Des chiens et de l’émerveillement dans le Grand Nord canadien

«Je compte uniquement sur les chiens. Sur le traîneau, j’ai mon équipement de survie, mais ce sont les chiens qui me ramèneront à la maison», dit Terry Woolf. (Terry Woolf/L’Aquilon)
Dans le vieux Yellowknife vit un homme qui a six huskies pour voyager sur son traîneau. Terry Woolf ne veut pas gagner de courses ou de l’argent avec les touristes. Il veut juste trouver son bonheur dans la nature et contempler la neige éclairée d’un soleil orange.

Un tour complet de la Terre au niveau de l’équateur mesure 40 075 km. Avec ses chiens d’attelage, Terry Woolf a déjà parcouru plus que cette distance, soit quelque 44 000 km. C’est une distance considérable accumulée sur 30 années.

« C’est beaucoup de temps passé debout dans le froid à regarder les queues des chiens », dit-il en riant. Il tente ensuite de relativiser son exploit : « Cela peut paraître impressionnant, mais si l’on parle avec des mushers de course, ils ont tous fait 100 000 km ou plus. »

Malgré ces milliers de kilomètres parcourus, Terry Woolf n’aime pas trop les courses. Fort de son expérience, il pourrait pourtant participer à des compétitions et avoir de bonnes chances d’empiler les trophées. Ce sont des exploits qui ne l’intéressent pas.

« Je n’ai jamais été une personne compétitive », dit-il en haussant les épaules. Terry respecte les coureurs, il a filmé le Yukon Quest à plusieurs reprises et admire cette culture « car elle contribue à maintenir vive la culture des chiens d’attelage ». Mais, ajoute-t-il, « c’est quelque chose qui ne me concerne pas, je suis plus heureux seul avec les chiens dans la brousse ».

Il pourrait aussi gagner beaucoup d’argent en emmenant des touristes sur son traîneau. Mais cela ne le passionne pas non plus. « Des gens m’ont demandé de faire cela pour de l’argent et de créer une entreprise de chiens d’attelage, raconte-t-il. Mais je ne veux pas le faire parce que j’aime trop ça. »

Terry fait une pause, puis poursuit son raisonnement. « Si l’on commence à faire des choses pour de l’argent, il peut arriver qu’on le fasse quand on ne veut pas le faire. Et c’est là qu’on perd la joie. »

Il semble donc que le bonheur, la sensation de réalisation, ne se trouve pas dans le scintillement des trophées ou dans les profits : la jouissance, le sens de la vie, se trouve dans la contemplation.

Dans ce monde obsédé par la concurrence et l’argent, Terry Woolf refuse le système. Il décrit ce qui lui fait chaud au cœur. Et voici comment il parle : « Je me souviens d’avoir traversé un grand lac en décembre. Le soleil couchant éclairait le chemin d’une lumière rose orange. La neige projetée par les pattes des chiens s’est transformée en un orange incandescent, donnant l’impression qu’elle était en feu. C’était spectaculaire. »

Les chiens aiment cette vie et de toute façon « on ne peut pas forcer un chien à faire ça ». (Cristiano Pereira/L’Aquilon)
Les chiens-loups

En 1978, Terry Woolf quitte son emploi à Toronto. « J’en avais marre! », lance-t-il. Il commence à voyager en voiture à travers le Canada et la gare à Yellowknife pour rendre visite à un ami « pendant une semaine ». Les plans ont vite changé. « Et je suis ici depuis lors. »

Il a commencé à travailler comme cameraman et monteur pour CBC pendant quelques années et c’est là qu’il a rencontré sa femme, Aggie Brockman. Dans le cadre de son travail, il a visité la plupart des petites communautés du Nord et a été émerveillé par la culture autochtone, « si riche et si fascinante ». La beauté de la terre l’a également retenu ici.

« Ce n’est pas le genre de beauté que l’on retrouve dans les Rocheuses ou sur la côte de la Colombie-Britannique. Mais je suis tombé amoureux. » C’est alors que sa passion pour les chiens a commencé à poindre.

Pendant quelques années, il n’a eu que des Inuit canadiens, une race canine devenue menacée après l’arrivée des motoneiges dans le nord du pays dans les années 1970. Tout a commencé parce qu’un ami qui avait une fondation pour récupérer ces chiens lui a offert deux chiots inuit.

« Il a dit que la fondation avait déjà trop de chiens et que si je ne prenais pas ces chiots, il devrait les faire tuer. » Terry a recueilli les chiots. Et puis il y en a eu de plus en plus.

Terry Woolf prépare les chiens le long de la rive de Back Bay. (Cristiano Pereira/L’Aquilon)

« C’étaient des chiens grands, forts et à l’allure de loups », décrit Terry. « Mais ils étaient de terribles combattants entre eux et après 15 ou 20 ans, les combats sont devenus trop récurrents. »

Terry et Aggie se sont fatigués de tant de bagarres et il a envisagé d’abandonner les chiens d’attelage. Une autre amie est arrivée pour lui donner leur premier husky sibérien et les choses se sont calmées. Le temps a passé et Terry s’est retrouvé entouré uniquement de huskies sibériens.

