Quand la pandémie resserre l’étau de la violence contre les femmes du Nord canadien
Des refuges pour femmes du nord du Canada s’inquiètent du calme plat qui règne depuis quelques semaines dans leurs établissements. Cette baisse d’achalandage n’est pourtant pas le signe que la violence conjugale a diminué, disent-ils, mais bien qu’elle existe d’autant plus loin des regards.
« C’est certainement plus calme qu’en temps normal, affirme la directrice générale de l’organisme pour femmes YWCA NWT, Lyda Fuller, à Yellowknife. Nous savons que [cette violence] est toujours présente, mais les femmes pensent maintenant qu’elles n’ont plus d’issues. »
Entre le 5 et le 25 avril, aucune femme ne s’est présentée au refuge de Yellowknife. « En avril 2019, nous avions accueilli dix femmes et six enfants », indique Lyda Fuller.
Au Nunavut, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) affirme pour sa part avoir reçu moins d’une cinquantaine d’appels liés à de la violence conjugale entre le 13 mars et le 29 avril, soit une baisse d’environ 30 % par rapport à la même période, en 2019.
Pourtant, les territoires du Nord arrivent en tête des provinces et territoires les plus touchés au pays par la violence visant les femmes.
En 2017, une analyse de Statistique Canada concluait que les femmes de moins de 24 ans vivant dans le Nord représentaient 17 % des victimes de crimes violents au pays, alors qu’elles correspondent à moins de 7 % de la population féminine de cet âge à l’échelle nationale.
C’est donc dire que la pandémie n’a pas eu raison de ce fléau nordique, bien au contraire.
La présidente de l’organisme pour femmes inuit Pauktuutit, Rebecca Kudloo, croit même que la crise sanitaire a mis en relief les défis auxquels se heurtent déjà des refuges du Nord : « Nous avons seulement 15 refuges pour les 51 communautés de l’Inuit Nunangat [la région inuit du Nord canadien, NDLR]. »
La pandémie, un outil de dissuasion
« Les gens qui utilisent la violence pour contrôler [quelqu’un] vont l’utiliser encore plus [quand] eux-mêmes ressentent du stress », soutient la directrice du centre d’hébergement d’urgence Kaushee’s Place de Whitehorse, Ketsia Houde-McLennan.
En plus de renforcer l’isolement et la vulnérabilité des femmes victimes de violence, elle remarque que la pandémie est de plus en plus instrumentalisée par des hommes pour dissuader leur conjointe de quitter leur domicile.
« Il y a des situations où les femmes veulent partir, mais [leur conjoint] va prendre leurs clés de voiture, un de leurs souliers, leur téléphone, leur permis de conduire… », explique Kestia Houde-McLennan.
« Certaines femmes ont maintenant peur de mettre leurs enfants à risque », renchérit Rebecca Kudloo.
À plusieurs centaines de kilomètres au nord de la capitale yukonnaise, la directrice du refuge pour femmes de Dawson, Jen Gibbs, dresse le même constat. « Des femmes nous appellent […] et nous demandent quels types de procédures d’hygiène nous avons mis en place, dit-elle. Certaines femmes ont peur d’augmenter leurs risques de contracter le virus en venant au refuge. »
Règles de distanciation physique, procédures d’hygiène strictes, formation des employés… Les mesures de prévention se sont multipliées au refuge, pour limiter les risques d’infection, mais aussi pour rassurer les femmes, explique Jen Gibbs.
Des ressources d’aide au bout du fil
Sans surprise, les refuges constatent presque à l’unanimité une hausse importante du volume d’appels depuis les dernières semaines.
Au refuge pour femmes de Dawson, au Yukon, Jen Gibbs affirme ne jamais avoir reçu autant d’appels de femmes vivant à Mayo et à Pelly Crossing, deux communautés situées au nord de Whitehorse qui ne disposent pas de refuges pour femmes.
Pour répondre à cette demande, le refuge lancera à la mi-mai une ressource de soutien par messagerie texte, accessible durant le jour. L’établissement pensait d’abord pouvoir offrir ce service du lundi au vendredi, mais il devra finalement se restreindre à deux jours par semaine en raison de contraintes budgétaires.
« Il est parfois difficile pour elles d’aller chercher de l’aide par téléphone quand la personne qui les violente habite sous le même toit », explique Jen Gibbs.
Récemment, 325 téléphones cellulaires avec messagerie vocale et un accès Internet ont été mis à la disposition de femmes vulnérables au Yukon, contre 150 aux Territoires du Nord-Ouest.
Joints par courriel, les gouvernements des trois territoires nordiques affirment effectuer un suivi régulier avec leurs refuges pour femmes pour déterminer leurs besoins.
Ils assurent par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’appeler la ligne téléphonique d’urgence mise à disposition durant la pandémie afin d’obtenir l’autorisation de se rendre dans un refuge.
« Nous ne voulons voir personne se retrouver dans des situations dangereuses à cause de nos directives de santé publique », affirme le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.