Des patients du Nunavik forcés de prendre l’avion pour obtenir un tomodensitogramme

Les patients des petits villages doivent d’abord être transférés à Kuujjuaq ou à Puvirnituq à bord de petits avions, avant d’être envoyés à Montréal, à 1500 kilomètres de là. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Alors qu’il fait partie des outils incontournables des salles d’urgence au pays, le Nunavik ne dispose toujours pas de tomodensitomètre, communément appelé « CT-Scan », ce qui limite la marge de manœuvre des médecins, force les patients à être transférés à plus de 1500 kilomètres de chez eux et augmente à certains égards le taux de mortalité.

Quasiment tous les nouveaux médecins qui viennent travailler au Nunavik ont la même surprise en constatant l’absence de capacité d’imagerie médicale par tomodensitométrie dans la région.

«C’est la première chose ou presque qu’on entend comme remarque : « Il n’y a pas de CT-Scan? Comment ça? »», dit la cheffe du département de l’hôpital de Kuujjuaq, la Dre Alexandra Vivier.

Les tomodensitomètres permettent d’obtenir une image interne du corps et de guider les médecins dans leur diagnostic. (Photo d’archives/Dr. Christine P. Molnar)

L’appareil est largement utilisé dans des cas de trauma par exemple, pour s’assurer de l’absence de lésion interne, ce qui permet une prise en charge rapide. Les tomodensitomètres sont aussi nécessaires pour certains suivis, notamment chez les patients à risque de développer un cancer du poumon.

Les omnipraticiens des hôpitaux de Kuujjuaq et de Puvirnituq n’ont donc pas d’autres choix que d’envoyer leurs patients par avion au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), à Montréal.

Les omnipraticiens doivent régulièrement faire appel aux spécialistes de Montréal pour des cas plus particuliers. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Aucune route ne permet d’atteindre le Nunavik. Il faut compter au moins deux heures d’avion pour s’y rendre, et davantage encore si la personne habite dans un autre des villages isolés.

«C’est dommage à chaque fois pour le patient […]. Ce n’est pas nécessairement parce qu’on ne serait pas capable de les prendre en charge ici au Nord, mais parce qu’on n’a pas l’imagerie pour éliminer la possibilité d’une lésion qui pourrait être grave», explique la Dre Alexandra Vivier.

La Dre Alexandra Vivier est persuadée qu’un tomodensitomètre pourrait considérablement améliorer la qualité de vie des patients. (Radio-Canada/Félix Lebel)

Le déplacement est d’autant plus frustrant pour les patients, qu’environ 60 % des résultats sont finalement normaux et ne nécessitent pas d’autres soins, selon une étude réalisée par des chercheurs de l’Université McGill en 2021.

Les chercheurs ont comptabilisé l’ensemble des évacuations médicales de la région entre 2005 et 2014. Ils ont montré que les consultations pour une imagerie médicale représentent environ le quart des évacuations par avion chaque année, dont le coût pour 2022-2023 a atteint 28 millions de dollars.

Les patients sont soit transportés par avion-ambulance dans les cas plus sévères, ou par un transporteur régional pour les situations moins urgentes. (Radio-Canada)

«Ils auraient pu être traités dans le Nord, au Nunavik, près de leur famille, sans vivre un vol d’avion et un séjour prolongé à Montréal», dit le coauteur de l’étude et chirurgien intensiviste du CUSM, le Dr Evan Wong.

Dans des cas plus graves de traumatismes, l’imagerie permettrait selon lui de réduire les délais des diagnostics et de prise en charge des patients avant un transfert vers Montréal pour des soins aigus.

Les patients sont généralement traités au Centre universitaire de santé McGill, à Montréal. (Photo d’archives/Radio-Canada/Félix Lebel)

Le taux de mortalité pour ces personnes est par ailleurs 47 fois plus élevé au Nunavik que dans le reste du Québec, en raison de l’absence de soins spécialisés dans la région, qui entraîne des délais plus grands de prise en charge.

«Mais pour tous les patients plus stables, le CT-Scan permettrait de faire appel à un spécialiste, avec la télémédecine ou même juste au téléphone, pour donner des services plus rapidement et soutenir nos omnipraticiens sur place», explique le chirurgien intensiviste.

Un projet relancé

L’urgence d’implanter un tomodensitogramme dans la région a été soulevée par les équipes médicales depuis plus de 10 ans.

Un projet avait par ailleurs été développé par la Régie régionale de santé et de services sociaux du Nunavik (RRSSSN) en 2015, avant d’être mis sur la glace.

Des problèmes de connectivité à l’Internet haute vitesse pour le transfert de données d’imagerie et la construction éventuelle d’un nouvel hôpital régional à Kuujjuaq avaient eu raison du projet.

Le projet de construction d’un nouvel hôpital régional se fait toujours attendre à Kuujjuaq. (Radio-Canada/Félix Lebel)

«On apprend à l’usure que la construction ne sera pas dans un avenir très rapproché, donc ce genre d’obstacles là, à mon avis, n’a plus sa raison d’être», expliquait sans détour la directrice des services professionnels du Centre de santé Tulattavik de l’Ungava, la Dre Nathalie Boulanger.

Cette dernière réagissait alors aux résultats d’une étude, parue en février dernier, qui faisait état d’un taux de mortalité du cancer du poumon de 68 % plus élevé au Nunavik par rapport au reste de la province.

L’absence de tomodensitomètre y était considérée comme un frein au dépistage précoce des cancers. Les auteurs de l’étude ont, par ailleurs, recommandé l’installation d’un tel appareil au Nunavik.

«C’est sûr que je prêche pour ma paroisse, mais je trouve ça injuste que les personnes qui habitent dans des régions isolées aient de la difficulté à avoir un accès raisonnable à certains soins», soulignait en entrevue la Dre Boulanger.

La Dre Nathalie Boulanger espère que le ministère sera à l’écoute des besoins de la région. (Radio-Canada/Félix Lebel)

La Régie régionale assure depuis que le projet a été relancé et que des discussions avec le ministère de la Santé sont en cours, sans toutefois annoncer d’échéancier.

De son côté, Québec confirme que l’évaluation d’un tel projet aura lieu une fois qu’il sera soumis par les équipes régionales, et que des fonds existent en vue de développer des services au Nunavik.

Les équipes de planification de la RRSSSN auront maintenant du pain sur la planche. Ils devront trouver un lieu adéquat, parce que l’hôpital de Kuujjuaq est réputé pour être saturé, et devront trouver le personnel qualifié pour opérer l’appareil.

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Félix Lebel, Radio-Canada

Journaliste à Sept-Îles

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