Le Canada risque de perdre son rôle de leader en recherche arctique

Le NGCC Amundsen est le seul brise-glace ayant un mandat de recherche au Canada. (Luc Paradis/Radio-Canada)
S’il souhaite conserver son rôle de leader en exploration arctique et être un chef de file international dans l’étude des changements climatiques, le Canada doit rapidement trouver un successeur au NGCC Amundsen, selon la communauté scientifique, qui juge la stratégie mise en place par Ottawa trop risquée.

Malgré les intentions annoncées du fédéral de construire deux brise-glace polaires et six brise-glace de taille moyenne pour remplacer la flotte de la garde côtière, les chercheurs canadiens ne sont toujours pas assurés de profiter de la même liberté que celle offerte sur l’Amundsen.

Propriété de la Garde côtière canadienne, il est le seul navire parmi le groupe actuel de brise-glace à avoir un mandat national de recherche et à être muni d’équipements scientifiques à la fine pointe de la technologie.

Le NGCC Amundsen est utilisé comme brise-glace traditionnel durant l’hiver, mais devient une plateforme de recherche en été grâce à une entente entre la Garde côtière et le consortium Amundsen Science. (Jean Carlos Montero Serrano)

En vertu d’une entente de cogestion avec Amundsen Science, un consortium basé à l’Université Laval, à Québec, le brise-glace permet à des chercheurs de partout au pays d’avoir accès à un véritable laboratoire flottant dans l’Arctique. Il est mis à la disposition des scientifiques environ 125 jours par année, surtout en été.

« C’est grâce à ce navire-là qu’on a engrangé, depuis une vingtaine d’années, énormément de connaissances sur l’Arctique en changement », rappelle Alexandre Forest, océanographe et directeur général d’Amundsen Science.

Alors que le Nord canadien se réchauffe et se transforme, les scientifiques veulent préserver cette précieuse collaboration.

Le fédéral trop « frileux »

Bien que le partenariat avec la communauté scientifique ait « mis le Canada sur la carte de la recherche arctique », selon Alexandre Forest, le gouvernement fédéral ne s’est pas encore commis sur le remplacement de l’Amundsen dans sa stratégie de renouvellement des brise-glace.

Comme les autres navires de la flotte, le NGCC Amundsen est vieillissant et devra être remplacé d’ici une dizaine d’années. Pour l’instant, il n’a aucun successeur désigné qui aurait les mêmes particularités et le même mandat. « Pourquoi ne pas repérer, dans le lot, un navire qui serait vraiment le successeur de l’Amundsen, avec un mandat spécifique pour la recherche », ajoute Alexandre Forest.

« On ne comprend pas pourquoi le gouvernement canadien est aussi frileux […] On souhaite que ça se concrétise. Mais pour ça, ça prend réellement des engagements fermes. »Alexandre Forest, directeur général, Amundsen Science

Par le fait même, la Garde côtière canadienne, tributaire du plan fédéral, n’est pas en mesure de garantir la pérennité de l’entente de gestion avec Amundsen Science à ce stade-ci.

À un an des élections fédérales, M. Forest constate que la stratégie navale d’Ottawa est un dossier « extrêmement politique » qui met de côté certains points, comme la science, au profit « des annonces ».

L’intention de construire deux brise-glace polaires, dévoilée la semaine dernière, ne fait pas exception. « Faire des annonces en disant qu’on va continuer à [faire de la science] sans nommer un successeur à l’Amundsen, on trouve ça un peu dommage. »

Depuis sa conversion en navire de recherche en 2002, de nombreux équipements spécialisés ont été ajoutés à l’Amundsen, notamment grâce à des subventions de la Fédération canadienne pour l’innovation. (Jacques Boissinot/La Presse canadienne)
« Vœux » pieux et pari risqué

Au gouvernement, les idées semblent pourtant claires et les communications ne sont pas au conditionnel.

Dans un courriel envoyé à Radio-Canada, Pêches et Océans Canada indique que « le programme scientifique arctique du NGCC Amundsen sera entièrement appuyé par les nouveaux brise-glace polaires ». Quant au navire comme tel, son remplacement « sera assuré par un des six brise-glace prévus dans le cadre du programme ».

Si le plan semble bon sur papier, Alexandre Forest croit qu’Ottawa prend de bien grands risques, autant sur le plan financier que sur l’échéancier de construction. « C’est là où le bât blesse. Ce sont des vœux pieux », lance-t-il, rappelant que le récent bilan de la stratégie navale canadienne ne permet pas d’avoir pleinement confiance.

