Première évaluation complète de l’interdiction européenne sur le commerce du phoque

La Commission européenne a entamé une première évaluation complète de l’interdiction de commercialisation des produits dérivés du phoque. (Marie-Laure Josselin/Radio-Canada)

La Commission européenne a entamé une première évaluation complète de l’interdiction de commercialisation des produits dérivés du phoque pour mesurer sa pertinence et son efficacité, 15 ans après son entrée en vigueur.

La jugeant trop restrictive, les autorités du Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest espèrent surtout que ce processus mène, ultimement, à la levée du règlement.

Dans un appel à contributions qui orientera un rapport au Parlement européen, la Commission dit recueillir jusqu’au 7 août les commentaires du public. Le Groenland, le Nunavut et les T.N.-O.  sont invités à y prendre part à titre d’organismes reconnus.

En 2015, l’Union européenne a introduit deux exceptions autorisant les Inuit et les peuples autochtones à vendre, sous certaines conditions, des produits dérivés du phoque.

Les méthodes de chasse doivent tenir compte du bien-être de l’animal, et la chasse doit faire partie des traditions de la communauté, en plus de contribuer à sa subsistance. Une attestation prouvant que ces conditions sont respectées doit accompagner chaque produit vendu.

Depuis, la Commission a mené deux évaluations de ces exceptions, mais elle ne s’était encore jamais prêtée à un tel exercice pour l’ensemble du règlement sur le commerce des produits dérivés du phoque.

Le drapeau de l’Union européenne flottant devant l’édifice de la Commission européenne à Bruxelles. (Reuters/Yves Herman)

Manque d’information

Si elle paraît, à première vue, moins contraignante, la dérogation pour les populations inuit est hautement contestée dans le Nord canadien.

« L’exemption ne fonctionne pas parce que nous avons constaté une baisse draconienne des ventes sur le marché [européen] », affirme Johanna Tiemessen, gestionnaire de la programmation artistique et de l’économie traditionnelle du ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement des T.N.-O.

Selon elle, cette tendance est attribuable à plusieurs facteurs, dont la crainte pour les artisans inuit d’enfreindre la réglementation européenne, la confusion concernant les procédures de certification, le manque d’expérience en matière de commerce international et la désinformation entourant l’industrie.

Le 23 mai, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a d’ailleurs décrit ces défis dans un rapport sur l’industrie de la chasse au phoque. Le Comité a notamment constaté un manque « inquiétant » de données portant sur les populations de phoques dans l’Arctique.

Un phoque qui vient d’être chassé est posé dans un «qamutiik», un traîneau traditionnel de bois, à Resolute Bay, au Nunavut, en juin 2022. (Radio-Canada/Matisse Harvey)

« À qui incombe la responsabilité de mener une campagne de sensibilisation pour mieux saisir les conséquences sur les résidents autochtones du Nord canadien, et comment peuvent-ils contribuer à faire connaître l’exemption? », s’interroge Johanna Tiemessen.

« L’[UE] nous a complètement imposé ce fardeau, ce qui est fâcheux, car par où commencerions-nous? »

Nous sommes heureux qu’il y ait une exemption, mais nous préférerions qu’il n’y ait tout simplement pas d’interdiction en place.Johanna Tiemessen, gestionnaire de la programmation artistique et de l'économie traditionnelle
Johanna Tiemessen déplore le manque d’information portant sur les exemptions de l’interdiction, à la fois au sein des pays membres de l’UE, mais aussi dans le Nord canadien. (Julie Plourde/Radio-Canada)

Lourdeur administrative pour les artisans

La créatrice de mode Taalrumiq, originaire de Tuktoyaktuk, aux T.N.-O., vend la quasi-totalité de ses produits à une clientèle canadienne. Elle affirme avoir plusieurs fois refusé des commandes venant d’Europe en raison du fardeau administratif lié aux attestations des produits dérivés du phoque.

« Les choses seraient beaucoup plus faciles s’il existait une manière plus directe de vendre nos produits », dit-elle.

Pourtant, elle pense que le marché européen dispose d’un grand potentiel pour les artisans autochtones du Nord canadien.

« Je crois qu’il y a de l’intérêt et une demande, simplement sur la base des nombreuses questions que je reçois sur ma plateforme de médias sociaux. Les gens sont intéressés et veulent soutenir les artistes autochtones », dit-elle.

L’artiste Taalrumiq, portant des «ilgaak», des lunettes traditionnelles inuvialuit. (Taalrumiq)

Concertation des populations inuit

La directrice de la division des pêches et de la chasse au phoque pour le gouvernement du Nunavut, Zoya Martin, déplore les conséquences négatives de l’interdiction européenne sur les artisans inuit.

« S’il y a un impact sur les chasseurs autochtones, alors ce sont eux qui devraient être à la table de négociations avec l’UE pour qu’elle entende clairement leurs expériences et comprenne ainsi sur qui ses décisions ont un impact », dit-elle.

Zoya Martin indique que le gouvernement du Nunavut prépare actuellement une trousse informative pour sensibiliser les Nunavummiut au processus de révision de l’interdiction qu’a entamé la Commission européenne et leur donner l’occasion de formuler des commentaires.

« Lorsqu’une exception est nécessaire, c’est signe qu’il y a en fait un problème avec votre réglementation », estime Zoya Martin. (Radio-Canada/Matisse Harvey)

Le gouvernement territorial travaille également avec celui des T.N.-O. et du Groenland pour coordonner leurs réponses.

« Si les règlements sont révisés, voire même abrogés, nous espérons que le gouvernement canadien investira des sommes importantes dans l’économie de la chasse au phoque », poursuit Zoya Martin.

Le rapport de la Commission européenne est attendu en 2025.

Matisse Harvey, Radio-Canada

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