Guerre en Ukraine : la diplomatie se refroidit dans l’Arctique
Loin des bombes et des affrontements militaires en Ukraine, l’Arctique est l’un des rares terrains où les relations diplomatiques entre la Russie et l’Occident n’étaient pas encore glaciales. Cette exception vient cependant de prendre fin et l’avenir même de la collaboration entre les nations arctiques est aujourd’hui compromis.
Malgré l’annexion de la Crimée ordonnée par le président Vladimir Poutine en 2014, les Russes avaient jusqu’ici poursuivi leur coopération avec les autres pays membres du Conseil de l’Arctique, dont le Canada.
Cette retenue n’a pas été appliquée dans tous les forums internationaux.
Le comportement belliqueux du Kremlin en Ukraine lui avait notamment valu une exclusion du G8. En Europe de l’Est, des pays membres de l’OTAN ont lancé des opérations militaires pour entraîner l’armée ukrainienne et lui assurer un soutien stratégique. Les Forces armées canadiennes y dépêchent d’ailleurs des soldats – y compris de Valcartier – depuis presque huit ans.
Sans faire complètement abstraction de ces tensions, les délégations arctiques avaient poursuivi leur travail diplomatique en quasi-totalité.
« La coopération avait été maintenue et les activités [du Conseil de l’Arctique] n’avaient pas été trop affectées malgré les frictions entre la Russie et les Occidentaux. À peu près tout avait été maintenu », rappelle Frédéric Lasserre, professeur au Département de géographie de l’Université Laval et spécialiste en géopolitique de l’Arctique.
D’une certaine manière, il a été établi que « le conflit en Ukraine n’avait rien à voir » avec les négociations et les activités de coopération à ces latitudes éloignées.
- Le Conseil de l’Arctique a été créé à Ottawa en 1996 par la Déclaration d’Ottawa
- Le Conseil vise à promouvoir le développement durable, à faire avancer la recherche scientifique, à protéger l’environnement arctique et à assurer le développement économique, social et culturel des communautés, y compris les nations autochtones.
Cette relative bonne entente n’est plus.
Devant l’escalade du conflit russo-ukrainien, la Finlande, le Danemark, la Suède, l’Islande, les États-Unis, la Norvège et le Canada ont conjointement réclamé la suspension des activités du Conseil, dont le huitième membre est la Russie.
La décision a été officiellement annoncée vendredi, une semaine après le début de l’invasion russe en Ukraine. Qui plus est, plusieurs rencontres étaient prévues chez les Russes au cours des prochains mois, la Russie assurant la présidence tournante du Conseil de l’Arctique jusqu’en 2023.
Acteur principal
Le principal lieu d’échanges étant désormais suspendu, l’avenir même des relations diplomatiques dans l’Arctique est maintenant en jeu. « Les paramètres ont considérablement changé », convient M. Lasserre en référence à la guerre en Ukraine.
Ce dernier a du mal à imaginer un Conseil de l’Arctique sans la participation de la Russie. Le pays, note-t-il, est le « principal acteur » dans ces territoires circumpolaires. À lui seul, l’État russe représente le tiers du poids démographique et économique de l’Arctique.
À son avis, le Conseil était un canal de communication où, au-delà des rencontres et des activités officielles, les discussions « de couloirs » permettaient « d’aplanir les différends » entre les États. Car s’il existe un calme relatif dans l’Arctique, la Russie a tout de même accentué sa présence militaire au cours des dernières décennies.
Des revendications territoriales, particulièrement sur les plateaux continentaux étendus où se trouvent d’importantes ressources, font également l’objet de frictions.
M. Lasserre se désole par ailleurs de voir que l’un des seuls forums internationaux sollicitant la participation active des nations autochtones, dont plusieurs occupent le territoire arctique, soit aujourd’hui suspendu.
L’OTAN et l’Arctique
Rob Huebert, professeur au Centre d’études stratégiques et militaires de l’Université de Calgary, abonde dans le même sens, reconnaissant lui aussi qu’une sorte « d’exception » avait permis de maintenir une diplomatie arctique avec la Russie. Le mot d’ordre était selon lui que « ce qui se passe en Arctique reste en Arctique ».
Il ne voit pas, aujourd’hui, comment une telle dynamique peut subsister. La Russie elle-même, croit-il, pourrait juger qu’il n’est plus pertinent pour elle de participer aux discussions au sein du Conseil de l’Arctique.
Si la Finlande et la Suède se joignent à l’OTAN, comme le craint Moscou, la Russie deviendrait le seul État à ne pas en faire partie au Conseil de l’Arctique. Aucune décision n’a encore été prise par les deux pays scandinaves, mais des pourparlers et des débats ont lieu en ce sens, relancés par l’invasion de la Russie en Ukraine.
En réaction, le Kremlin a rapidement signalé son inconfort et a menacé les deux pays de représailles. « L’adhésion de la Finlande à l’OTAN aurait de graves répercussions militaires et politiques », a indiqué le gouvernement russe en début de semaine.
Dans ce contexte, « je ne vois pas les Russes, eux-mêmes, avoir un appétit pour poursuivre le dialogue », affirme M. Huebert. D’autant plus, ajoute-t-il, que les arguments de Vladimir Poutine justifiant la guerre en Ukraine concernent, notamment, l’expansion de l’OTAN vers l’Europe de l’Est.
L’autre scénario possible, selon lui, serait de voir les pays occidentaux voter en faveur d’une expulsion de la Russie. Devant « le mépris du droit international et de la souveraineté territoriale » en Ukraine, il juge difficile de maintenir des pourparlers.
Surtout que, ultimement, les délégations du Conseil de l’Arctique relèvent des ministères des Affaires étrangères, et donc « des mêmes individus », du côté russe, ayant cautionné l’invasion de l’Ukraine.
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