La Russie organise sa suprématie dans l’Arctique par brise-glace

Le brise-glace nucléaire russe « 50 ans de la Victoire » est photographié à la base de la société d’État Rosatom à Murmansk. (Maxim Shemetov/Reuters)
Vue de Moscou, l’Arctique est moins un espace fragile à préserver du réchauffement climatique qu’une réserve débordante de matières premières et d’occasions commerciales. Et pour y assurer sa suprématie, la Russie y fait naviguer une flotte de brise-glaces nucléaires.

« Un tiers de notre territoire se situe au-delà du cercle polaire », constate Dmitri Loboussov, le capitaine du navire « 50 let Pobedy » (50 ans de la Victoire).

« Par conséquent, nos ancêtres maîtrisaient déjà la navigation en eaux gelées. Et nous continuons, avec succès », poursuit l’officier responsable du brise-glace, relevant l’importance croissante de sa mission avec le développement des ressources naturelles.

La Russie de Vladimir Poutine a fait de l’exploitation des richesses arctiques (pétrole, gaz et minerais) une priorité stratégique.

La région est ainsi la tête de pont pour les exportations russes de gaz naturel liquéfié (GNL) produit sur la péninsule de Yamal par le russe Novatek et le français Total.

Le président russe, Vladimir Poutine, rend hommage à l’équipage du méthanier brise-glace « Christophe de Margerie » dans le port de Sabetta, en Russie. (Reuters/Olga Maltseva)

« La zone arctique a un potentiel énorme. Pour ce qui est des ressources, on parle de 15 milliards de tonnes de pétrole et 100 000 milliards de mètres cubes de gaz. Assez pour des dizaines, voire des centaines d’années », soulignait en septembre le vice-premier ministre Alexandre Novak.

Leur rentabilité va par contre dépendre en partie de la route maritime du nord, ou passage du Nord-Est. Cette voie arctique, moitié moins longue que celle du canal de Suez, doit simplifier la livraison d’hydrocarbures à l’Asie du Sud-Est en reliant les océans Atlantique, Pacifique et Arctique.

Jadis navigable uniquement en été, elle devient toujours plus praticable avec le recul de la banquise dû au réchauffement climatique. Mais le déploiement de brise-glaces russes à propulsion nucléaire y est aussi essentiel.

Cette flotte, sous la houlette du géant de l’énergie atomique Rosatom, est unique au monde, car « seule la Russie a une telle route – la route maritime du Nord – où ces brise-glaces sont en demande », note Sergueï Kondratiev, expert auprès du groupe de réflexion indépendant Institute for Energy and Finance.

Lorsqu’en mars 2021 le canal de Suez a été bloqué plusieurs jours à cause d’un porte-conteneurs échoué, Moscou en a profité pour répéter que sa voie arctique n’est plus un rêve lointain, mais une réalité en plein développement.

Le drapeau russe planté dans les eaux de l’Arctique en 2007. (La Presse canadienne)

Rosatom doit ainsi porter dans les cinq prochaines années de cinq à neuf le nombre de ses brise-glaces nucléaires. L’objectif : atteindre un trafic de 80 millions de tonnes de marchandises par an d’ici 2024 et 160 millions en 2035, contre quelque 33 millions en 2020.

Si on reste cependant loin du milliard de tonnes transitant par le canal de Suez chaque année, Sergueï Kondratiev note que les poids lourds de l’économie russe comme Gazpromneft, Norilsk Nickel ou Rosneft ont tous besoin de l’Arctique et donc « auront tous besoin des services d’une flotte de brise-glaces ».

Rosneft, par exemple, développe un colossal projet pétrolier nommé Vostok Oil dans la péninsule de Taïmyr, avec des profits mirobolants à la clé.

Déjà, « si dans les années 80-90 on accompagnait un navire puis on s’arrêtait pour attendre le suivant, désormais nous ne nous immobilisons plus une seule minute », assure le capitaine Loboussov.

La navigation arctique à l’année est prévue pour 2030. Et pas seulement pour les Russes.

Rosatom note que l’armateur danois Maersk et le chinois Cosco empruntent déjà la route du nord. Le président Poutine a « salué l’intérêt » des acteurs étrangers pour cette voie maritime et a assuré vendredi ne « vouloir en exclure personne ».

Le groupe nucléaire russe évalue le coût du développement de cette route commerciale à 735 milliards de roubles (12,7 G$ CA) jusqu’en 2024, dont 274 milliards injectés par l’État.

Les associations environnementales dénoncent cette course aux hydrocarbures, à l’origine de plusieurs catastrophes écologiques, et la présence accrue de réacteurs atomiques flottant dans l’Arctique.

« Bien entendu, les projets de développement dans un écosystème aussi fragile comportent des risques et les infrastructures doivent contribuer à les atténuer », reconnaît Rosatom, soulignant que la propulsion nucléaire est plus propre que les carburants classiques.

« Cependant, avec des occasions économiques aussi importantes pour les populations locales et pour l’économie mondiale, il sera difficile de ne pas profiter de ces réserves », conclut le groupe.

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