Aucune amende pour les entreprises d’exploration minières fautives au Nunavik

Malgré des infractions à la Loi sur les mines, aucune amende n’a été remise aux entreprises d’exploration minière au Nunavik (Photo d’archives/Radio-Canada/Marc Godbout)

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) n’est pas en mesure de divulguer combien de sites d’exploration minière récemment abandonnés se trouvent au Nunavik, et n’a remis aucune amende aux entreprises contrevenantes.

Lorsque les équipes de l’Administration régionale Kativik (ARK) ont visité le camp Chrysler en août dernier, rien n’avait été nettoyé sur le site depuis le départ de l’entreprise d’exploration minière.

Au total, 219 barils de diesel et 50 barils de carburant à avion sont entassés sur ce site construit en 2010, et dont le claim minier était considéré comme actif jusqu’en janvier 2023.

Les barils sont abandonnés depuis de nombreuses années, et ils risquent de se déverser à tout moment. (Photo : ARK)

Quelque 55 000 litres de carburant risquent donc de se déverser dans les cours d’eau du bassin versant de la rivière Koksoak, une source de nourriture des résidents de Kuujjuaq.

La loi oblige pourtant le propriétaire du site à nettoyer les lieux dans les 30 jours suivant son départ, après quoi l’entreprise s’expose à une amende qui peut atteindre 3 millions de dollars.

Le site se trouve à quelques dizaines de kilomètres de Kuujjuaq, près d’un cours d’eau. (Radio-Canada)

Malgré l’infraction, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF) confirme qu’aucune amende n’a été remise à l’entreprise minière.

La concession minière était à l’origine propriété de l’entreprise Canadian Royalties, détenue par des intérêts chinois et qui opère une mine de nickel dans la région.

Les droits ont ensuite été transférés à deux reprises pour finalement aboutir entre les mains de Pardus Investment, une entreprise basée à Hong Kong et à Londres. Québec souligne que des démarches sont en cours en vue du nettoyage de l’ancien camp d’exploration.

L’Administration régionale Kativik a procédé elle-même à une inspection du site en août dernier. (Photo : ARK)

En fait, le ministère n’a jamais remis d’amende à des minières travaillant au Nunavik en lien avec le non-respect du délai de nettoyage des camps d’exploration minière.

«Le MRNF transmet d’abord un avis de non-conformité au responsable avant de mettre en œuvre les mesures pénales. Dans la plupart des cas, le responsable s’est conformé et a procédé au nettoyage», a déclaré le MRNF par courriel.

Un phénomène du passé?

Le Nunavik a connu une époque de forte activité d’exploration entre les années 1970 et 1990, où les entreprises préféraient souvent laisser derrière leurs machineries et leurs déchets industriels.

Au début des années 2000, environ 595 sites potentiels ont été recensés par l’Administration régionale Kativik, qui a procédé au nettoyage de 130 anciens camps.

À de nombreux endroits sur le territoire, d’anciens sites contenaient des barils de carburant et de la machinerie rouillée. (Photo d’archives/Gracieuseté: ARK)

L’opération a été financée en partie par l’industrie elle-même avec le Fonds Restor-Action Nunavik et par Québec, dans le cadre d’une entente.

Le ministère dit avoir entamé des démarches auprès des propriétaires d’une trentaine d’anciens sites d’exploration minière de cette époque, pour qu’ils paient la facture de ce nettoyage.

Questionné sur les entreprises qui ont plus récemment contrevenu à la loi, comme c’est le cas du camp Chrysler, le ministère indique «qu’il est possible qu’il y ait d’autres camps abandonnés qui n’ont pas été visés par l’entente de nettoyage des sites miniers au Nunavik», sans toutefois en préciser le nombre.

Il est difficile, alors, de quantifier l’ampleur du phénomène d’abandon récent des sites d’exploration minière au Nunavik.

Même si l’industrie dit avoir fait ses devoirs en matière de responsabilité environnementale, le cas du camp Chrysler rappelle qu’il existe toujours des contrevenants.

Ce genre de comportements est dénoncé par les instances politiques inuit et par certains joueurs de l’industrie, comme la mine Raglan, un important producteur de nickel au Nunavik.

«On est du même côté que nos partenaires inuit et on met la même pression parce que ça nuit à notre image. Toute l’acceptabilité sociale en dépend […] Il faut remettre le territoire exactement comme on l’a trouvé au départ. C’est avec ces concepts-là que nous opérons», explique le vice-président de la mine Raglan, Pierre Barrette.

La mine Raglan est un joueur important de l’industrie minière au Nunavik depuis 25 ans. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Suivi incomplet

La loi oblige les entreprises à déclarer leurs travaux d’exploration lorsqu’ils dépassent un certain seuil d’impact sur l’environnement.

Ils doivent alors fournir un plan de réaménagement du site, ainsi qu’une garantie financière de sa remise en état. Il en revient ensuite à l’entreprise de déclarer l’avancement des travaux de réaménagement.

Le ministère n’a toutefois effectué aucune visite au Nunavik pour s’assurer du respect de la loi sur les anciens sites miniers.

«Le MRNF peut exiger du responsable la transmission de rapports ou de preuves attestant la réalisation des travaux de nettoyage», explique le ministère par courriel.

L’Administration régionale a effectué des visites d’anciens sites miniers abandonnés, mais indique qu’elle ne peut faire le suivi sur les sites récents, qui sont la responsabilité de Québec. (Photo : ARK)

Ce type de déclaration sans suivi sur le terrain n’est pas sans faille, d’après le professeur de droit et spécialiste sur la question minière Christophe Krolik, de l’Université Laval.

«Vous pouvez avoir la meilleure des réglementations, si le gouvernement n’est pas là pour appliquer, pour aller voir concrètement ce qui se passe et s’assurer qu’un projet a réellement été réhabilité, le processus est incomplet et insuffisant», explique-t-il.

L’impact de ce manque de surveillance a à son tour un effet négatif sur l’acceptabilité sociale des projets miniers d’après lui.

Ce manque de suivi est décrié par la Corporation Makivvik, qui représente les intérêts des Inuit au Nunavik.

La société Makivvik s’inquiète des conséquences environnementales de l’exploration minière au Nunavik. (Radio-Canada/Eilis Quinn)

L’organisation a récemment demandé au ministère un moratoire sur tout nouveau projet d’exploration minière.

Les préoccupations environnementales sont au cœur de cette demande, qui n’a pas été acceptée par le gouvernement du Québec pour le moment.

L’organisation souligne qu’elle ne sera satisfaite que lorsque tous les sites, anciens ou récents, seront complètement nettoyés de leur territoire ancestral.

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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