Le Conseil circumpolaire inuit publie un protocole encadrant les activités dans le Nord
Le Conseil circumpolaire inuit a produit un document d’une trentaine de pages pour notamment baliser la recherche scientifique qui se fait dans les régions où vivent les Inuit, mais aussi toute autre activité qui passe par une collaboration avec les peuples du Nord.
L’organisation internationale, qui représente les 180 000 Inuit de l’Alaska, du Canada, du Groenland et de la région de Chukotka, en Russie, a publié en juin (en anglais) le fruit de son travail de recherche et de consultation qui s’est échelonné sur des mois.
Le Conseil s’était donné comme priorité, en 2018, d’élaborer des protocoles internationaux pour les forums, les institutions et les scientifiques qui s’intéressent aux communautés et aux connaissances inuit ou interagissent avec elles.
Trop souvent, déplore le Conseil, des chercheurs ou des institutions du Sud viennent faire de la recherche ou lancent des projets dans le Grand Nord sans consulter les Autochtones, sans les considérer comme parties prenantes ou encore en ne partageant pas après coup les résultats et les retombées des travaux effectués.
Cela entretient une dynamique de pouvoir asymétrique issue de l’époque coloniale, peut-on lire dans le document.
« Pendant des décennies, l’intérêt et la recherche concernant la “cryosphère” arctique ont émergé sans une compréhension complète de l’Inuit Nunaat – nos terres et territoires traditionnels, qui comprennent les Inuit, notre mode de vie et nos connaissances », affirme-t-on dans le document intitulé Protocole inuit circumpolaire : pour un échange éthique et équitable et qui appelle à un « changement de paradigme ».
« De nombreuses initiatives sur les changements climatiques, sur des stratégies de conservation, sur le développement de l’industrie et sur des politiques internationales ont pesé sur notre peuple. Le fardeau est le résultat de travaux, de recherches, de décisions et de politiques prises sans notre participation équitable, des approches qui ne reflètent pas notre mode de vie, nos concepts d’équilibre et de respect de l’environnement et la reconnaissance que les gens font partie de l’écosystème. »
De mauvaises pratiques dénoncées
« Chaque printemps, nous voyons des groupes de chercheurs venir dans nos villes et villages. Nous ne savons pas ce qu’ils sont sur le point de faire et nous n’entendons jamais non plus parler des résultats de leurs recherches. Eux et nous gagnerions à suivre les principes directeurs », soutient Kuupik V. Kleist du Conseil circumpolaire inuit du Groenland, dans un communiqué diffusé lors de la publication du Protocole.
Les principes formulés s’articulent autour du respect des droits des Inuit et de la reconnaissance du savoir traditionnel.
Le Conseil définit ainsi huit principes directeurs à suivre pour toute activité se déroulant dans les territoires inuit :
- « Tout ce qui nous concerne doit se faire avec nous » – Toujours collaborer avec les Inuit
- Reconnaître le savoir autochtone à part entière
- Pratiquer une bonne gouvernance
- Communiquer avec intention (et être à l’écoute)
- Exercer la responsabilisation – Bâtir la confiance
- Établir des partenariats significatifs
- Informer, obtenir les autorisations, partager les données et assurer la propriété
- Financer équitablement la représentation et le savoir inuit
Le Conseil circumpolaire inuit précise que ces principes viennent complémenter ou s’ajouter aux protocoles existants dans certaines communautés ou à différents niveaux de gouvernement qui ont déjà fait des gestes pour encadrer la recherche et d’autres activités sur leur territoire.
En 2018, l’organisme national représentant les Inuit du Canada, Inuit Tapiriit Kanatami, s’était doté d’un plan visant à promouvoir « l’autodétermination » des Inuit en matière de recherche.
De nombreuses universités, par exemple, se sont aussi dotées de protocoles éthiques qui balisent la recherche faite en collaboration avec les Autochtones.
Les principes formulés dans le document ne se substituent donc pas à ce qui existe déjà, est-il souligné.
Ils mettent plutôt « en évidence les points communs et offrent une voie à suivre au sein des forums internationaux qui donnent à chaque communauté la latitude de déterminer ce qui est bon pour elle dans son contexte spécifique », peut-on lire.
Savoirs traditionnels
Le document précise que tout chercheur ou acteur qui vient dans le Nord devrait se familiariser au préalable avec le contenu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et tenter de mettre en pratique son contenu.
Le document se fonde aussi sur des principes définis dans le guide Un cadre de coproduction de connaissances dans le contexte de la recherche arctique, paru en anglais l’an dernier.
Le document rappelle l’importance d’écouter, de consulter, de tenir compte des connaissances traditionnelles des Inuit, tout en se rappelant qu’elles forment un tout et sont intimement liées au mode de vie des Inuit. Trop souvent, des chercheurs s’approprient ce savoir à la pièce, sans réciprocité ou sans en mentionner l’origine, déplore-t-on.
Il est aussi souligné la nécessité de respecter les structures de gouvernance et de décisions qui existent déjà dans les communautés inuit.
Les investissements, l’embauche et les compensations devraient également être déterminés conjointement, sur une base équitable et à une juste hauteur, d’après les principes énoncés.
Le Conseil se dit bien conscient que les Inuit sont aux premières loges des changements qui affectent la planète et souligne la collaboration essentielle entre Inuit et non-Inuit pour assurer l’avenir, mais que cela doit se faire dans des conditions acceptables et définies par les Inuit.
« Cela nécessite le respect et la reconnaissance de nos valeurs, règles, lois, conseils et manière globale distincte de [bâtir les connaissances] », est-il écrit.
« Les Inuit accueillent les institutions, les gens et les gouvernements pour commencer, favoriser et poursuivre des relations significatives avec nous dans toutes sortes de travaux à travers nos pays d’origine et dans tout l’Arctique », conclut le document