La première patronne inuk de Canadian North doit faire fi des obstacles

Shelly De Caria a été officiellement nommée PDG de Canadian North Airlines en décembre 2023. (Photo : OAR Canadian North Airlines)

Shelly De Caria, la première présidente inuk de la compagnie aérienne Canadian North, qui, comme son nom l’indique, dessert le Grand Nord canadien, doit relever de nombreux défis.

Parmi les plus importants : le manque de pilotes et le manque de financement du gouvernement fédéral, sans oublier les problèmes météorologiques et logistiques particuliers au Grand Nord canadien.

Le volume des vols du transporteur au-delà du 60e parallèle stagne comparativement à ce qu’il était avant la pandémie de COVID-19. Un des défis que Mme De Caria doit relever est d’équilibrer les problèmes financiers et logistiques avec les besoins des communautés nordiques.

Nommée à son poste en décembre 2023, Mme De Caria dit que son principal objectif est de doubler le service de base, c’est-à-dire les vols transportant des gens, des aliments et d’autres produits essentiels vers une trentaine de villes et villages, comme Kuujjuaq, au Québec, ou Iqaluit, au Nunavut. La vaste majorité des destinations ne sont souvent accessibles que par avion pendant une bonne partie de l’année.

«Il est évident que ce n’est pas faisable du jour au lendemain», fait-elle remarquer.

Née et ayant grandi à Kuujjuaq, dans les années 1980, Mme De Caria a pu constater les limites du transport très familier aux nombreuses localités inuit qui dépendent de l’aviation pour de nombreux mois.

En 2013, elle est devenue la directrice des ventes de First Air, où elle a contribué à mettre en œuvre des programmes d’investissement communautaire ciblant l’éducation, l’alimentation et la santé mentale. First Air a fusionné avec Canadian North six ans plus tard.

Répondre à un besoin avec difficulté

Après la pandémie, les vieux obstacles au développement sont réapparus, dont la pénurie de main-d’œuvre, le manque de financement gouvernemental, les tempêtes et des pistes d’atterrissage en gravier.

«Nous devons nous rendre dans les plus petites collectivités. Ne pas avoir suffisamment de pilotes est un grand problème», dit-elle, tout en faisant observer que ce manque de personnel ne touche pas seulement son entreprise.

Certains pilotes ont préféré aller travailler pour WestJet après la signature d’une nouvelle convention collective qui leur assure une forte augmentation de salaire, mentionne Mme De Caria.

L’entreprise peine à entrer dans ses frais après la fin du financement fédéral qui l’avait aidée pendant la COVID-19. Les vols vers 21 communautés isolées avaient été désignés comme étant un service essentiel, donc admissible à une subvention fédérale.

«Nous sommes la bouée de sauvetage pour les patients. La seule façon de se rendre à Montréal, à Ottawa, à Winnipeg ou à Edmonton, c’est par avion», souligne Mme De Caria. Elle espère que le gouvernement fédéral investira davantage dans les aéroports nordiques afin d’améliorer les activités des compagnies aériennes.

Les infrastructures sont aussi un grand enjeu. Des petites pistes non pavées limitent le type d’appareil qui peut y atterrir.

«Je ne peux pas faire atterrir un jet à Cambridge Bay, par exemple, parce que le gravier risque de s’engouffrer dans les moteurs. La compagnie aérienne doit ainsi faire voler de plus petits avions plus fréquemment.»

Témoignant mercredi devant le comité permanent des affaires autochtones et du Nord, Mme De Caria a déclaré que la marge de profit de l’entreprise continuait de diminuer. À l’heure actuelle, un bénéfice de 1 % sur des livraisons par avion-cargo est habituel.

De plus, les réparations et l’entretien maintiennent régulièrement au sol un certain nombre d’appareils.

«S’il faut changer un filtre à Iqaluit, il y a peu de pièces de rechange à cet endroit. Il faut faire venir cette pièce», ajoute John Gradek, qui enseigne au programme de gestion intégrée de l’aviation à l’Université McGill.

Les atterrissages lorsque la visibilité est faible sont impossibles en raison du manque d’instruments sophistiqués dans les aéroports du Nord. C’est un grave problème dans une région dont le plafond nuageux est souvent bas et où les nuits sont longues pendant une partie de l’année.

«Les distances sont longues et la météo est imprévisible», ajoute M. Gradek.

Shelly De Caria, un espoir pour beaucoup

Équilibrer les priorités commerciales et les besoins sociaux n’est pas une tâche facile, mais Natan Obed, le président d’Inuit Tapiriit Kanatami, l’organisme national représentant les Inuit du Canada, croit que Mme De Caria peut relever ce défi.

M. Obed rappelle que Mme De Caria connaît bien les besoins des communautés inuit puisqu’elle a travaillé pendant trois ans dans son organisme. Elle a été coordonnatrice de la jeunesse de 2007 à 2010 et s’est occupée de nombreux dossiers comme la santé mentale, la prévention du suicide, l’éducation, la langue et la culture.

«Comme c’est une Inuk, comme les gens savent qu’elle défend sa communauté tout en propulsant Canadian North vers la réussite, cela est vraiment stimulant pour plusieurs d’entre nous.»

Mais les possibilités de frictions demeurent, notamment à cause des prix et du manque de concurrence.

Depuis la fusion entre First Air et Canadian North, le nombre de vols a diminué. L’an dernier, le volume de fret était moins de la moitié de celui combiné des deux entreprises en 2018, selon les données de la firme Cirium. Toutefois, les données se ressemblent si on inclut les vols nolisés, selon Canadian North.

«Il existe des tensions parce que les prix des compagnies aériennes qui desservent les collectivités inuit sont supérieurs à ceux dans le sud pour des distances similaires», dit M. Obed.

Un billet aller-retour d’Iqaluit à Ottawa dépasse souvent les 2000 $, constate-t-il, ajoutant que l’on peut toutefois avoir un billet pour un vol de Canadian North pour moins de 1000 $.

«Canadian North dessert en grande partie les Inuit et les collectivités inuit. Ce n’est pas dans son intérêt de s’aliéner ses clients. Ce sont des défis systémiques. Les résultats sont décevants de plusieurs façons, ce qui, à la fin, rend la tâche de Shelly très difficile. Elle doit tenir compte des attentes tout en gérant une institution comme Canadian North.»

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