Des faucons pèlerins du Grand Nord canadien sous la loupe de chercheurs depuis quatre décennies
Depuis près de 40 ans, des chercheurs de l’Université de l’Alberta surveillent attentivement la reproduction de faucons pèlerins près de Rankin Inlet, au Nunavut. Cette étude en continu, une tendance rare dans la recherche scientifique dans l’Arctique, leur permet de mesurer avec minutie l’impact des changements climatiques sur ces prédateurs.
Rankin Inlet, 11 h 30.
Andy Kadluk, un résident de cette communauté de quelque 2500 habitants, scrute le ciel en plissant les yeux. Il est accompagné de deux chercheurs de l’Université de l’Alberta qui l’ont suivi en périphérie du village. Au-dessus de leur tête, un faucon pèlerin plane entre les bourrasques.
« Faites attention à votre tête, lance Andy Kadluk, en riant. Il a l’air petit, mais il est bien capable de vous blesser. »
Le faucon, une jeune mère visiblement agitée, monte la garde devant le nid de son fauconneau. Andy Kadluk s’en approche doucement. Il a l’habitude de ces visites de routine.
Depuis une quinzaine d’années, cet Inuk originaire de Chesterfield Inlet travaille à titre de guide pour une équipe de chercheurs de l’Université de l’Alberta qui mesure l’évolution de la population de faucons pèlerins dans la région.
Ses connaissances du territoire et sa lecture de l’environnement aident les scientifiques à mieux comprendre leur périmètre de recherche. « Je leur apprends ce à quoi ils doivent s’attendre de la glace et du territoire », explique-t-il.
Cette compréhension de l’environnement est particulièrement importante dans le Grand Nord, qui se réchauffe, en moyenne, à un rythme plus de deux fois supérieur au reste de la planète.
Le projet de recherche, qui a débuté en 1982, est orchestré conjointement par l’Université de l’Alberta et le gouvernement du Nunavut. Les recherches scientifiques déployées sur plusieurs décennies sont plutôt rares dans le Grand Nord.
« La surveillance en continu est extrêmement importante parce qu’elle permet de suivre d’éventuelles tendances et de comprendre comment se portent les populations à long terme », affirme Erik Hedlin, chercheur à l’Université de l’Alberta et responsable du travail sur le terrain.
C’est d’ailleurs cette analyse en continu qui a permis à son équipe de constater un déclin du nombre de fauconneaux dans la région de Rankin Inlet entre 2000 et 2015, une tendance associée à la multiplication des précipitations estivales.
« Nos systèmes de modélisation prédisent une hausse des précipitations dans le Nord », souligne Erik Hedlin.
De fait, les fauconneaux sont connus pour être particulièrement vulnérables aux pluies abondantes, explique le chercheur. Lorsqu’ils naissent, ces animaux sont recouverts d’un duvet blanc qui, s’il est mouillé, leur fait perdre une importante quantité de chaleur.
« Si leurs parents ne sont pas là pour les protéger, il arrive qu’ils succombent en raison de la pluie », poursuit le chercheur.
Il ajoute que les précipitations nuisent aussi aux proies des faucons. Ces proies sont de petits oiseaux qui se nourrissent d’insectes. Or, « généralement, les insectes réduisent leurs déplacements lorsqu’il pleut », précise le scientifique.
Comme ce sont des prédateurs, les faucons pèlerins occupent une place privilégiée dans le réseau trophique. Même s’ils sont au sommet de la chaîne alimentaire, Erik Hedlin explique que leur présence contribue à l’équilibre de l’ensemble de l’écosystème arctique et que leur déclin pourrait exercer une « pression » sur d’autres espèces.
« C’est un système qui regroupe de nombreuses interactions, dit-il. C’est vraiment l’ensemble de ce système que nous essayons de surveiller. »
Le chercheur ignore dans quelle mesure les changements climatiques influeront sur la survie des faucons pèlerins et de leurs proies à long terme, mais il persiste à croire que ces bouleversements justifient la collecte de données « aussi longtemps que possible ».