Le pape renouvelle ses excuses aux victimes et aux survivants des pensionnats

Le pape François a reçu une coiffe traditionnelle autochtone à la fin de son discours lundi, à Maskwacis, en Alberta. (Guglielmo Mangiapane/Reuters)
Le pape François a de nouveau demandé pardon aux peuples autochtones « pour les crimes commis par de nombreux chrétiens envers eux » et a reconnu que ces excuses constituaient la première étape d’un long processus de réconciliation.

Il s’agissait de ses premières paroles publiques au Canada, adressées aux milliers de personnes, surtout des survivants des pensionnats et leurs familles, rassemblées à Maskwacis, une communauté crie de l’Alberta.

Je voudrais le répéter avec honte et clarté : je demande humblement pardon pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones.Le pape François

« Je demande pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones », a affirmé le pape, suivi d’applaudissements de la foule.

« Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des pensionnats », a-t-il ajouté.

Il a également parlé des « nombreux cas exemplaires de dévouement envers les enfants » et de la présence de la « charité chrétienne » dans les pensionnats.

Néanmoins, « les conséquences générales des politiques liées aux pensionnats ont été catastrophiques », a-t-il admis.

Dans l’assistance, de nombreux survivants étaient en pleurs et en profondes réflexions.

« Certains d’entre vous sont certainement en difficulté pendant que je vous parle, a reconnu le souverain pontife. Il est cependant important de faire preuve de mémoire pour éviter l’oubli, parce que l’oubli mène à l’indifférence. »

« Et le contraire de l’amour, ce n’est pas la haine, c’est l’indifférence », a-t-il ajouté.

Ces excuses étaient similaires à celles prononcées au Vatican plus tôt cette année. Le pape a en effet demandé pardon pour les crimes commis par des membres de l’Église sans toutefois reconnaître le rôle de l’institution en soi.

Une « première étape »

Le pape François a par ailleurs reconnu que davantage doit être fait, outre la demande de pardon.

« Considérant l’avenir, rien ne doit être négligé pour promouvoir une culture capable non seulement de faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent pas, mais encore que celles-ci ne puissent trouver de terrain propice à la dissimulation et la perpétuation », a-t-il soutenu.

Une partie importante de ce processus consiste à mener une sérieuse recherche sur la vérité du passé et à aider les survivants des pensionnats à entreprendre des chemins de guérison pour les traumatismes subis.Le pape François

Le pape a notamment appelé à ce que les chrétiens et la société civile « respectent l’identité et l’expérience des peuples autochtones ».

« J’espère que des moyens concrets seront trouvés pour les connaître et les apprécier, en apprenant à avancer tous ensemble », a-t-il dit.

Avant cette allocution du pape, un discours de bienvenue a été prononcé par Wilton Littlechild, un survivant du pensionnat Ermineskin et ancien commissaire de la Commission de vérité et réconciliation.

Le discours officiel du pape s’est tenu sur le site réservé au pow-wow de Maskwacis. Des danses et des chants traditionnels l’ont d’ailleurs accueilli.

« Je me suis revu enfant »

Evelyn Korkmaz, survivante du pensionnat de Sainte-Anne, en Ontario, dit avoir attendu 50 ans pour enfin entendre des excuses du pape.

« Je suis reconnaissante d’avoir vécu assez longtemps pour vivre ce jour », a-t-elle affirmé en conférence de presse.

« Malheureusement, bon nombre de mes amis et camarades du pensionnat ne sont plus parmi nous et n’ont pas pu entendre ces excuses. Les traumatismes qu’ils ont vécus ont eu raison d’eux par le suicide ou la consommation. »

« J’aurais aimé voir un plan précis du Vatican sur ce qu’il compte faire pour la réconciliation », a-t-elle ajouté.

« Mon cœur s’est brisé pour tous les survivants présents. C’était beaucoup d’émotions au même moment. Je suis allé au pensionnat ici et quand j’attendais le pape, je me suis revu enfant »a confié l’un des chefs de Maskwacis, Randy Ermineskin.

« Après aujourd’hui, je veux qu’on se concentre sur l’espoir. Nous avons la chance de prendre la parole et de continuer de faire avancer la vérité », a-t-il poursuivi.

La militante et professeure Cindy Blackstock a pour sa part partagé une réaction vidéo sur les réseaux sociaux. Pour elle, ce sont les actions qui suivront qui comptent le plus.

« Ces excuses ne doivent pas être jugées sur la base des mots « je suis désolé », mais plutôt sur les actions qui seront par la suite engendrées », a-t-elle dit.

« Est-ce que le Vatican donnera un accès complet à ses documents? Est-ce qu’il y aura une réforme interne pour assurer que les abus d’enfants seront éliminés de l’Église? Est-ce que le Vatican prendra la responsabilité des sévices vécus par les enfants? » a-t-elle demandé.

