Quel avenir pour les stations radars du réseau d’alerte DEW dans l’Arctique canadien?
La ligne de radars avancée DEW est un réseau de stations de 4800 kilomètres de long qui s’étend des territoires du Nord canadien jusqu’à l’Alaska. Aujourd’hui, elle semble ne plus être qu’un lointain souvenir de l’anxiété provoquée par la guerre froide.
Un grand nombre de stations radars parmi la soixantaine qui ont été construites dans la toundra dans les années 1950 ont disparu depuis longtemps, comme tant d’autres reliques de la guerre froide qui ont été abandonnées ou démantelées. D’autres stations ont été reconstruites pour faire partie du Système d’alerte du Nord (SAN), qui leur a succédé.
En juillet, il y aura 65 ans que la première phase du réseau DEW est devenue opérationnelle. Son objectif était simple : détecter les bombardiers si ce qui était alors l’Union soviétique lançait une attaque nucléaire contre l’Amérique du Nord par le chemin le plus court : en passant par l’Arctique. Cela devait servir de moyen de dissuasion.
En l’espace de quelques années, pourtant, ce système est devenu en grande partie obsolète. Certains des sites ont été modernisés dans les années 1980 pour s’intégrer au SAN, exploité conjointement par les États-Unis et par le Canada.
Ce système prend lui aussi de l’âge. De plus, avec le regain d’inquiétude par rapport à une éventuelle agression russe et compte tenu de la nécessité d’assurer la sécurité et la surveillance de l’Amérique du Nord, certains se demandent si une série de sites radars vieux de plusieurs décennies ont encore beaucoup à offrir.
« Je pense que le Système d’alerte du Nord tel que nous le connaissons aujourd’hui va être remplacé plutôt que modernisé », dit Adam Lajeunesse, un analyste de la sécurité de l’Arctique à l’Université St. Francis Xavier, en Nouvelle-Écosse.
Le gouvernement fédéral a promis des investissements considérables pour moderniser le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD), mais il n’a pas encore donné de détails. La ministre de la Défense, Anita Anand, a récemment déclaré qu’un plan était en préparation pour accroître les capacités de défense dans l’Arctique et en Amérique du Nord.
La construction du réseau DEW, conçu par l’armée de l’air américaine, a commencé en 1954 avec l’accord du Canada. Les États-Unis ont payé la majeure partie du coût du projet, tandis que le Canada s’est efforcé de le présenter comme un effort conjoint.
Sa construction n’a pas été une mince affaire, mais compte tenu des contraintes climatiques et de l’isolement des sites le long du 68e parallèle, elle a été achevée en un temps relativement court.
Un héritage problématique pour les Inuit
En ce sens, il était semblable à la route de l’Alaska, un autre exploit du génie militaire réalisé une décennie plus tôt. Tout comme la route de l’Alaska, le réseau DEW a modifié de façon permanente la culture et le paysage du Nord.
Pour Nathan Obed, président de l’organisation inuit Tapiriit Kanatami, l’héritage de ce système est problématique. C’est une question à laquelle lui et de nombreux Inuit ont beaucoup réfléchi, dit-il.
Il ajoute que l’infrastructure aéronautique construite pendant cette période continue d’être l’infrastructure aéronautique de base dans le Nord. Malgré tout, M. Obed précise que le développement qui a accompagné le réseau DEW n’a pas été conçu avec les besoins spécifiques des Inuit en tête.
Aujourd’hui, le SAN est exploité et entretenu par l’organisme inuit Nasittuq Corporation sous contrat avec le gouvernement fédéral.
Dans une déclaration qui annonçait le contrat septennal de 592 millions de dollars plus tôt cette année, le ministère canadien de la Défense a affirmé qu’il « continuerait à investir dans le système actuel jusqu’à ce qu’un remplacement approprié soit mis en place ».
Obsolète en quelques années
Même si la construction et l’utilisation du réseau DEW ont changé le Nord de façon permanente, Adam Lajeunesse explique que le système d’alerte est devenu virtuellement obsolète en quelques années, car il a été conçu à l’époque des bombardiers.
« Il est probable qu’au cours des 5 années – et certainement au cours des 10 années – qui ont suivi sa construction, les Soviétiques comptaient sur les ICBM [missiles balistiques intercontinentaux] comme principal mécanisme de livraison de leurs armes stratégiques », ajoute-t-il.
À partir des années 1980, le réseau DEW en tant que série de stations radars habitées n’a plus existé. Un projet de nettoyage de plusieurs décennies a été lancé pour certains des sites, tandis que les autres ont été intégrés au Système d’alerte du Nord.
« Il est marginalement utile pour détecter les ICBM. En fait, les très gros missiles, ceux de la fin du monde, nous pouvons les détecter, en quelque sorte, mais il ne permet pas de détecter les missiles hypersoniques », affirme pour sa part le professeur Rob Huebert, un spécialiste de la défense de l’Arctique à l’Université de Calgary.
Les missiles hypersoniques peuvent se déplacer à plus de cinq fois la vitesse du son et ont une grande portée. Ils peuvent se faufiler dans l’atmosphère et éviter d’être interceptés pendant qu’ils sont en vol vers leur cible. Il est d’avis que le NORAD a besoin d’une mise à jour en profondeur et que le SAN n’est plus adéquat.
Adam Lajeunesse parle également d’un « éventail plus étendu de dangers » et affirme qu’une série de stations radars dans l’Arctique n’est peut-être plus une priorité absolue.
« Le prochain NORAD ne sera pas seulement un grand bâtiment avec un dôme. Il s’agira d’un ensemble très complexe de capteurs reliés à un réseau plus vaste qui permettra de tout surveiller, des missiles de croisière hypersoniques aux flottes de pêche chinoises. »
« L’avenir du Système d’alerte du Nord peut être très différent du passé du Système d’alerte du Nord », conclut-il.
Avec les informations de Paul Tukker