« Ce sont des chiens merveilleux. Ils travaillent dur, ne sont pas agressifs et ne se battent pas. Ils sont très efficients et il ne faut pas beaucoup de nourriture pour les faire vivre. Ils écoutent, c’est facile de les faire apprendre. J’ai eu un coup de foudre pour cette race et, depuis, je m’occupe que de huskies sibériens. »

Depuis plusieurs années, Terry et Aggie vivent dans une petite maison dans le quartier Peace River Flats, dans le vieux Yellowknife. Ils ont maintenant sept huskies. Ils ne semblent pas aboyer beaucoup, Terry dit que les voisins ne se plaignent pas.

Six chiens sont opérationnels. Le septième a 13 ans et « il vient de prendre sa retraite ». Les autres sont dehors dans le chenil, mais celui-ci est assis à l’intérieur de la maison, dans un coin, très calme, très serein. « Ses hanches sont en mauvais état. Il a 16 000 km au compteur. »

Terry Woolf n’aime pas trop les courses. Il préfère être seul avec les chiens. (Cristiano Pereira/L’Aquilon)
Éloge de la lenteur

Avec ses chiens, Terry Woolf a parcouru presque toute la région du Grand lac des Esclaves. Il s’agit parfois de voyages de deux ou trois jours, voire de plusieurs semaines. Terry possède également une motoneige, mais il préfère voyager avec ses chiens. « C’est un rythme beaucoup plus lent et on peut voir beaucoup plus de choses. »

Il explique qu’il n’a même pas besoin de conduire la plupart du temps « parce que les chiens suivent la piste » et que cela, ajouté au fait qu’ils se déplacent en silence, lui permet d’approcher les animaux. « J’ai vu des visons, des martres, des loutres, des lynx, des caribous, des loups, des carcajous. » Il se déplace à une vitesse moyenne de 12 km/h. Parfois, il part avec des amis et ils s’organisent de manière à répartir le poids sur les traîneaux. Ils prennent de la nourriture, une tente de prospecteur et un poêle à bois.

D’autres fois, il part seul avec les chiens. Longeant la forêt gelée, les émotions peuvent être extrêmes, dit-il, et « parfois les choses vont mal ». Terry donne des exemples de récits difficiles : « Le chien leader ne veut pas écouter, ou nous pouvons prendre un mauvais virage, nous tromper de piste, peut-être aussi tomber sur de l’eau ou sur de la glace, ce qui est mauvais pour leurs pattes. Il peut arriver qu’un chien arrête de travailler ou que deux chiens se battent. C’est exactement comme lorsqu’un ami vous ment ou vous déçoit. C’est dévastateur. »

Terry Woolf a déjà parcouru 44 000 km avec ses chiens. (Cristiano Pereira/L’Aquilon)
Le chemin du bonheur

Pour Terry, la plupart du temps, c’est du pur bonheur. Ça arrive souvent « quand il fait beau, qu’il n’y a pas de vent et que nous sommes seuls dans la brousse ». Ce sont les moments où « les chiens sont heureux et travaillent bien. J’ai beaucoup de temps pour réfléchir. Ça me donne un grand sourire, c’est de la pure joie de vivre ».

Terry évoque des matins de joie à -35 degrés Celsius « lorsqu’on traverse l’un des petits lacs et étangs, et on peut regarder derrière nous et voir une traînée de vapeur parfaite à environ 36 cm au-dessus du chemin ». Il souligne la profondeur de sa relation avec ses chiens.

« Je peux être à des kilomètres de chez moi, seul. Je compte uniquement sur les chiens. Sur le traîneau, j’ai mon équipement de survie, mais ce sont les chiens qui me ramèneront à la maison. J’ai du mal à trouver des mots sur la confiance et la camaraderie que je ressens avec l’équipe. Je sais que je leur fais entièrement confiance. »

Terry Woolf n’aime pas trop les courses. Il préfère être seul avec les chiens. (Cristiano Pereira/L’Aquilon)

Il garantit que les chiens aiment cette vie et que, de toute façon, « on ne peut pas forcer un chien à faire ça ». « Vous pouvez voir le bonheur sur leur visage », assure-t-il. C’est ce visage que Terry voit lorsqu’il se lève, qu’il ouvre la porte et qu’il sort pour préparer les chiens pour une autre promenade.

Dès qu’il apparaît avec les harnais d’attelage à la main et qu’ils se rendent compte que c’est le moment d’une grande balade à tirer le traîneau, ils se lancent tous dans une fête monumentale, sautant et aboyant d’euphorie.

En 10 minutes environ, Terry a l’équipe de six chiens prête à l’action, le long de la rive de Back Bay. Terry commande ses chiens d’un cri soudain et, d’un coup, ils accourent sur le lac sans la moindre hésitation.

On comprend ce que Terry nous avait dit quelques minutes avant : « Si je veux, je pourrais aller au pôle Nord d’ici. »

Et le voilà, disparaissant à l’horizon, sur le chemin du bonheur, jusqu’à l’émerveillement.

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