Aux T.N.-O., l’approche d’une nouvelle saison de feux de forêt attise l’anxiété

La saison 2023 des feux de forêt a été dévastatrice pour les habitants des Territoires du Nord-Ouest. (Photo d’archives)

Au moment où plusieurs signes, dont le début hâtif de la saison albertaine des feux de forêt, laissent présager un autre été difficile pour les Ténois, plusieurs d’entre eux éprouvent de l’anxiété environnementale, un phénomène qui prend de l’ampleur.

Au déclenchement du premier feu de forêt de 2023 près de Fort Smith, le 5 mai, les résidents du territoire ne se doutaient pas que ce premier incendie n’était qu’un avant-goût de l’été qui allait s’ensuivre : un été de chaleur, de sécheresse, de feux et d’évacuations.

En 2023, Fort Smith a connu plusieurs ordres d’évacuation. (Radio-Canada/Julie Beaver)

Mike Couvrette, qui exploite une ferme d’alpaga avec sa femme et qui est aussi conseiller municipal de Fort Smith, se souvient très bien de cet incendie qui a pris tout le monde par surprise.

«Ce feu n’était qu’à six kilomètres de chez moi, 16 kilomètres du centre-ville de Fort Smith», raconte-t-il.

«Finalement, seulement quelques acres ont brûlé, mais la réaction de toute la communauté était : « wow, qu’est-ce qui se passe? Ça n’arrive jamais si tôt en saison. » Je pense que ça nous a permis de nous rendre compte très tôt que nous avions besoin de nous préparer à affronter une situation inhabituelle.»

Mike Couvrette exploite une ferme d’élevage d’alpaga à Fort Smith, et est aussi conseiller municipal. Il estime que la municipalité peut faire sa part pour rassurer les résidents, comme mettre en place des mesures Préventifeux, et communiquer régulièrement sur la situation des feux de forêt. (Radio-Canada/Julie Plourde)

Puis, de semaine en semaine, davantage de feux se sont déclenchés et propagés, ce qui a mené à l’évacuation de citoyens de partout au territoire, incluant l’ensemble des habitants de la capitale, Yellowknife, et à des drames difficiles à oublier.

Alors que Mike Couvrette et sa femme Helena évacuaient leur région sur une route bordée de flammes, la remorque transportant leurs alpagas a pris feu.

«On a perdu notre bétail, nos chiens de garde [et] nos animaux de compagnie», dit Mike Couvrette, toujours ébranlé par ce qu’il a vécu.

«Je dirais que, de façon générale, les gens sont toujours anxieux», dit-il, quand on lui demande comment vont les résidents de Fort Smith à l’approche d’une nouvelle saison de feux.

Hypervigilance

Le psychologue Robert Selles est un spécialiste de l’anxiété qui collabore avec l’organisme Anxiété Canada et l’Association canadienne des médecins pour l’environnement.

Il explique que les désastres naturels, comme les feux de forêt, semblent très menaçants, car ils sont imprévisibles et peuvent nuire au bien-être. «Ils peuvent provoquer un état de choc. Ils peuvent nous laisser inquiets et effrayés, en proie au deuil et à la colère», dit-il.

Avec la fin de l’hiver et l’arrivée du temps plus chaud et sec, il est normal, selon lui, de ressentir de l’anxiété ou de la peur. «Il y a des raisons valables pour ressentir toutes ces choses. Ces émotions sont une réponse naturelle de notre corps et de notre esprit pour nous protéger», ajoute-t-il.

Geneviève Côté, qui vit à Fort Smith depuis 18 ans, fait partie de ceux qui éprouvent déjà cette anxiété.

La résidente de Fort Smith Geneviève Côté gère son stress en marchant souvent en plein air. Elle croit que de rester informé et de se préparer aux éventualités sont de bonnes tactiques pour gérer l’anxiété. (Photo : Geneviève Côté)

«Je suis ça intensément chaque été, pour savoir ce qui se passe autour de chez nous […]. D’un été à l’autre, on peut se trouver [avec] des conditions vraiment extrêmes», dit la mère d’un enfant de quatre ans.

L’été dernier, elle a quitté sa communauté deux semaines avant l’ordre d’évacuation et elle fait déjà des plans pour passer le prochain été à l’extérieur de Fort Smith. «Je suis mentalement prête à partir quand ce sera le temps», dit-elle.

Ça a créé de l’anxiété, c’est certain. C’est communautaire aussi, c’est tout le village, et tous les Territoires du Nord-Ouest s’en remettent à peine, et on [s’en va] dans une autre saison alors les nerfs sont à vif, c’est sûr.

– Geneviève Côté, résidente de Fort Smith

Entre 85 et 90 % de la municipalité d’Enterprise a été ravagé par les flammes en 2023. (Radio-Canada/Émilio Avalos)

Pour Robert Selles, ce besoin de rester vigilant qui accompagne l’anxiété est normal, mais il peut poser problème. «Ça peut nous faire sentir mieux pour un moment, car on sent qu’on se prépare, mais ultimement, ça nous empêche de prendre soin de nous-mêmes.»

