Glaciologue au Svalbard aux premières loges des changements climatiques
C’est au Svalbard, le point zéro des changements climatiques, que la glaciologue Heïdi Sevestre mesure et constate quotidiennement leur ampleur. Dans ce coin reculé de la planète, la passionnée des glaces a accès à un laboratoire naturel inestimable.
Les variations de température et de modèles météorologiques observées dans ce territoire à mi-chemin entre la Norvège et le pôle Nord ont une incidence sur le reste du monde.
« Le Svalbard, c’est une région extraordinaire, c’est d’une beauté à couper le souffle. Malheureusement, cette beauté est devenue aujourd’hui l’épicentre du changement climatique. Cette région et une partie de l’océan autour du Svalbard, c’est devenu une région qui se réchauffe de six à sept fois plus vite que le reste de la planète », dit celle qui travaille notamment pour Arctic Monitoring and Assessment Programme.
La scientifique passe une partie de l’année à Longyearbyen, la ville la plus au nord du monde. C’est dans cette communauté éloignée que se trouve UNIS, l’université la plus septentrionale. Heïdi Sevestre y a fait son doctorat et y enseigne parfois.
La glaciologue a accès à un immense terrain de jeu scientifique. L’archipel norvégien est recouvert de près de 60 % de glace. Le glacier le plus proche se trouve à peine à trois kilomètres de la ville de Longyearbyen.
La scientifique originaire des Alpes françaises passe rapidement des laboratoires de recherche aux glaciers. Une facilité qui fait l’envie de plusieurs de ses collègues.
« C’est génial pour des glaciologues comme moi. On a tous les types de glaciers, des glaciers qui arrivent au niveau de la mer, qui sont confinés dans des cirques, des petits, des très grands, très lents, très rapides. On a vraiment tout l’éventail de glaciers qu’on peut avoir sur Terre, sauf qu’ici, ils sont super accessibles. »
« Ce qu’on étudie ici, sur les glaciers, ça nous permet ensuite de retranscrire cela sur les glaciers du Groenland et de l’Antarctique. Et ainsi, de mieux comprendre, par exemple, la rapidité de l’élévation du niveau des mers. »
Le contraste est frappant. Heïdi Sevestre est si petite devant les glaciers qu’elle compare à des amis, à des membres de sa famille.
« Les glaciers m’émeuvent tous les jours. Il n’y a aucun doute. Quand je les vois, je suis vraiment hypnotisée par leur beauté, par tout ce qu’ils ont à nous apprendre. Mais je ne peux pas m’empêcher de les regarder avec une certaine tristesse, une certaine souffrance de voir à quelle vitesse les glaciers sont en train de réagir aux changements climatiques. »
Une excursion sur les eaux de l’océan Arctique nous permet de nous approcher du glacier Borebreen. Ce n’est pas sa taille ni son emplacement qui retiennent l’attention, mais plutôt sa rapidité de déplacement.
« Il est en train de complètement changer de comportement, il est en train d’accélérer. On appelle ça la surge des glaciers. Borebreen, derrière moi, est en train de bouger à trois mètres par jour. Ce qui est extrêmement rapide pour un glacier de cette taille. »
Heïdi Sevestre indique que la communauté scientifique « ne comprend pas tout à fait ce qui force les glaciers à s’accélérer ». Elle s’est d’ailleurs intéressée, pendant son doctorat, à la dynamique des surges glaciaires.
« Un glacier comme Borebreen qui s’accélère, il amène toute une quantité de glace dans les océans. On a vraiment besoin de comprendre pourquoi des glaciers se mettent à accélérer et à quelle vitesse ils accélèrent la hausse des niveaux des mers. »
Au Svalbard, le pergélisol s’étire sur des centaines de mètres d’épaisseur. La scientifique explique que des gaz à effet de serre émanent de la fonte de ce sol gelé en permanence.
« Ces gaz à effet de serre vont nous affecter ailleurs, que ce soit au Canada, en Europe ou en Asie. »
La banquise est également déterminante, selon Heïdi Sevestre.
« Elle est blanche et réfléchit le rayonnement solaire. Donc, elle refroidit cette région arctique. Le problème, si cette banquise disparaît, à la place, on a un océan qui est très foncé. L’océan absorbe très bien la chaleur du rayonnement solaire. »
Comme le rapporte la glaciologue, plus cette couche de glace disparaît, « plus elle modifie le climat et génère d’événements météorologiques extrêmes ».
« Quand on a des vagues de chaleur, quand on a des moments très chauds, très froids, très secs, très humides, aujourd’hui, on se rend compte que c’est relié, en partie, à la banquise de l’Arctique. »
Heïdi Sevestre résume simplement et peut-être même durement la situation. « L’avenir de tous dépend de la santé des écosystèmes de l’Arctique », affirme-t-elle.
Partager son savoir aux autres
Heïdi Sevestre partage son temps entre la recherche sur le terrain, les expéditions et la communication scientifique. Elle se fait un devoir lorsque possible de partager son savoir. Elle prend la parole devant des publics variés, dans les médias, et participe à plusieurs documentaires. Elle est sans équivoque : la science doit dépasser le milieu des experts.
Heïdi Sevestre se réjouit d’ailleurs de voir de plus en plus de ses pairs partager « leur science au plus grand nombre ». Elle enseigne ce qu’elle connaît et maîtrise, mais aussi l’amour de la communication scientifique.
« Aujourd’hui, on a vraiment besoin que le grand public, les hommes et les femmes politiques, les entreprises comprennent ce qui se passe. Si on perd l’Arctique tel qu’il est aujourd’hui, les impacts chez nous vont être absolument terribles. »
Un vent d’espoir
Malgré un discours lucide face à l’état de l’Arctique, un brin d’espoir subsiste chez Heïdi Sevestre. Elle parle du Svalbard comme d’une région test par rapport à l’action contre les changements climatiques. Elle cite en exemple la fermeture de la mine de charbon de Longyearbyen prévue en 2025. La ville était, jusqu’à tout récemment, alimentée par une centrale électrique au charbon. « À la place du charbon, on est en train de développer les énergies nouvelles. »
« On est en train de comprendre qu’investir dans la science, c’est investir dans l’avenir, lance-t-elle avec joie. Dans l’endroit qui se réchauffe le plus vite sur Terre, on est en train de faire cette transformation, cette mutation. »
Au-delà du cercle polaire arctique, là où le réchauffement climatique est plus soutenu qu’ailleurs sur la planète, elle espère que sa voix et son message traverseront les eaux glaciales de l’Arctique.
Ce reportage d’Annie-Claude Brisson a été produit grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.