Émissions de méthane : quelles sont les conséquences pour l’Arctique?
Depuis novembre 2021, le Canada adhère, aux côtés de 118 pays, à l’engagement mondial sur le méthane, mis en place par les États-Unis et l’Union européenne à l’occasion de la 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 26), à Glasgow, en Écosse. Le méthane est préoccupant, car il joue un rôle important dans les changements climatiques. Le Canada s’est engagé à réduire d’au moins 75 % les émissions de méthane provenant du secteur pétrolier et gazier (par rapport aux niveaux de 2012) d’ici 2030.
Incolore et inodore, le méthane est un puissant gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement climatique à l’échelle planétaire est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone sur 20 ans. Dans un rapport publié en avril 2022, le Canada indique que, pour l’année 2020, ses émissions de méthane représentent 14 % du total des émissions de gaz à effet de serre. Quelque 35 % de ses émissions proviennent de sources fugitives des réseaux pétroliers et de gaz naturel. Entre 2006 et 2020, les émissions de méthane ont cependant diminué de 27 %.
Les émissions de méthane dans le secteur du pétrole et du gaz
Publiée le 13 avril 2021 par un groupe de scientifiques de l’Université St. Francis Xavier à Antigonish, en Nouvelle-Écosse, et de l’Université Memorial à Saint-Jean, Terre-Neuve, l’étude Les émissions de méthane provenant de la production de pétrole et de gaz en amont au Canada sont sous-estimées met en lumière la sous-évaluation de l’inventaire canadien des émissions de méthane issues de la production de pétrole et de gaz. À partir de l’étude de 6650 sites de production au pays, le consortium de chercheurs a conclu que, « dans l’ensemble, l’inventaire canadien de méthane pétrolier et gazier en amont est sous-estimé d’un facteur de 1,5 ».
Si aujourd’hui le rôle du méthane est pris très au sérieux, le Conseil de l’Arctique a tiré la sonnette d’alarme dès 2015 en mettant en place un groupe de travail composé d’experts afin d’examiner, d’analyser et d’évaluer les progrès des pays membres dans leurs efforts de réduction des émissions de méthane. Dans le troisième volet du bilan des progrès et des recommandations paru en 2021, le groupe d’experts rappelle que la Russie et les États-Unis sont les deux États de l’Arctique ayant la plus grande production de pétrole et de gaz, suivis respectivement par le Canada et la Norvège. Selon le rapport, « l’importance de mesures coordonnées à l’échelle internationale pour assurer la transparence dans la déclaration du méthane et du carbone noir devrait donc être soulignée dans le secteur pétrolier et gazier, et les nouvelles technologies et normes de surveillance, de déclaration et de vérification devraient être prises en compte ».
Des effets non étudiés
Louise Klotz est étudiante à la maîtrise en génie de l’environnement à l’Université McGill, à Montréal, et s’intéresse principalement aux émissions de méthane dans la chaîne de production de gaz naturel et de pétrole. Dans le cadre de cette recherche, elle a fait une analyse spatiotemporelle des puits (en activité ou à l’arrêt) en Colombie-Britannique, en Alberta, aux Territoires du Nord-Ouest, au Yukon, mais aussi en Alaska. Dans cette région du monde où le pergélisol est présent à 91 %, Mme Klotz a remarqué que le nombre de puits est en constante augmentation depuis plusieurs années et les effets directs sur l’environnement comme pour les nappes phréatiques et l’état du pergélisol sont très importants.
« Il y a de plus en plus de puits qui sont forés tous les ans et on sait qu’il y a des impacts non négligeables. Les impacts sur les écosystèmes environnants sont énormes. Il y a des fuites de plusieurs polluants, mais principalement du méthane et des composés organiques volatils », affirme-t-elle.
Avec le dégel du pergélisol, le sol se fait plus instable et peut nuire à l’intégrité des puits, affaiblir la structure tout en favorisant l’apparition de microruptures responsables de fuites de nombreux éléments polluants dans le sous-sol selon la chercheuse.
Le manque d’études sur le sujet est criant et si les scientifiques s’attendent à voir les effets de ces fuites sur l’environnement, son ampleur n’est toutefois pas encore quantifiée ni même connue.
L’Arctique est sous-étudié
Selon Oliver Sonnentag, professeur agrégé du Département de géographie de l’Université de Montréal, les émissions de méthane qui proviennent de sources naturelles comme le dégel du pergélisol doivent être prises en considération au même titre que les émissions humaines. Cependant, il n’est pas possible de généraliser la situation en Arctique qui, par ailleurs, est oubliée du champ d’étude scientifique.
« Nous avons une bonne représentation de la partie ouest de l’Arctique canadien, mais tout l’est de l’Arctique canadien est complètement sous-étudié et sous-représenté dans l’estimation circumpolaire », déplore-t-il.
L’immensité du territoire arctique et les difficultés d’accès ainsi que les coûts élevés sont quelques-unes des raisons de l’absence d’études dans cette région, selon le professeur.
Inquiétudes dans le Nord
Dans les collectivités arctiques des Territoires du Nord-Ouest comme Inuvik, la faune et la flore arctiques changeantes, de même que le dégel du pergélisol, apportent leur lot d’avaries. Des glissements de terrain sont plus fréquents sur la rive est du fleuve Mackenzie au printemps et à l’été. Selon Camellia Gray, membre de la communauté inuvialuite d’Inuvik, avec la hausse des températures et le dégel du pergélisol, « il y a plus d’insectes, plus d’oiseaux, la croissance des plantes est plus rapide, mais il y a aussi de nouvelles espèces de plantes et d’insectes qui arrivent ».
Les collectivités de l’Arctique sont aux premières loges des changements climatiques qui affectent la vie quotidienne. Pour Mme Gray, les changements climatiques sont vraiment une préoccupation permanente.
« Nous parlons tout le temps des changements climatiques [dans la collectivité]. Le cercle arctique souffre de la pollution venant du Sud. Il y a quelques années, nous parlions du trou dans la couche d’ozone. Et maintenant [avec les émissions de méthane et la fonte du pergélisol], c’est une nouvelle source d’inquiétude qui s’ajoute », conclut-elle.