Le ministre fédéral des Relations Couronne-Autochtones était présent à Maskwacis.

« Je ne peux pas parler au nom des survivants, mais aujourd’hui j’ai vu beaucoup de pleurs, les gens étaient certainement touchés. Par contre, il est certain qu’il y aura aussi de la déception », a-t-il déclaré aux médias.

« Il est clair que ces excuses ne doivent pas être une finalité. Il y a encore beaucoup de travail à faire, notamment l’accès aux documents, et on espère pouvoir compter sur la collaboration et sur le soutien de l’Église catholique pour la suite », a-t-il ajouté.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a quant à lui émis une déclaration écrite.

« L’événement qui nous a rassemblés aujourd’hui à Maskwacis est le fruit du courage, des efforts de sensibilisation et de la persévérance des survivants des Premières Nations, inuit et métis qui ont relaté leurs souvenirs douloureux et raconté leurs expériences », a-t-il écrit.

Aujourd’hui, nous pensons aux enfants qui ont été arrachés à leur famille et privés de leur enfance.Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« La réconciliation est l’affaire de tous les Canadiens […] Personne ne doit oublier ce qui s’est passé dans les pensionnats du Canada, et nous devons tous veiller à ce que cela ne se reproduise jamais. »

La gouverneure générale du Canada, Mary Simon, était aussi présente et a réagi par écrit plus tard en soirée. « Certains faits sont indéniables. Il est difficile d’être confronté à notre véritable histoire […] Plusieurs enfants et familles ne s’en sont jamais remis. Plusieurs enfants ne sont jamais rentrés chez eux. »

Pour les peuples autochtones, ce moment n’est ni le début ni la fin du parcours de guérison. En tant que pays, nous devons nous interroger : quelle est notre prochaine étape? Quelle est la société à laquelle nous aspirons?Mary Simon, gouverneure générale du Canada

La gouverneure générale Mary Simon a rencontré le pape François à son arrivée sur le tarmac. (Nathan Denette/La Presse canadienne)
Une arrivée dans l’humilité

C’est un pape d’une humilité et d’une simplicité étonnantes, malgré l’important cortège de sécurité l’entourant, qui est arrivé à Maskwacis autour de 10 h, heure locale.

Après une visite privée à l’église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, il s’est rendu en fauteuil roulant jusqu’au cimetière d’Ermineskin au son du tambour de l’aîné Jerry Saddleback. Le pape y a pris quelques instants pour prier en silence.

Le pape François a prié en silence devant les tombes du cimetière de Maskwacis, en Alberta, à l’occasion de sa rencontre avec la communauté autochtone, et il a visité le site de l’ancien pensionnat Ermineskin. (Guglielmo Mangiapane/Reuters)

Ensuite, le chef de l’Église catholique s’est dirigé vers le site de l’ancien pensionnat, où il a été accueilli par les quatre chefs de Maskwacis, Desmond Bull, Randy Ermineskin, Wilton Littlechild et Vernon Saddleback.

Avant l’arrivée du souverain pontife, l’ambiance était déjà ponctuée d’émotions fortes parmi les gens présents.

« Mon cœur bat très fort », a confié, ému, André Carrier, un survivant des pensionnats qui est le vice-président de la Fédération métisse du Manitoba.

« J’ai subi les abus sexuels d’un prêtre. Alors, écouter les excuses du pape, c’est la première étape vers la réconciliation », a-t-il ajouté.

Le pape en compagnie des chefs de Maskwacis (Nathan Denette/La Presse canadienne)
Plusieurs dignitaires présents

De nombreux leaders autochtones et représentants de l’État canadien ont pris part à ce premier événement de la visite papale.

La cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, RoseAnne Archibald, était accompagnée des trois leaders de délégations s’étant rendues à Rome rencontrer le pape ce printemps : Gerald Antoine (Premières Nations), Cassidy Caron (Métis) et Natan Obed (Inuit).

L’ancien chef de l’Assemblée des Premières Nations, Phil Fontaine, qui est lui aussi allé à Rome, faisait partie de l’assistance.

En plus de certains sénateurs et députés fédéraux, le premier ministre Justin Trudeau, la gouverneure générale Mary Simon, les ministres Marc Miller et Patty Hajdu ainsi que le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh étaient sur place.

En fin de journée, le pape François s’est aussi rendu à l’église Sacré-Cœur des Premières Nations d’Edmonton pour rencontrer une délégation autochtone et des paroissiens.

Mardi, il officiera une messe au stade du Commonwealth, où plus de 60 000 personnes sont attendues.

Gabrielle Paul, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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