La Banque de l’infrastructure lance un fonds destiné aux projets autochtones verts notamment dans le Grand Nord canadien
La Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) annoncera vendredi la création d’un nouveau fonds visant à soutenir différents projets d’infrastructure autochtones, une initiative d’investissement qui sera dotée d’un budget initial de 1 milliard de dollars, a appris Espaces autochtones. Une bouffée d’air frais économique pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis.
Le PDG de la BIC, Ehren Cory, et la ministre fédérale de l’Infrastructure et des Collectivités, Catherine McKenna, en feront l’annonce lors d’une conférence sur l’investissement durable organisée par la Coalition des Premières Nations pour les grands projets, regroupant environ 70 communautés et groupes autochtones.
« Le marché commercial qui existe n’est pas bien construit pour répondre [aux besoins] des communautés autochtones », explique Ehren Cory.
Le nouveau fonds autochtone permettra à la BIC d’investir dans des projets de plus petite envergure que ce à quoi elle est habituée. À titre d’exemple, elle a investi des centaines de millions de dollars dans le Réseau express métropolitain (REM), à Montréal. Mais avec le nouveau fonds, elle pourra accorder des prêts d’un minimum 5 millions de dollars, à faible taux d’intérêt, qui pourront financer jusqu’à 80 % des coûts d’un projet.
Les initiatives entrepreneuriales qui seront financées doivent permettre à la fois d’encourager l’économie verte et de combler les carences en infrastructures autochtones, en matière de sécurité énergétique, de traitement des eaux ou d’accès à Internet, par exemple.
Membre du Conseil national de recherches Canada et président du conseil d’administration de Tugliq Énergie, Pierre Rivard milite depuis une trentaine d’années pour des sources renouvelables et moins polluantes en matière d’énergie. Il fait partie d’un groupe ayant cosigné en 2020 une lettre réclamant la création d’un fonds autochtone géré par la BIC. Il se réjouit de cette annonce.
C’est très difficile de garantir ce genre de prêts pour les banques conventionnelles, parce que souvent les communautés n’ont pas les actifs, en contrepartie d’un prêt, ou les revenus qui peuvent rembourser la dette. Ça va permettre d’enlever le risque financier dans une large mesure. Le risque ne sera plus sur le 100 % du prêt, mais sur le 20 %, explique-t-il.
Une éolienne géante à Salluit
Les représentants de la compagnie Tugliq et de sa consoeur inuit Ikayu espèrent notamment construire une géante éolienne à Salluit, au Nunavik, qui permettrait non seulement au village d’être alimenté en électricité, mais de gagner des revenus en vendant ses surplus d’électricité à Hydro-Québec.
« Au lieu d’être une dépense pour Hydro-Québec à déficit ou à perte, ça devient une source de revenus et de diversification économique pour la communauté », explique Pierre Rivard.
Ces sommes peuvent ainsi être réinvesties dans différents domaines, dit-il.
« Les carences en infrastructures, ça peut être au niveau de l’énergie, de l’eau, au niveau des logements sociaux, de la télémédecine, de l’accès à Internet. Ce sont toutes des carences infrastructurelles dont souffrent les communautés autochtones », précise M. Rivard.
Selon lui, ce nouveau fonds pourrait par exemple permettre à des communautés autochtones de partout au Canada de faire un virage du diesel vers des parcs solaires ou éoliens et de vendre de l’électricité à des sociétés d’État comme Hydro-Québec, Manitoba Hydro, Sask Power ou BC Hydro.
West Moberly veut une ferme solaire
À 300 kilomètres au nord de Prince George, en Colombie-Britannique, la Première Nation de West Moberly espère mettre sur pied un projet de ferme solaire. Des discussions sont en cours avec la compagnie W Dusk Group, spécialisée en énergie solaire.
« Il y a plus de 600 communautés autochtones au Canada, il y a une foule de projets possibles. Vous savez, certaines communautés n’ont toujours pas accès à de l’eau potable. Avec ce projet d’investissement, ça pourrait leur permettre de trouver une solution », explique le chef de West Moberly, Roland Willson.
Il faut dire que les Premières Nations sont toujours assujetties à la Loi sur les Indiens, qui soumet au gouvernement fédéral la gestion des terres sur les réserves. Or, les investisseurs privés et les institutions bancaires sont souvent réticents à accorder des prêts, puisqu’ils ne peuvent saisir les biens en cas d’insolvabilité d’une entreprise.
Une annonce « historique », selon le PDG de W Dusk
Joint à Vancouver, le PDG de W Dusk Group, David Isaac, un Micmac originaire de Listuguj, au Québec, estime qu’il s’agit d’un moment « historique ». Il fait partie du groupe qui recommande depuis deux ans aux élus de créer un fonds autochtone au sein de la BIC.
« C’est une occasion unique pour les Premières Nations, les Inuit et les Métis de faire partie d’un virage en matière de développement durable, d’une tendance mondiale vers une économie plus verte », explique-t-il.
David Isaac, qui travaille ces jours-ci sur différents projets de fermes solaires, dont celui de West Moberly, estime qu’il est grand temps que les Autochtones retrouvent leur autonomie sur le plan entrepreneurial.
L’Assemblée des Premières Nations (APN) et l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) n’ont pas souhaité commenter la nouvelle avant l’annonce.