Une adolescente « oubliée » par la DPJ au Nunavik

La famille d’accueil n’avait pas les accréditations nécessaires. (Photo d’archives)

La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du Nunavik devra verser 25 000 $ à une adolescente « oubliée » pendant plus de 10 ans et laissée pour compte dans une famille d’accueil inadéquate, où la violence et la consommation d’alcool étaient monnaie courante.

Dans son jugement rendu en novembre dernier, qui a d’abord été révélé par le quotidien La Presse, la juge Peggy Warolin blâme sévèrement la DPJ pour son manque de suivi auprès de cette adolescente dans le besoin. Une situation « choquante » qui « dépasse l’entendement ».

L’histoire de cette jeune Inuk débute en 2004, lorsqu’un signalement auprès de la DPJ la conduit dans une famille d’accueil, qui fait une demande pour l’adopter en 2006.

Cette demande reste toutefois sur la glace, en raison d’informations fournies par le service de police. 

La DPJ apprend que le père d’accueil traîne un lourd passé judiciaire de violence, notamment en contexte conjugal. 

Il a plusieurs dossiers criminels pendants, ainsi qu’une accusation d’agression sexuelle sur mineur, sans toutefois que la DPJ ne sache s’il a été déclaré coupable.

« Malgré ces informations, aucune mesure n’est prise, aucune vérification n’est effectuée, pas plus qu’une quelconque intervention », peut-on lire dans la décision de la juge Warolin. 

L’adolescente reste malgré tout dans ce milieu de vie et tombe dans un vide administratif durant plus de 10 ans.

Le manque criant de familles d’accueil dans la région est un défi de taille pour la DPJ au Nunavik. (Photo d’archives/Radio-Canada/Félix Lebel)

Il faut attendre jusqu’en 2017 pour qu’un signalement de négligence dans le milieu d’accueil retienne l’attention de la DPJ dans ce dossier.

On signale que la mère d’accueil est fortement sous l’emprise de drogue ou d’alcool en présence de ses enfants, alors que le père est incarcéré. 

Les enfants biologiques du couple d’accueil sont temporairement placés chez un membre de la famille élargie, mais pas la plaignante, qui n’a toujours pas de statut légal auprès de sa famille d’accueil. 

« L’adolescente n’étant pas une enfant biologique, il est probable qu’elle ait été assimilée à une amie ou à un membre de la famille élargie », explique la DPJ dans le jugement.

Le rapport conclut que la sécurité et le développement de l’enfant sont compromis et qu’un suivi doit être assuré, mais rien n’est fait. 

Malgré d’autres signalements, la jeune fille passe complètement sous le radar de la DPJ jusqu’en 2021, où elle est placée en centre de réadaptation en raison de graves problèmes de comportement. 

C’est seulement à ce moment que les intervenants de la DPJ prennent véritablement conscience de son statut particulier. 

Un fait que reconnaît la DPJ, selon le rapport. « N’eût été les évènements de février 2021, il en serait encore de même », ajoute-t-il. 

La juge Peggy Warolin se demande comment la DPJ a pu ignorer tous les signaux d’alerte dans cette situation « choquante ». (Photo d’archives/Getty images/Chris Ryan)

Un problème grave

L’accumulation de ces signaux d’alarme, maintes fois ignorés par la DPJ, fait craindre le pire à la juge Warolin. 

« En effet, si la situation de l’adolescente a pu passer sous le radar pendant toutes ces années, malgré les alertes pourtant survenues à divers moments, nous sommes en droit de penser que plusieurs autres enfants sont dans la même situation », explique-t-elle dans son jugement. 

Elle souligne que les conditions de vie plus difficiles des Inuit du Nunavik devraient justifier une plus grande attention « à la hauteur de la détresse dans laquelle ils se trouvent ». 

Une mesure réparatrice

C’est en raison de ce manquement grave que la juge a ordonné à la DPJ de verser une somme de 25 000 $ à l’adolescente, en guise de reconnaissance des torts causés. 

La DPJ devra aussi payer les coûts d’un suivi psychologique et personnel dont souhaiterait bénéficier l’adolescente pendant une période de 10 ans.

Pour son avocate, Me Cassandra Neptune, la question de l’argent était surtout symbolique, puisqu’il était difficile de mettre un chiffre sur les conséquences du préjudice subi.

« On ne pouvait pas retourner en arrière. Le manquement n’était pas quantifiable […] Sauf qu’en même temps, ce montant-là est significatif pour l’aider et la supporter un peu dans le futur, a-t-elle dit en entrevue au micro d’Isabelle Richer.

Malgré ce blâme, la juge a tout de même souligné la transparence de la DPJ dans le processus judiciaire et la reconnaissance des torts causés, qui s’expliquent principalement par un manque de ressources. 

Elle affirme aussi que la nouvelle directrice de la DPJ, qui n’était pas en poste au moment des faits, s’affaire à corriger de nombreuses situations problématiques dans son organisation. 

Toutefois, la Direction de la protection de la jeunesse conteste et fera appel du jugement. 

La Régie de la santé et des services sociaux du Nunavik (RSSSN) n’a quant à elle pas répondu à nos questions pour le moment.

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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