Sécurité dans l’Arctique : on doit s’équiper face à l’« acteur irrationnel » qu’est la Russie, disent des experts 

Le NCSM Harry DeWolf, l’un des nouveaux patrouilleurs extracôtiers de la Marine royale canadienne, est entré en service en juin 2021. Cette classe de navire résistant aux glaces a été conçue pour assurer une présence canadienne armée dans les eaux de l’Arctique. (shipsforcanada.ca)
Mettre en place des moyens de défense antimissile, se doter d’un sous-marin nucléaire dans nos eaux arctiques et mieux outiller les Rangers. Voilà certaines des recommandations formulées par des experts qui ont été entendus cette semaine par le Comité permanent de la défense nationale des Communes qui se penchait sur la sécurité dans l’Arctique.

Pour le lieutenant général à la retraite des Forces armées canadiennes Alain J. Parent, la donne a changé du tout au tout depuis l’invasion russe en Ukraine. À son avis, le Canada doit prendre conscience de sa vulnérabilité dans l’Arctique.

« Les Canadiens ont une tolérance au risque pour la défense. La tolérance au risque avant le 24 février était très élevée puisque je pensais que le président de la Russie était un acteur rationnel. Mais ce qui se passe en Ukraine est tout à fait irrationnel. Cela fait de lui un acteur dangereux et irrationnel. Lorsqu’un tel acteur est aux commandes, je crois que les investissements pour la défense doivent être plus importants », a-t-il affirmé jeudi, en réponse à une question du comité. 

« Les effets dissuasifs étaient suffisants par le passé, mais les choses ont beaucoup changé. On doit combler les écarts qui existent. On a besoin de plus de temps et d’argent. Oui, la facture sera salée, mais ce sera nécessaire compte tenu de la situation géopolitique », a poursuivi M. Parent, qui a travaillé au Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD).

Plus tôt cette semaine, le lieutenant-général Alain Pelletier, commandant adjoint du NORAD, a fait savoir au comité sénatorial de la défense que la Russie envoie des bombardiers à longue portée au-dessus de l’Arctique vers l’espace aérien nord-américain et que des sous-marins russes opèrent également au large des côtes de l’Amérique du Nord. Moscou cherche, selon lui, à démontrer sa capacité à frapper le Canada et les États-Unis.

Assurer la souveraineté

« Pour contrecarrer les missiles, ça prend un système de défense aérienne intégré. Il peut y avoir différents niveaux de réaction. Une première réaction antimissile et des intercepteurs, mais au Canada, ça prend des points de défense. Des bases de défense aérienne. Pour vous protéger, protéger les infrastructures essentielles. »

Selon lui, même si le Canada travaille étroitement avec les États-Unis à la défense de l’Amérique du Nord, on ne peut dépendre entièrement des Américains pour contrer de telles attaques, comme c’est le cas actuellement avec le bouclier antimissile de Washington. C’est pourquoi il préconise, à l’instar d’autres experts, qu’Ottawa se dote d’un système de défense antimissile.

Lui et Walter Semianiw, lieutenant général à la retraite des Forces armées canadiennes, ont par ailleurs salué l’investissement de près de 5 milliards de dollars annoncé par Ottawa pour la modernisation des équipements du NORAD, particulièrement les nouveaux systèmes de radar « au-dessus de l’horizon » qui y sont prévus et le remplacement du système d’alerte du Nord.

Selon eux, il faut aller plus loin, car le Canada doit pouvoir « dominer » ou exercer sa souveraineté dans les airs, sur terre, sur mer, sous les eaux, dans l’espace et dans le cyberespace. M. Semianiw souligne l’importance d’avoir une surveillance sous-marine dans les eaux de l’Arctique, qui peut se faire avec un réseau de câbles déposés sur le fond marin.

Ultimement, il faudrait un moyen de dissuasion comme la présence d’un sous-marin nucléaire posté en permanence, d’autant plus que la Russie en possède plusieurs, dit-il.

« Il ne faut pas que personne n’ait envie de faire une attaque contre nos navires » de la classe Harry DeWolf et les brise-glace que le Canada possède dans l’Arctique. « La meilleure mesure de dissuasion dans le Nord serait d’avoir des capacités sous-marines. Un sous-marin nucléaire qui resterait sur place. Si tout le monde sait qu’il est là, personne n’osera aller plus loin. Le coût de la réaction serait trop élevé », a-t-il dit en réponse à un membre du comité.

Renforcer les Rangers

Pour M. Semianiw, qui a dirigé les forces canadiennes en Afghanistan, l’autre maillon faible de la défense du Canada dans l’Arctique est celui de l’espace terrestre. Il faut absolument, selon lui, mieux former et équiper les Rangers, qui sont en quelque sorte le corps d’intervention des Forces canadiennes dans le nord du pays. Les quelque 2000 Rangers du Grand Nord sont des réservistes à mi-temps. Ils ne sont pas des soldats de combat entraînés, mais grâce à leur connaissance de l’environnement et à leur capacité à se déplacer facilement dans les régions difficiles, ils assurent la présence de l’armée, en plus d’effectuer de la recherche et du sauvetage.

Selon Walter Semianiw, les Rangers devraient recevoir une formation de type militaire. On devrait aussi mieux les équiper. Par exemple, ils utilisent souvent leur propre motoneige et sont ensuite remboursés pour les coûts, mais le gouvernement devrait plutôt leur fournir directement cet équipement, selon lui.

De plus, on devrait les équiper de drones pour effectuer une veille efficace comme cela se fait désormais ailleurs dans le monde, juge-t-il.

« Quand on voit une menace, on doit pouvoir réagir […] J’ai parlé à des Rangers, mon collègue aussi, on a travaillé avec eux. Nous leur fournissons de l’armement désuet, pas tout à fait efficace. Si on pouvait accroître leur mobilité, on pourrait accroître le recrutement, puisqu’ils verraient un engagement plus robuste de la part du gouvernement », a-t-il affirmé.

Les deux anciens hauts gradés militaires préconisent aussi une hausse des exercices et déploiements militaires dans le Nord, ainsi qu’une collaboration plus étroite avec les six pays alliés de l’espace circumpolaire (Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Islande et États-Unis), par l’entremise notamment du Conseil de l’Arctique. Il faut également tenir compte de l’intérêt grandissant de la Chine pour la région, soulignent-ils.

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