Stérilisations imposées : des leaders autochtones « troublés » et « bouleversés »
« Troublés », « bouleversés », plusieurs chefs et responsables d’organisations autochtones du Québec appellent à un réel changement après le dévoilement d’un rapport qui fait état de cas de femmes stérilisées dans la province entre 1980 et 2019.
« C’est à la fois de la colère, de la tristesse et puis on voit qu’on subit encore des situations en lien avec une institution des services de soins de santé », se désole la présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ), Marjolaine Étienne.
Le rapport de recherche intitulé Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec confirme « qu’il y a eu des cas de stérilisations imposées, de violences obstétricales et d’avortements imposés chez les femmes des Premières Nations et Inuit au Québec ».
Selon ce rapport, une cinquantaine de femmes autochtones de la province ont vécu une expérience de stérilisation imposée et/ou de violence obstétricale. Au moins 22 ont été stérilisées de force et la majorité des participantes avait de 17 à 33 ans lors des stérilisations.
Pour le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, le rapport révèle « le haut degré de violence coloniale relevant du génocide » subi par des dizaines de femmes autochtones.
De son côté, la cheffe de la communauté de Lac-Simon, Adrienne Jérôme, souligne l’importance des femmes et de la maternité dans les cultures autochtones.
« Chacun a un rôle important et sacré au sein de sa communauté, explique la cheffe. Les femmes sont la fondation des communautés autochtones, elles sont les donneuses de vie et jouent un rôle clé dans la transmission de nos langues, de nos cultures, de nos enseignements et de nos traditions, tout en honorant notre lien avec la Terre en tant que peuple. »
« Couper ce lien avec la maternité, c’est aussi couper ces liens et cette continuité culturelle pour plusieurs », ajoute-t-elle.
Des cas jusqu’en 2019
Le rapport révèle entre autres que des femmes autochtones ont vécu une expérience de stérilisation imposée et/ou de violence obstétricale au moins jusqu’en 2019.
Une réalité face à laquelle le grand chef du Conseil de la Nation Atikamekw, Constant Awashish, se dit « troublé » et « bouleversé ».
« C’est difficile de s’imaginer, parce qu’on parle d’une période contemporaine, dit-il. C’est tout récent, ces histoires-là, donc pour moi c’est bouleversant. »
« Il ne faut pas que [le rapport ] soit tabletté, poursuit M. Awashish. Les gouvernements doivent prendre sérieusement action pour redonner confiance à nos femmes, nos filles et à tous les Autochtones. »
Le rapport formule 31 recommandations, principalement au gouvernement du Québec, dont la reconnaissance du racisme systémique et l’adoption du Principe de Joyce.
Le Principe de Joyce, nommé en l’honneur de Joyce Echaquan, qui vise à faire valoir les droits des Autochtones en matière de services de santé et de services sociaux, n’a pas été adopté par le gouvernement québécois.
Le chef de la communauté de Manawan, d’où était originaire Joyce Echaquan, considère que le rapport permettra à Québec d’évoluer.
« C’est un rapport qui révèle les injustices envers les femmes autochtones et cela va permettre de revoir la position du gouvernement concernant le Principe de Joyce, de même que sur la présence encore évoquée du racisme systémique », déclare le chef Sipi Flamand.
La présidente de FAQ espère que le gouvernement mettra en place les recommandations formulées. « Deux choses doivent être faites : la reconnaissance du racisme systémique et l’adoption du Principe de Joyce », dit Marjolaine Étienne. « Croyez-nous, on doit se faire entendre maintenant. »
Le gouvernement du Québec assure vouloir « faire les vérifications qui s’imposent pour faire toute la lumière sur la situation ».
« Ce genre de situation nous rappelle toute l’urgence d’offrir aux Autochtones un accès aux soins et services de santé culturellement adaptés, dans un environnement sécurisant. C’est non négociable », écrivent dans une déclaration commune Ian Lafrenière ainsi que le ministre de la Santé Christian Dubé.
Le rapport demande à Québec d’interpeller le Collège des médecins pour que cessent ces pratiques, de mettre en place des sanctions et de retirer des permis de pratique si de tels actes sont perpétrés, et d’imposer une formation obligatoire aux professionnels de la santé.
Sur Twitter, le Collège des médecins du Québec écrit que « cette situation est bouleversante et complètement inacceptable. Le consentement aux soins est l’un des principes fondamentaux de la médecine. Il ne peut y avoir de compromis. Nous lirons avec intérêt le rapport et ses recommandations ».
À la suite d’une série de reportages parue notamment à Radio-Canada, le premier ministre François Legault avait indiqué en septembre 2021 vouloir que tous les médecins du Québec reçoivent l’ordre de ne plus proposer de ligatures des trompes à des femmes qui sont en train d’accoucher, une pratique qu’il avait jugée barbare.
Un article de Marie-Laure Josselin et de Gabrielle Paul
Avec des informations de Delphine Jung