Mme Côté admet que son conjoint trouve qu’elle s’en fait trop pour rien. Rester informée et préparée l’aide toutefois à vivre ses émotions. «J’ai besoin de faire ça parce que j’ai besoin de me sentir prête […]. C’est dur de vivre comme ça, mais c’est important pour moi d’avoir un plan.»

Lâcher prise

Hay River, dans le sud du territoire, a vécu beaucoup de désastres environnementaux dans les deux dernières années. En 2022, des inondations records ont englouti plusieurs quartiers et des secteurs du centre-ville, alors qu’en août 2023, le feu a détruit des maisons dans les secteurs au sud de la communauté.

Dion Griffiths, un résident de Hay River, a pris cette photo quand l’ordre d’évacuation a été donné vers 23 h, le dimanche 14 mai 2023. Il a immédiatement pris la route vers Yellowknife. (Photo : Dion Griffiths)

À Paradise Gardens, Alex McMeekin a toutes les raisons du monde de vivre de l’anxiété en voyant les beaux jours arriver. Ce qui lui restait de son entreprise Riverside Growers après les inondations est parti en fumée avec les feux de forêt. Le père de deux jeunes enfants reste pourtant calme et serein.

«Je pense que c’est facile de se laisser aller à être anxieux, mais ça n’apporte rien de bon. C’est quelque chose qui est hors de notre contrôle», dit-il.

Le psychologue Robert Selles estime que c’est une bonne approche pour gérer ce stress. «Avec les feux de forêt, on peut rester coincé à essayer d’imaginer ce qui va survenir, ce qui sera touché. Et si on dépense tout notre temps et notre énergie à s’inquiéter, nous risquons de ne pas faire les choses qui nous intéressent, qui nous construisent ou nous aident à avancer.»

Alex McMeekin admet toutefois que ce n’est pas toute la communauté qui, comme lui, reste sereine face à ces désastres, mais il dit qu’il faut faire confiance aux autorités.

Le résident de Hay River Alex McMeekin a vécu les inondations de 2022 et les feux de forêt en 2023. Il recommande aux gens d’essayer de ne pas trop s’en faire avec les événements climatiques qu’on ne peut pas contrôler. (Radio-Canada/Julie Plourde)

On a vécu des inondations et des feux. Mais il faut réaliser […] qu’il ne faut pas se laisser entraîner là-dedans. On ne peut pas rester assis et vivre dans l’anxiété tout le temps. Tu sais, nous nous devons ça [à nos] familles et à la communauté de nous efforcer de nous améliorer et d’être heureux.

– Alex McMeekin, propriétaire de Riverside Growers

Consulter, s’il le faut

Robert Selles recommande aux gens qui vivent des émotions difficiles de prendre le temps de les identifier et de les nommer. Se préparer à faire face aux urgences, comme avoir un plan d’urgence, peut aussi aider.

C’est d’ailleurs le message que Feux TNO, l’organisme qui s’occupe de la gestion des feux de forêt, veut faire passer à la population. «Ce qu’on tente de faire, c’est d’inciter continuellement les gens à canaliser leur anxiété vers des activités productives, comme mettre en place des mesures Préventifeu», explique l’agent d’information Mike Westwick.

M. Selles recommande aussi de consulter un professionnel de la santé, s’il le faut.

La mairesse de Yellowknife, Rebecca Alty, n’hésite pas à dire qu’elle a elle-même recouru aux services d’un conseiller, après l’évacuation de sa ville.

Presque tous les habitants de la ville de Yellowknife ont évacué lors des feux de forêt en août 2023. (Reuters/Pat Kane)

Pendant des semaines, elle a dirigé une équipe sans relâche, avant, pendant et après l’évacuation, et a porté sur ses épaules tout le stress d’une communauté.

«J’ai vu que j’étais [épuisée professionnellement] et le travail n’était pas fini. Ce n’était pas comme OK, le feu [se calme] et je peux prendre une pause pendant quelques mois», dit-elle avec émotion.

Mme Alty a pratiqué autant que possible des activités qui lui faisaient du bien, comme marcher ou peindre. Elle a aussi restreint son cercle. «Chaque fois que je voyais quelqu’un, je [racontais] encore mon histoire et je vivais encore du stress. J’ai limité les amis avec qui j’étais pour que je puisse commencer à me sentir [mieux].»

Elle est aussi d’avis qu’il vaut mieux mettre son énergie sur les choses que l’on peut contrôler, et trouver des activités qui apportent de la joie et du réconfort.

La mairesse de Yellowknife, Rebecca Alty, s’attend à ce que l’anxiété chez les résidents de la ville monte d’un cran à l’approche de la saison des feux de forêt. Elle recommande une bonne préparation en cas d’urgence, et espère que tout aille pour le mieux. (Radio-Canada/Julie Plourde)

«Je sais que l’été qui s’en vient va être difficile, admet-elle. Même si les feux ne sont pas là, ça se peut qu’il y ait de la fumée […] de l’Alberta et ça peut faire revivre beaucoup de stress», dit-elle.

«J’essaie de contrôler ce que je peux, tout en reconnaissant qu’on ne peut pas savoir d’avance ce que mère Nature nous réserve.»

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Julie Plourde, Radio-Canada

Vidéojournalise à Yellowknife

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