« Twice Colonized » : l’activiste inuk Aaju Peter dans tous ses états

Aaju Peter est une Inuk originaire du Groenland. Elle réside à Iqaluit, au Nunavut, depuis 1981. (Lin Alluna/Archives/Donald M. Bowie Chambers)
Avocate, militante, mère, grand-mère, créatrice de vêtements en peau de phoque, admiratrice de Tina Turner, joueuse de bingo… C’est une Aaju Peter multifacettes qu’on découvre dans Twice Colonized (Deux fois colonisée), le documentaire qui ouvrira le Festival Présence autochtone le 8 août. Un long-métrage « très difficile » à tourner, admet la protagoniste, mais qui illustre « les épreuves que les Autochtones doivent traverser au quotidien ».

Née au Groenland, envoyée au Danemark à l’âge 11 ans pour étudier et installée depuis l’âge adulte au Nunavut, Aaju Peter a toujours eu l’impression d’avoir été colonisée deux fois. La première, par les Danois. La deuxième, par les Canadiens du Sud.

C’est la réalisatrice danoise Lin Alluna qui l’a approchée pour qu’elle raconte son histoire. À l’époque, les enfants groenlandais qui étaient bons à l’école étaient envoyés au Danemark pour poursuivre leurs études. Ce pan de l’histoire coloniale du Danemark est pourtant méconnu par la majorité des Danois et la réalisatrice a voulu, grâce à Twice Colonized, sensibiliser les siens.

Les Danois n’ont pas eu de pensionnats comme au Canada. Mais cette façon de faire avait le même objectif, soit celle qu’on oublie notre langue et notre culture […] Nous devions croire que ce qui nous était imposé était pour le mieux.Aaju Peter, protagoniste du documentaire

Aaju Peter s’est rendu compte avec les années que cet exil, qui leur promettait « un bel avenir et un bon travail », leur avait causé plus de tort que de bien, car le but était d’« occidentaliser les petits Inuit » et de « faire de nous des Danois autant que possible ».

À 18 ans, Aaju Peter est retournée dans sa terre natale, mais elle y avait perdu ses repères. « J’ai toujours eu l’impression que j’avais perdu ma propre connexion au Groenland », confie-t-elle en entrevue à Espaces autochtones. Elle a donc décidé de déménager à Iqaluit, au Canada, où son combat pour les droits des Inuit et des Premières Nations a commencé.

Aaju Peter et la réalisatrice danoise Lin Alluna lors du tournage de « Twice Colonized ». (Lin Alluna/Archives/Donald M. Bowie Chambers)
Filmé sur sept ans

Aaju Peter est déjà apparue dans le documentaire Angry Inuk (2016), qui aborde la chasse au phoque comme moyen de subsistance pour les Inuit, et dans Arctic Defenders (2013), qui retrace la création du Nunavut. Mais Twice Colonized a été celui qui a été « le plus difficile » à tourner, admet celle qui est devenue avocate en 2007.

Filmé sur une période de sept ans, le long-métrage de 92 minutes nous montre les moments les plus intimes et vulnérables de la protagoniste : du suicide de son fils à sa relation abusive avec un homme blanc en passant par la visite de son village natal au Groenland et son enfance teintée par la pauvreté.

« Ce documentaire est très personnel, il me suit dans mon quotidien. Je vivais des moments très difficiles durant le tournage », affirme celle qui a reçu l’Ordre du Canada en 2012.

Au point où, à un moment, la femme de 63 ans admet avoir regretté s’être dévoilée autant. Elle a toutefois réalisé que les difficultés qu’elle traversait n’étaient pas seulement propres à elle, mais aussi à tous les Autochtones qui doivent composer avec les conséquences du colonialisme.

Il n’y avait donc aucun moyen que je ne puisse pas inclure [mes moments vulnérables] dans le film. Je voulais que ce soit vrai. Je ne voulais pas apparaître comme une héroïne ou toute-puissante, car je ne le suis pas.Aaju Peter, protagoniste du documentaire
L’artiste et activiste Aaju Peter. (Archives/Présence autochtone)
Résilience

Pour André Dudemaine, un des fondateurs du Festival Présence autochtone, il ne faisait aucun doute que le documentaire devait être présenté en ouverture. Le film, qui avait déjà rayonné à l’étranger et avait été très bien reçu au Festival du film de Sundance plus tôt cette année, permettait aussi de « donner une visibilité particulière aux Inuit ». Le fait que le film aborde la résilience d’Aaju Peter a aussi penché dans la balance.

On entre dans l’intimité d’une personnalité publique qu’on connaît surtout en raison de son militantisme en faveur des droits des Inuit. On est dans l’envers du décor, dans les coulisses, et ça nous donne une nouvelle perspective.André Dudemaine, cofondateur du Festival Présence autochtone

Malgré les difficultés vécues par Aaju Peter durant les sept dernières années, le documentaire nous permet aussi de suivre son combat pour les droits des Premières Nations et des Inuit, notamment à travers son engagement pour créer un Forum européen permanent pour les peuples autochtones. « Je devais trouver une manière de recommencer à fonctionner, à promouvoir nos droits et notre culture. Je ne pouvais pas juste abandonner », nous dit-elle.

Plus on avance dans le documentaire, plus on la voit s’affranchir de son douloureux passé, et même, un peu, à pardonner. Par exemple, lorsqu’elle commence à parler danois et qu’elle affirme qu’elle ne ressent plus la même colère. Ou quand, fraîchement arrivée à Copenhague, elle déclare fièrement que les Danois ne peuvent plus dire ou faire quoi que ce soit qui puisse l’embarrasser.

Arrivera-t-elle à accepter son passé et à pardonner à ses colonisateurs? Elle n’a pas encore la réponse. « Ce terme de décolonisation, c’est très récent pour moi. En inuktitut, ce concept n’existe même pas. Donc, j’essaie encore de comprendre ce que c’est et ce que nous devons faire pour le traverser. Peut-être que oui, peut-être que non », conclut-elle.

Le Festival Présence autochtone se tient à Montréal jusqu’au 17 août.

Un texte de Myriam Boulianne

Espaces autochtones, Radio-Canada

Pour d’autres nouvelles sur les Autochtones au Canada, visitez le site d’Espaces autochtones.

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