Des enfants du Grand Nord canadien placés dans des foyers de groupe illégitimes en Alberta

L’Alberta, le Manitoba et l’Ontario sont les principales provinces à accueillir des jeunes sous la protection de la jeunesse au Nunavut et dont les besoins sont trop complexes pour les services disponibles sur le territoire. (Nathan Denette/La Presse canadienne)
Au cours de la dernière année, le gouvernement du Nunavut a placé huit jeunes sous la protection des Services à la famille dans des foyers de groupe illégitimes en Alberta. L’entreprise qui gérait ces foyers n’avait pas les permis nécessaires pour les accueillir et, selon des informations obtenues par Radio-Canada, l’Alberta n’a été informée de la présence de ces enfants sur son territoire que plusieurs mois après leur arrivée.

Le Nunavut se tourne régulièrement vers des provinces du sud du pays pour accueillir leurs jeunes aux besoins complexes, comme des troubles de comportement ou de développement, un handicap ou des problèmes de santé grave, lorsque les ressources ne sont pas disponibles sur place.

Or, dans ce cas-ci, la province d’accueil affirme que le Nunavut n’a pas respecté la procédure établie par le protocole pancanadien qui régit ce type de placements interprovinciaux.

Selon des documents obtenus par Radio-Canada, huit jeunes vulnérables ont été placés au cours de la dernière année dans trois foyers de groupe gérés par l’entreprise Ever Bright Complex Needs Support Services (Ever Bright) à Airdrie, au nord de Calgary.

Les bureaux de l’entreprise Ever Bright Complex Needs Support Services, qui possède une dizaine de foyers de groupe ou autres types de logements assistés, à Airdrie, en Alberta. (Matulis Mark/Radio-Canada)

Le ministère des Services à l’enfance de l’Alberta a confirmé que les permis accordés à l’entreprise pour recevoir des enfants avaient été annulés à la demande de cette dernière quatre mois avant l’arrivée des enfants et des adolescents dans la province.

Elle a donc accueilli des enfants sans détenir les permis requis pour s’en occuper.

La ministre des Services à la famille du Nunavut, Margaret Nakashuk, n’était pas disponible pour une entrevue.

Sa sous-ministre, Yvonne Niego, soutient avoir appris l’annulation des permis durant un entretien avec Radio-Canada, vendredi. Pourtant, la porte-parole du ministre des Services à l’enfance de l’Alberta affirme, par écrit, que la province a « indiqué à plusieurs reprises au Nunavut qu’Ever Bright n’avait plus de permis, ce qui impliquait que le placement d’enfants [auprès de l’entreprise] n’était pas autorisé ».

Yvonne Niego, sous-ministre des Services à la famille du Nunavut. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Yvonne Niego indique que des démarches sont en cours pour retirer les enfants des foyers Ever Bright. Elle ajoute qu’après avoir mené une évaluation des lieux en février, le Nunavut a déterminé qu’il n’y avait pas de risque immédiat pour leur sécurité.

Le directeur et fondateur de l’entreprise, Bright Adelegan, a confirmé vendredi que sept de ces jeunes se trouvaient toujours sous sa garde.

Ever Bright se défend

Bright Adelegan nie que ses permis pour accueillir des enfants n’étaient plus valides au moment où les jeunes Nunavummiut ont été placés dans ses foyers de groupe.

Son entreprise avait déjà pris en charge des enfants dans le système de protection de l’enfance au Nunavut dans le passé.

Bright Adelegan affirme avoir dû renvoyer un premier groupe d’enfants au Nunavut au printemps 2022, parce qu’il lui était impossible de les inscrire à l’école en Alberta.

Le bureau chargé des permis a alors reçu une demande d’annulation de sa part, puisqu’il n’avait plus d’enfants aux deux adresses pour lesquelles il avait obtenu ces permis, explique le ministère, ajoutant qu’une lettre a été envoyée à Ever Bright pour confirmer l’annulation.

La lettre stipulait également qu’il devait « reprendre les discussions au sujet des permis si la situation venait à changer ».

En entrevue, Bright Adelegan confirme que ses permis ont été annulés durant l’absence des enfants, mais répète à plusieurs reprises qu’ils étaient « toujours valides jusqu’en janvier 2023 ».

Le ministère des Services à l’enfance de l’Alberta a bel et bien confirmé à Radio-Canada qu’il avait invalidé ses permis en avril 2022.

Le directeur d’Ever Bright, Bright Adelegan, maintient que ses permis pour accueillir des enfants étaient toujours valides jusqu’en janvier 2023. (Mark Matulis/Radio-Canada)
L’Alberta se mobilise

Le ministre des Services à l’enfance de l’Alberta, Mickey Amery, n’était pas disponible pour une entrevue.

Dans un courriel, son attachée de presse Chinenye Anokwuru dit qu’« il incombe [au Nunavut] d’aviser la province d’accueil avant qu’un enfant n’y soit envoyé afin que les services et mesures nécessaires soient mis en place pour assurer la sécurité et le bien-être de l’enfant ».

