Dans le Grand Nord canadien, former en construction pour briser la dépendance à la main-d’œuvre du Sud

Après 6000 heures de travail, ces apprentis charpentiers-menuisiers seront admissibles à la qualification de compagnon et pourront avoir accès à de meilleurs salaires ainsi qu’à des responsabilités plus grandes. (Patrick Payette)
La coopérative de solidarité Ikajurtigiit fait ses débuts dans le domaine de la construction au Nunavik, en formant de la main-d’œuvre locale directement sur ses chantiers pour réduire la dépendance aux travailleurs des entreprises du sud du Québec.

L’entreprise-école sans but lucratif est l’idée originale de Patrick Payette, charpentier-menuisier et formateur en construction.

Après plusieurs années à travailler au Nunavik, il était mal à l’aise face au rôle secondaire que joue, selon lui, la main-d’œuvre inuit dans les chantiers de la région.

« On ne se le cachera pas. Souvent, pour une question de rentabilité, ceux qui ont moins d’expérience vont être attitrés à des tâches moins importantes. Malheureusement, ça revient souvent à la main-d’œuvre inuit », explique Patrick Payette.

Le secteur de la construction est en pleine effervescence au Nunavik, notamment alimenté par une forte demande en logements. (Félix Lebel/Archives/Radio-Canada)

L’idée d’une coopérative lui est alors apparue comme une solution intéressante pour faciliter la formation des apprentis charpentiers-menuisiers du Nunavik. 

« Si tu veux passer par une école professionnelle, tu n’as pas le choix de quitter ta communauté pour aller étudier au sud du Québec ou à l’école professionnelle d’Inukjuak. […] Ce n’est pas toujours facile de faire le move », ajoute Patrick Payette.

Comme solution de rechange à une formation professionnelle classique, les apprentis d’Ikajurtigiit travaillent tout en recevant l’appui et les conseils de charpentiers expérimentés.

Ils accumulent ainsi une expérience de travail qui les rendra admissibles à l’obtention d’un certificat de compétence de compagnon, délivré par la Commission de la construction du Québec (CCQ), après 6000 heures sur les chantiers.

En plus de former ses propres apprentis, Ikajurtigiit offre aussi des formations personnalisées pour des travailleurs en maintenance de l’Office municipal d’habitation Kativik. (Patrick Payette)

« Le but, c’est de structurer leur apprentissage pour les amener à passer le fameux examen de compagnon. Ce qui fait en sorte qu’ils pourront eux aussi superviser des apprentis et être les prochains formateurs de la coopérative », ajoute Patrick Payette.

Inclure les communautés

Obtenir sa « carte de compagnon » est un des rêves de l’apprenti charpentier-menuisier et président d’Ikajurtigiit, Alec Saunders.

« Les entreprises du Sud ne donnent pas de bons emplois pour les Inuit dans la construction. Ils pensent que nous n’avons pas les compétences », explique-t-il.

Alec Saunders cumule près de 2000 heures de travail comme apprenti charpentier-menuisier. Il espère gagner en expérience et devenir un des premiers «compagnons» inuit du Nunavik. (Félix Lebel/Radio-Canada)

Le jeune père de famille de Kuujjuaq n’a donc pas hésité à s’impliquer dans l’entreprise, après avoir reçu un appel de Patrick Payette.

Le modèle coopératif lui garantit une voix dans la gestion de l’entreprise, tout comme les 10 autres apprentis charpentiers-menuisiers qui sont aussi membres d’Ikajurtigiit.

« Avec notre coopérative, nous allons tout faire pour former des charpentiers inuit et faire rouler l’économie de la région », ajoute-t-il.

Alec Saunders voit grand pour lui et ses collègues, mais souhaite tout de même développer la coopérative de façon progressive.

Ikajurtigiit se concentre pour l’instant sur des contrats de rénovation d’appartements et de construction de petites structures, comme des cabanons. Pour l’année 2023, la valeur totale des projets dépasse deux millions de dollars.

Les besoins sont grands en rénovation de logements sociaux subventionnés où habitent 98% des résidents du Nunavik. (Félix Lebel/Archives/Radio-Canada)

« Nous avons un contrat avec l’Office municipal d’habitation Kativik pour rénover des logements. Nous allons nous concentrer sur cinq communautés pour l’instant et verrons pour la suite. On y va étape par étape », ajoute Alec Saunders.

Ce dernier espère que l’expérience acquise au fil du temps par les membres d’Ikajurtigiit leur permettra d’entreprendre de plus gros travaux.

Mais il souhaite surtout que ce modèle d’entreprise permette une réelle intégration des Inuit dans le domaine de la construction au Nunavik, en favorisant une formation adaptée à la réalité du Nord.

Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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