Un « cri d’alarme » au sujet des services de protection à l’enfance du Nunavut

« Le ministère des Services à la famille a manqué à son devoir de protéger les enfants vulnérables », dit Karen Hogan, la vérificatrice générale du Canada. (Radio-Canada/David Gunn)

Des enfants sans suivi pendant plusieurs mois, des communautés dépourvues de travailleurs sociaux, des services inadéquats : les lacunes du système de protection de l’enfance et de la jeunesse du Nunavut sont telles que la vérificatrice générale du Canada lance un « cri d’alarme » au gouvernement territorial dans son rapport d’audit, rendu public mardi.

De passage à Iqaluit pour présenter son rapport, Karen Hogan dresse un constat sans équivoque : « Le ministère des Services à la famille a manqué à son devoir de protéger les enfants vulnérables et d’appuyer les familles, le personnel de première ligne et les collectivités. »

« J’ai deux enfants. Alors, quand j’ai d’abord pris connaissance [des constatations], j’étais vraiment triste, puis vraiment en colère, que cette situation puisse se prolonger aussi longtemps sans être résolue », explique la vérificatrice générale.

Entre le 1er janvier 2019 et le 31 mai 2022, le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) a audité les ministères des Services à la famille et de la Santé et des Ressources humaines et s’est rendu dans cinq collectivités des trois régions du Nunavut.

La vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan, a déposé son rapport sur les services à l’enfance et à la famille au Nunavut, mardi. (Radio-Canada/Matisse Harvey)

Des jeunes livrés à eux-mêmes

Dans la liste complète des lacunes détectées, la vérificatrice générale établit que le ministère des Services à la famille n’effectuait pas de suivis réguliers auprès des enfants, parfois « pendant de longues périodes ». À titre d’exemple, elle cite le cas de deux foyers d’accueil où aucun suivi n’avait été effectué auprès des enfants qui y avaient été placés pendant la période de 39 mois visée par l’audit.

« Sans ces suivis, le ministère ne pouvait pas savoir ce qu’il en était du bien-être ou de la sécurité des enfants », peut-on lire dans le rapport.

Par ailleurs, le rapport établit que le gouvernement territorial n’effectue pas les vérifications préalables adéquates auprès des foyers d’accueil, une constatation mise en lumière dans une récente enquête de Radio-Canada.

« Il est essentiel de procéder à une évaluation préalable des nouveaux foyers d’accueil et d’assurer la surveillance des foyers établis pour confirmer qu’il s’agit de milieux sécuritaires et stables pour les enfants », indique la vérificatrice générale.

Manques de données

Le manque de collecte de données est une autre lacune que souligne le rapport. Cela empêche de refléter la réelle étendue de la situation. À titre indicatif, durant sa période d’audit, le BVG n’a pas été en mesure de savoir combien d’enfants et de jeunes se trouvaient sous la protection des services à l’enfance du Nunavut.

La vérificatrice générale a aussi constaté que la gestion des dossiers n’était pas la même d’une communauté à une autre. « Le système de gestion de l’information est parfois en format papier, parfois sur ordinateur », note-t-elle.

Des airs de déjà-vu

Les constatations du rapport d’audit font écho à des conclusions dressées dans de précédents rapports du BVG sur les défis du service à l’enfance et à la famille. Dans des rapports parus en 2011 et en 2014, ce dernier a conclu que de nombreuses lacunes systémiques persistaient et que le gouvernement territorial « ne s’acquittait pas adéquatement de ses principales responsabilités en ce qui concerne la protection et le bien-être des enfants, des jeunes et de leurs familles. »

Au Nunavut, 32,8 % de la population est âgée de moins de 15 ans, selon le recensement de 2021. (Radio-Canada /Marie-Laure Josselin)

« Une crise persistante et chronique »

Selon le rapport, le ministère n’a pas été en mesure de prendre ses responsabilités en raison de nombreuses causes profondes interreliées qui empêchent toute piste d’amélioration.

« L’incapacité du ministère des Services à la famille de s’acquitter de ses responsabilités découle de graves lacunes chroniques dans des secteurs critiques telles que la dotation en personnel, le logement et l’espace de bureau pour celui-ci, ainsi que la formation qui lui est fournie », indique la vérificatrice générale, Karen Hogan, dans son rapport.

Certaines communautés doivent parfois passer de longues périodes sans avoir de travailleurs sociaux sur place. Cela a notamment été le cas à Chesterfield Inlet, qui a été dans cette situation pendant 25 mois.

« Le personnel ne sera pas en mesure de bien faire son travail jusqu’à ce que le ministère ait les ressources adéquates et qu’il lui fournisse les outils appropriés », peut-on lire dans le rapport.

Devant l’absence de réelles améliorations ces dernières années, Karen Hogan a choisi pour la toute première fois de ne pas formuler de recommandations au gouvernement du Nunavut, contrairement à ses rapports de 2011 et de 2014. Il est devenu très clair qu’une approche très différente était nécessaire, selon elle. « Une approche où l’ensemble du gouvernement s’implique et collabore avec les organisations inuit ainsi que les communautés pour trouver une solution. »

« Il est clair qu’un urgent appel à l’action est nécessaire pour répondre à cette crise », ajoute la vérificatrice générale.

Nous avons laissé tomber nos enfants

En conférence de presse, le premier ministre du Nunavut, P.J. Akeeagok, a admis qu’aucun véritable progrès n’avait été fait depuis les précédents rapports du BVG et qu’une « action immédiate » était de mise.

« Nous avons laissé tomber nos enfants. Je pense qu’il est important que toute action que nous entreprenions soit transformatrice », dit le premier ministre.

En conférence de presse, le premier ministre du Nunavut, P.J. Akeeagok, a reconnu que les lacunes systémiques citées dans le rapport allaient au-delà des frontières du ministère des Services à la famille. (Radio-Canada/Matisse Harvey)

Il a promis d’adopter une « approche pangouvernementale » en débloquant des fonds pour venir en aide aux différents ministères concernés par les constatations du rapport, notamment en matière de recrutement de personnel et de logements pour les travailleurs.

Par ailleurs, il s’est engagé à ce que le ministère de l’Exécutif et des Affaires intergouvernementales crée un poste qui sera responsable d’effectuer des audits et d’élaborer un cadre de référence sur l’obligation de rendre des comptes en matière de rendement.

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Matisse Harvey, Radio-Canada

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