Les juges doivent prendre en compte les risques du sevrage d’alcool, selon un coroner
Le coroner Éric Lépine recommande que les juges de la Cour du Québec prennent en compte les risques pour la santé lorsqu’ils émettent des ordonnances de non-consommation d’alcool aux personnes dépendantes, après la mort d’un résident d’Inukjuak, au Nunavik, décédé subitement des suites d’un sevrage.
L’homme de 31 ans vivait avec une forte dépendance à l’alcool au moment de sa comparution à la Cour en mars dernier.
Il a plaidé coupable à des accusations criminelles et a été condamné à une peine de détention à domicile, avec une interdiction de consommer de l’alcool.
Décidé à respecter ses conditions, il est allé vivre chez une amie pour s’éloigner des personnes de son entourage qui auraient pu l’inciter à consommer.
Il y est allé, sans aide médicale pour le guider dans son sevrage, sans savoir que sa vie pouvait être en danger.
Arrêter l’alcool subitement quand on est une personne dépendante peut causer des symptômes légers comme des tremblements et de l’inconfort, mais peut aussi mener à la mort dans des cas plus sévères.
Le soir même après sa comparution, son amie lui a préparé un souper, mais ses tremblements étaient si forts que l’homme n’arrivait pas à tenir son assiette. Néanmoins, il disait se sentir bien et est allé se reposer.
Plus tard en soirée, son amie a remarqué qu’il était inconscient dans son lit, et il a été transporté d’urgence au Centre local de services communautaires du village. Son décès a été constaté sur place.
Une autopsie a plus tard confirmé qu’il est décédé des conséquences d’un sevrage aigu à l’alcool, dont il était dépendant, peut-on lire dans le rapport du coroner Éric Lépine.
Une mort évitable
Selon le coroner, il aurait été préférable que l’homme soit évalué médicalement avant le prononcé de sa peine, pour s’assurer qu’il soit en mesure de respecter sa condition imposée par le juge.
Sa dépendance à l’alcool était par ailleurs connue par le magistrat, qui en avait été informé par l’avocate de la défense.
Durant les neuf minutes qu’a duré sa comparution, il tremblait et il était déjà visiblement en sevrage, d’après son avocate.
«Il n’a pas été questionné sur son état médical et sur sa capacité réelle de maintenir une sobriété sans assistance médicale», peut-on lire dans le rapport du coroner.
Selon lui, sa mort aurait pu être évitée s’il avait pu bénéficier d’un suivi médical approprié, particulièrement dans les premiers jours du sevrage.
Le coroner propose donc d’inclure la condition additionnelle de se présenter au centre de santé dans un très court délai afin d’être accompagnée médicalement lorsqu’une personne se voit ordonner d’arrêter de consommer de l’alcool.
Il recommande aussi de sensibiliser les juges et les avocats aux conséquences d’un sevrage alcoolique.
Éric Lépine interpelle ici le Barreau du Québec et le Conseil de la magistrature pour qu’ils offrent des formations professionnelles en ce sens.
Invitée à commenter le rapport, la bâtonnière du Québec, Me Catherine Claveau, confirme que ses équipes travaillent déjà sur l’élaboration d’une formation qui sera présentée à ses membres au printemps prochain.
«Pour les Autochtones, ça veut dire : adapter notre système de justice à leur réalité, donc collaborer avec eux. Tous les intervenants du barreau, soit les procureurs de la poursuite, les avocats qui font de la protection de la jeunesse, en pratique privée, on a tous ce souci-là […] Nous allons tenter d’améliorer les choses autant que faire se peut», explique Me Claveau.
De son côté, le Conseil de la magistrature du Québec dit être en train d’évaluer de quelle manière il pourra appliquer les recommandations du coroner.
«Non seulement on en prend acte, mais on va y donner suite, c’est certain», assure la secrétaire du Conseil de la magistrature du Québec, Annie-Claude Bergeron.
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