Le chantier maritime Davie a été mentionné pour la construction d’un des deux brise-glace polaires, mais ne s’est pas encore qualifié officiellement dans la stratégie de construction navale canadienne. (Marc André Turgeon/Radio-Canada)

D’une part, il mentionne que le chantier Davie, à qui serait confiée la construction d’un des deux brise-glace polaires et des six brise-glace, « n’est pas encore inclus dans la stratégie nationale du renouvellement de la flotte ». La direction du chantier et ses partenaires ont eux-mêmes évité de crier victoire la semaine dernière.

D’autre part, construire deux navires de 23 000 tonnes au Canada suppose « des coûts qui pourraient être faramineux ». M. Forest n’exclut pas que les ardeurs du gouvernement puissent être refroidies en cours de route. La facture des brise-glace polaires n’a pas encore été précisée, mais pourrait avoisiner les 2 milliards l’unité.

Sur l’échéancier, Alexandre Forest garde en mémoire la saga du NGCC John Diefenbaker, dont la construction a été annoncée la première fois en 2008 et qui devait être livré en 2017. Ce premier brise-glace polaire ne verra pas le jour, au mieux, avant 2030.

Retour en arrière?

Si le deuxième brise-glace polaire n’est pas construit comme annoncé, Amundsen Science ne voit pas comment le programme scientifique dans l’Arctique serait entièrement couvert par un seul brise-glace polaire, pour lequel la science ne serait qu’une responsabilité secondaire se classant derrière le déglaçage et les activités de recherche et de sauvetage.

Avant l’annonce surprise de la construction d’un deuxième brise-glace polaire, les chercheurs tentaient depuis des mois de convaincre le gouvernement fédéral de désigner l’un des six brise-glace du programme comme un successeur à l’Amundsen. « Si le risque est trop grand [avec les polaires], ce qui pourrait arriver si les coûts sont trop élevés, il faut garder un plan B », dit Alexandre Forest. Jusqu’ici, la demande n’a pas été entendue.

Le brise-glace Louis S. St-Laurent de la Garde côtière canadienne doit être remplacé par le NGCC John Diefenbaker. (Garde côtière canadienne)
« Ces brise-glace ne seront pas conçus spécifiquement pour des missions scientifiques, mais ils seront équipés pour utiliser un matériel scientifique modulaire, ce qui permettra aux navires de soutenir des missions scientifiques occasionnelles. »Pêches et Océans Canada

Ce n’est pas suffisant pour mener des missions diversifiées et aussi longues que celles de l’Amundsen, selon M. Forest. Les scientifiques proposent de s’asseoir autour d’une table avec le fédéral, la Garde côtière et le chantier maritime, en l’occurrence Davie. C’est, selon eux, « la seule manière de bien définir les besoins ».

Génération d’experts

Chacun des scénarios actuellement sur la table présente une part de risque importante, selon Amundsen Science, qui voudrait avoir des garanties plus sérieuses du fédéral.

Son équipe et ses partenaires appréhendent « de tomber entre deux chaises » et de voir 20 ans de travail s’effriter. Si le programme n’est pas maintenu tel quel, on craint « un retour dans les années 90 », lorsque les universitaires canadiens n’avaient accès qu’à « des miettes » du calendrier.

Les démarches d’Amundsen Science sont notamment soutenues par le Marine Environmental Observation, Prediction and Response Network (MEOPAR), un réseau de centres d’excellence universitaires canadiens. Ensemble, ils tentent de mobiliser la communauté scientifique, le secteur privé et la société civile autour de leur cause.

Pour ce faire, MEOPAR a mis sur pied la National Research Vessel Task Team.

Le NGCC Amundsen est aussi un navire école. (Clément Sabourin/AFP/Getty Images)

L’une des craintes est de perdre le statut actuel de l’Amundsen. Alexandre Forest rappelle que le programme des missions n’est pas dicté par la garde côtière, ce qui offre une liberté scientifique unique au pays. « Le programme est complètement distinct de ce qui se fait dans les départements fédéraux. Nous, on va dans toutes les directions. »

Les missions de l’Amundsen permettent également de faire de la formation. « On forme la relève, et ce sont ces gens-là qui vont se retrouver dans les départements fédéraux, dans le privé », conclut-il.

Le programme permet d’accumuler des connaissances et de créer la nouvelle cohorte d’experts.

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