Des millions de tonnes de micro-organismes seraient libérés avec la fonte des glaciers
Bactéries, virus, algues et champignons : des chercheurs ont calculé que quelque 650 000 tonnes de micro-organismes par an seront libérées dans l’environnement avec la fonte accélérée des glaciers dans l’hémisphère Nord d’ici 2100, selon un scénario de réchauffement « moyen ».
Pour arriver à ce résultat, les scientifiques de l’Université d’Aarhus, au Danemark, et de l’Université d’Aberystwyth, au pays de Galles, ont récolté des échantillons d’eau de fonte de glaciers dans les Alpes, en Suède, au Svalbard, au Groenland et au Nunavut. Ils ont ensuite mesuré la quantité de matière organique qui y était présente.
Puis, ils ont extrapolé leurs calculs en considérant l’ensemble des glaciers de l’hémisphère Nord, en tenant compte d’un scénario de réchauffement moyen, soit une augmentation des températures comprise entre 2 et 3 degrés Celsius d’ici la fin du siècle.
Ils en arrivent à une masse de micro-organismes libérée dans l’environnement de 650 000 de tonnes par an durant les 80 prochaines années.
Libération de carbone
Beaucoup de recherches restent à faire pour identifier les espèces vivant dans les glaciers. C’est pourquoi il est difficile de prédire l’effet qu’aura leur libération dans l’environnement, qui pourrait être bénéfique ou néfaste, selon les écosystèmes et les circonstances, expliquent les chercheurs.
« Bien que ces microbes fertilisent les environnements en aval [des glaciers], certains d’entre eux peuvent également être nocifs », note dans un communiqué Arwyn Edwards, professeur de microbiologie à l’Université d’Aberystwyth et coauteur de l’étude parue dans la revue Communications Earth and Environment.
Des micro-organismes peuvent, par exemple, être toxiques pour d’autres organismes dans un même milieu ou mener, par compétition, à la disparition d’espèces actuelles dans l’environnement. À long terme, cela peut nuire à la biodiversité.
« Les surfaces des glaciers en fonte abritent des communautés microbiennes actives qui contribuent à la fonte et au cycle biogéochimique, et nourrissent les écosystèmes en aval, mais ces communautés restent mal connues », précise quant à lui son collègue Tristram Irvine-Fynn, glaciologue affilié à la même institution.
Selon les scientifiques, des bactéries et des algues contiennent des pigments de couleur foncée, et lorsqu’elles sont libérées des glaciers et émergent en surface, elles captent les rayons du soleil. Cela accentue l’effet de réchauffement et de fonte de la glace tout autour.
Les microbes issus de la fonte ajoutent aussi au bilan carbone de la planète. « Une grande partie du carbone libéré par la fonte des glaciers se retrouvera dans les rivières alimentées par les glaciers ou dans la mer. Cependant, nous ne savons pas encore si les micro-organismes peuvent être nocifs ou bénéfiques ni quelles conséquences les modifications de l’approvisionnement en carbone pourraient avoir pour l’agriculture qui utilise l’eau des glaciers », indique dans un communiqué le chercheur en glaciologie Ian Stevens de l’Université d’Aarhus, lui aussi coauteur de l’étude.
Des milliers de bassins versants dans le monde sont alimentés par les eaux de fonte des glaciers. Certaines régions en dépendent totalement pour leur subsistance et pour leurs activités économiques.
Des équipes de recherche tentent d’identifier les différents organismes présents dans les glaciers du monde entier (ce que la présente étude n’a pas abordé) et de comprendre leur rôle dans les écosystèmes une fois libérés. Mais il s’agit d’un travail de longue haleine.
Par ailleurs, certains micro-organismes jusqu’ici inconnus pourraient s’avérer utiles dans la fabrication de médicaments ou d’autres produits pharmacologiques ou industriels, selon les scientifiques.
Des effets inconnus
Une étude parue plus tôt cette année avançait que le réchauffement climatique provoquerait un « débordement viral » depuis l’Arctique, si des virus jusqu’ici préservés dans la glace gelée en permanence entraient en contact avec de nouveaux hôtes dans d’autres environnements.
Malgré tout, les chercheurs d’Aarhus et d’Aberystwyth soutiennent que les probabilités d’un « désastre » écologique résultant de la libération des microbes des glaciers demeurent relativement faibles.
Tout d’abord, une grande partie des micro-organismes sont inactifs ou morts lorsqu’ils émergent de l’eau de fonte. Ensuite, pour ceux qui sont actifs, il reste à voir quel risque réel ils représentent.
« Nous ne disposons pas de suffisamment de données pour comprendre la valeur et la menace de ces organismes. Je reçois régulièrement des demandes de renseignements pour savoir s’il va y avoir un agent pathogène apocalyptique qui fondra des glaciers. Je pense que c’est un risque très mineur, mais ce n’est pas un risque zéro. Nous avons donc besoin d’une évaluation des risques de ces microbes », soutient Arwyn Edwards, dans une entrevue au Guardian.