« Après avoir pris connaissance de la présence des enfants placés par le Nunavut, le ministère des Services à l’enfance a eu plusieurs communications avec le Nunavut […] et l’Alberta a affecté temporairement des travailleurs sociaux aux enfants. »

Au nombre des inquiétudes de l’Alberta, précise-t-elle, figurait notamment le fait que « le Nunavut avait placé les enfants dans un établissement non accrédité ». La province était également préoccupée « par le programme de la journée, puisque [les enfants] n’étaient pas inscrits à l’école ».

En vertu de la loi albertaine sur l’éducation, tout enfant de moins de 16 ans résidant dans la province et dont le parent ou tuteur légal réside au Canada doit aller à l’école.

Cependant, seulement la personne ou l’entité qui a la tutelle de l’enfant peut l’inscrire, ce qui explique pourquoi le directeur ou les employés d’Ever Bright n’ont pu le faire.

L’Alberta s’inquiétait, entre autres, que les enfants du Nunavut ne soient pas inscrits à l’école pendant leur séjour. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Radio-Canada n’a pas été en mesure de confirmer le statut légal de la garde de chaque enfant.

Or, quel que soit ce statut, les Services à la famille du Nunavut ont un rôle à jouer dans l’inscription des enfants à l’école, que ce soit par l’entremise du directeur ou celle d’un travailleur social qui fait le lien avec les parents.

Le Nunavut a décliné l’offre de répondre aux questions de Radio-Canada au sujet de la scolarisation des enfants.

Quel que soit ce statut légal des enfants, les Services à la famille du Nunavut ont un rôle à jouer dans leur inscription à l’école. (David Gunn/Radio-Canada)
La pointe de l’iceberg

Le placement de ces jeunes dans un foyer qui ne détient pas de permis pour accueillir des enfants n’est pas une première, note la représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut (RCYO), Jane Bates.

« Le ministère des Services à la famille [du Nunavut] ne s’est pas toujours assuré que les entreprises avec lesquelles il signe des contrats sont accréditées ou qu’elles offrent les meilleurs aides et services dans l’intérêt de l’enfant […] », peut-on lire dans une déclaration.

RCYO a la preuve que [le ministère des Services à la famille] ne suit pas les procédures en place pour assurer la santé et la sécurité des enfants et des jeunes placés à l’extérieur du territoire. Jane Bates, représentante de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut

Même constat du côté du vérificateur général du Canada qui concluait déjà, en 2011, que le Nunavut ne vérifiait pas systématiquement qu’un foyer de groupe extraterritorial disposait d’un permis d’exploitation valide, délivré par l’autorité de la province où il était situé.

Le Nunavut compte la population la plus jeune au pays. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

Environ 65 % de la population du Nunavut est âgée de moins de 15 ans, selon le recensement de 2021.

À ce jour, environ 500 enfants et jeunes sont sous la responsabilité du système de protection de l’enfance du territoire, selon des chiffres officiels. La majorité d’entre eux sont pris en charge par des familles d’accueil ou des membres de leur famille élargie, tandis que 88 autres se trouvent à l’extérieur du territoire.

L’Alberta, le Manitoba et l’Ontario sont les trois principales provinces d’accueil.

Un manque criant de ressources

La sous-ministre des Services à la famille, Yvonne Niego, admet que la problématique de fond qui alimente les placements extraterritoriaux la préoccupe. « Il est injuste qu’un enfant placé à Edmonton soit suivi par un travailleur social situé à 2000 kilomètres », reconnaît-elle.

Entre le manque de travailleurs sociaux, le roulement de personnel et les défis de rétention, elle affirme que le manque criant de ressources dans le système de protection de l’enfance du Nunavut limite les possibilités de placements d’enfants et de jeunes au territoire.

À cela, s’ajoutent le manque de familles d’accueil locales et la fermeture abrupte du seul foyer de groupe pour jeunes du territoire en février.

Au début du mois de février, le ministère des Services à la famille du Nunavut a mis abruptement fin au contrat de l’agence qui exploitait le seul foyer de groupe pour jeunes sur le territoire. (Matisse Harvey/Radio-Canada)

Yvonne Niego reconnaît qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour tendre vers un système de protection de l’enfance autosuffisant. Elle assure vouloir faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter qu’une situation comme celle de ces huit enfants ne se reproduise à l’avenir.

« Je vais demander plus de ressources au Nunavut pour que nous parvenions à prendre soin de nos enfants à l’intérieur du territoire », soutient-elle.

Aide et soutien:
  • La Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être(Nouvelle fenêtre) apporte une aide immédiate à tous les membres des peuples autochtones, avec des conseillers sensibilisés aux réalités culturelles, au téléphone (1 855 242-3310) ou par clavardage. De l’aide est également disponible sur demande en cri, en ojibwé ou en inuktitut.
  • La ligne d’aide Nunavut Kamatsiaqtut offre du soutien 24 h sur 24 à des Nunavummiut qui sont en situation de crise. Le service est offert au téléphone (1 800 265-3333) en anglais et en inuktitut, selon l’heure de la journée.
  • Jeunesse, J’écoute(Nouvelle fenêtre) offre des services d’aide psychologique professionnels 24 h sur 24, 7 jours sur 7, par appel téléphonique ou par message au 1 800 668-6868.

Un article de Matisse Harvey et Emma Hautecoeur avec des informations de Colleen Underwood

Radio-Canada

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