Dernière frontière : le Yukon, du fantasme à la réalité

Véro Lachance, dans Dernière frontière. (Erik Pinkerton)

La pièce Dernière frontière, présentée au Théâtre aux Écuries, à Montréal, du 30 novembre au 9 décembre, propose aux spectateurs un voyage à l’intersection du théâtre documentaire et du récit personnel. Le spectacle propose une perspective qui se veut différente sur un territoire souvent perçu, à tort ou à raison, comme exotique. 

Rencontre avec Véro Lachance et Jade Barshee, à l’origine du projet théâtral. 

La pièce commence sur un mythe. Celui de la grande révélation, l’illumination personnelle qui se présente d’elle-même en allant se perdre au fond des bois. 

Je t’écris pour te dire que je ne reviendrai pas. Je m’en vais au Yukon. Tout est plus grand là-bas. Ça fait que tu te sens petit, mais dans le bon sens.

– Extrait de Dernière frontière

«Y a beaucoup de monde qui se ramasse au Yukon parce qu’ils ont pris une carte et voulaient se retrouver géographiquement le plus loin possible», explique Véro Lachance, qui a coécrit la pièce. «Il y a une espèce de projection ou un fantasme que les gens se font du territoire, au lieu de voir le territoire pour ce qu’il est.» 

Dernière frontière est une histoire de changement, de transformation et de voyage, tant aux confins des grands espaces, qu’intérieurement. 

Quand Véro Lachance arrive au Yukon, en 2017, iel est ébloui par les paysages et la nature sauvage. Iel le dit d’emblée : «c’est normal, c’est tellement gros, tellement présent partout. Tu es au centre-ville de Whitehorse et tu vois les montagnes, peu importe où tu es».

John Fingland a lui aussi participé à l’écriture de Dernière frontière. (Erik Pinkerton)

Au fil du temps et des années passées sur le territoire qu’iel a adopté comme sa maison, Véro Lachance note que la majorité des œuvres francophones qui en sortent naissent de la perspective de gens qui n’y sont restés que très peu de temps. «Souvent, les gens ont habité au Yukon pendant maximum un an et ce sont leurs œuvres qui sont les plus diffusées.»

Véro Lachance croit que ces diffusions sont issues d’un bon fond, mais qu’il y manque tout de même beaucoup de nuances. «Surtout dans une ère de réflexion qu’on a avec la réconciliation, ça demeurait souvent des perspectives très coloniales.» Le point de vue des nombreuses nations autochtones du Yukon figure comme trame de fond dans Dernière frontière.

Iel se pose donc la question : comment aborder des perspectives différentes? «On voulait trouver des narratifs qui ont historiquement été marginalisés, même si on sait que c’est impossible de représenter tout.»

Satyre et autodérision

La pièce dénonce la folklorisation de la région éloignée. On y parle beaucoup des gens «qui viennent, qui prennent ce dont ils ont besoin et qui repartent». La perspective historique qui est proposée sur l’époque de la ruée vers l’or est particulièrement satyrique.

L’idée est de mettre de l’avant le fait que ceux qui restent doivent vivre avec les répercussions de ce qui a été fait par ceux qui ne sont plus là. Malgré tout, montrer le public du doigt n’est pas l’objectif. «On ne voulait jamais pointer le public du doigt», assure Jade Barshee, codirectrice du Théâtre Everest, qui a collaboré à la création de la pièce.

La présence de drag dans la pièce s’est imposée d’elle-même, selon Véro Lachance, puisque plusieurs membres de la production font partie de la communauté LGBTQ2+. (Erik Pinkerton)

C’est pourquoi celle qui a aussi travaillé à la mise en scène et à la direction artistique soutien que l’autodérision s’est avérée un mécanisme particulièrement important dans le processus de création de la pièce. «On s’est posé la question : est-ce qu’on est en train de devenir ce qu’on dénonce? On utilise quand même des fonds publics et notre privilège pour faire notre art», dit-elle en riant. 

Véro Lachance avoue s’être posé la question de manière profonde. «En sachant que plusieurs d’entre nous [membres de la production] avons décidé de faire du Yukon notre maison, comment est-ce qu’on s’assure de ne pas seulement imposer notre présence sur le territoire, mais comment redonner aussi?»

Véro Lachance, coauteurice, de la pièce Dernière frontière. (Brian Pelchat)

Iel ne prétend pas avoir la solution à tout, mais tente de se positionner comme une alliée dans ce contexte de réconciliation avec les Premières Nations notamment. Une part des profits réalisés lors du passage de la pièce au festival Pivot à Whitehorse a été remise à un organisme autochtone et la même chose sera faite avec les représentations au Théâtre aux Écuries à Montréal, selon iel.

Oui, il y a un afflux de personnes. Mais si on décide de rester et de s’impliquer, on veut toujours aller plus loin et s’assurer qu’on est utiles en fait.

– Véro Lachance, coauteurice de Dernière frontière

La pièce Dernière frontière ne raconte pas une histoire en particulier, mais tente plutôt d’illustrer un propos, une perspective manquante qui, sans prétendre fournir toutes les réponses, espère poser un morceau de casse-tête sur la toile de fond, magnifique, qu’est le Yukon.

Dans cet article, nous utilisons le pronom iel, formé à partir des pronoms il et elle, conformément aux souhaits de Véro Lachance.

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