journaux des expéditions arctiques du début des XIXe et XXe siècles pour voir si ces explorateurs avaient observé des glaces aussi épaisses. Leurs voyages ont notamment eu lieu à la fin d’une « petite ère glaciaire ».
Ce sont les écrits du vice-amiral Sir George Nares qui ont confirmé leur théorie. Il a dirigé l’expédition arctique britannique de 1875 dans le détroit de Nares, entre le Groenland et l’île d’Ellesmere, au nord-est du Canada.
Marqué par l’épaisseur inouïe des glaces (35 à 50 mètres), Nares a même créé le terme de « glace paléocrystique » pour décrire « de la banquise… d’une épaisseur colossale avec une surface des plus inégales et recouverte de profondes couches de neige. »
Cette fonte est attribuable aux activités humaines telles que l’extraction de matières premières et les émissions de gaz à effet de serre, explique Alan Condron.
« Bien que le récent réchauffement climatique dans l’Arctique ait provoqué la fonte d’une grande partie de cette vieille et épaisse glace, on en trouvait encore de gros morceaux au début du XXe siècle », notamment des morceaux de banquise utilisés comme stations de recherche scientifique par les États-Unis et la Russie à la fin de la guerre froide, précise Condron dans un communiqué de presse.
Un possible scénario catastrophe
Une fois l’épaisseur des glaces vérifiée, la théorie selon laquelle l’eau douce des glaciers a ralenti l’AMOC devient donc plausible.
« Lorsque vous ralentissez l’AMOC, vous réduisez la quantité de chaleur qui se déplace vers le nord, vers la côte est de l’Amérique et l’Europe. Cela revient à couper ce pipeline de chaleur qui va des régions des Tropiques vers l’Arctique, » explique l’auteur principal de l’étude.
En établissant cela, les deux chercheurs pensent avoir répondu à une énigme qui se pose à beaucoup de scientifiques : qu’est-ce qui a déclenché une période de refroidissement il y a environ 12 900 ans, connue sous le nom de « Dryas récent »?
La question maintenant, dans un contexte de fonte accélérée des glaces, est de savoir si ce phénomène pourrait se produire dans un futur proche.
« Un scénario envisageable à l’avenir est que si nous réchauffons la planète et que nous continuons à faire fondre les glaciers comme ceux du Groenland, de l’Antarctique et que nous faisons fondre davantage de glace de mer dans l’Arctique, il est possible que nous puissions ralentir le Gulf Stream. Nous pourrions ramener notre climat à un état plus froid. »
Ce scénario reste incertain, mais nous commençons déjà à voir des conséquences de la fonte des glaces sur le climat comme l’a démontré une récente étude de la NASA (étude en anglais).
« Si on se base sur ce qu’il s’est passé il y a vingt mille ans, on observe que nous pouvons passer de conditions assez chaudes comme aujourd’hui à des conditions assez glaciales et froides en moins de 100 ans », conclut Alan Condron.
« Lorsque nous regardons le passé, nous observons que les changements climatiques de la Terre sont alarmants, ils sont rapides et leur ampleur est considérable. »
Les physiciens savent depuis longtemps que la terre a connu plusieurs phases d’alternance de réchauffement et de refroidissement. Depuis quelques décennies, on a théorisé que la modification du cycle halin causée par la fonte des glaces pouvait être la cause d’un nouveau refroidissement. Cette explication est exposée dans un livre accessible et bien illustré publié en 2000 : Nataf, Henri-Claude, Sommeria Joël, La physique et la Terre, Belin CNRS Editions, 2000.