Dans le Grand Nord canadien, les noms de lieux de la discorde au Nunavut

Près d’Iqaluit coule une rivière – quand elle n’est pas gelée – qui traverse un parc. Tous deux portent le nom de Sylvia Grinnell : un nom donné par un explorateur allochtone de la fin du 19e siècle. Un nom voué à être abandonné dans les prochaines années.
C’est un nom comme il y en a beaucoup au Canada, et ailleurs dans le monde, un nom donné par un voyageur originaire d’une puissance coloniale à un lieu qui n’avait pourtant pas attendu sa venue pour être nommé.
Près de la capitale nunavummiute, Iqaluit, le parc territorial Sylvia Grinnell, qui abrite des sites archéologiques, s’étend sur presque 45 km carrés. La rivière qui le longe à l’est est dite « remplie de poissons » selon son nom inuit, faisant du lieu une zone privilégiée pour la pêche à l’omble chevalier.
Sylvia Grinnell, même si elle n’a jamais mis les pieds au Nunavut, est pourtant associée à ce parc et cette rivière depuis la moitié du 19e siècle, une pratique courante à l’époque.
C’est un certain Charles Francis Hall qui a décidé de nommer le lieu de cette façon.
Entre 1860 et 1862, l’explorateur américain a été « le premier homme venu de l’extérieur vivre avec les Inuits dans la baie de Frobisher », raconte Linda Vaillancourt, la directrice de la division des parcs et endroits spéciaux du ministère de l’Environnement du gouvernement du Nunavut.

M. Hall aurait exploré jusqu’à l’extrémité supérieure de la baie.
Quand est venu le temps de nommer le parc et la rivière, son choix s’est porté sur Sylvia Grinnell, la fille de son ami et principal bienfaiteur, Henry Grinnell, un homme d’affaires new-yorkais.
Revenir au nom d’origine
Dernièrement, les voix se sont élevées pour que le parc et la rivière retrouvent leur nom d’origine, soit Iqaluit Kuunga.
Cela réjouit Leesee Papatsie, une Inuk qui s’occupe de la gestion des parcs et endroits spéciaux du Nunavut. « Les noms de lieux ont un nom pour une bonne raison et je sais que c’est une question de respect pour nos aînés qui ont vécu là bien avant nous et qui ont choisi ces noms », déclare-t-elle.
Mme Papatsie affirme que ce changement est attendu depuis longtemps, mais que les démarches en vue d’officialiser le nom Iqaluit Kuunga sont récentes.
Un nom de parc territorial ne se change toutefois pas en une nuit. Un comité local composé notamment de membres de la communauté doit en faire la recommandation dans son plan directeur.

Puis, celui-ci doit être approuvé par un comité territorial, qui le soumet au ministre de l’Environnement, qui doit ensuite présenter lui-même la demande au cabinet afin d’obtenir l’approbation.
Ce processus a été retardé par la pandémie, « mais j’ai bon espoir que début [de] 2022, le cabinet aura les documents en main », fait savoir Linda Vaillancourt.
Le 3e changement de nom depuis janvier 2020
Ce n’est pas la première fois que les habitants du Nunavut réclament que des noms de lieux soient abandonnés au profit des noms originaux. Au début de 2020, Cape Dorset a été rebaptisée Kinngait et Hall Beach, Sanirajak.
Le changement précédent remonte à 2015, quand Repulse Bay est redevenu Naujaat.

En attendant que le changement de nom soit officialisé, elle espère que ces noms retrouvés auront le pouvoir d’éveiller la curiosité des voyageurs.
« Ce serait bien que, quand les visiteurs veulent en savoir plus sur le Nunavut, ils posent des questions sur les noms de lieux et qu’ils demandent pourquoi ces noms ont été choisis », déclare Mme Papatsie.
Avec la contribution de Matisse Harvey