La réalité pas toujours rose des chercheuses en milieu nordique

Une jeune chercheuse est agenouillée sur la toundra pour récolter des échantillons.
Une étude parue dans la revue PLOS Climate montre que le travail de terrain en milieu nordique continue de présenter des obstacles pour les femmes scientifiques. (Photo : Éliane Duchesne)

Un texte de Shanelle Guérin

Imaginez-vous être une femme qui travaille dans le Grand Nord. Le temps est glacial, la toundra s’étend à perte de vue. Vous avez accès à un minimum d’équipement et à peu d’intimité, et vous devez vous soulager et changer votre tampon, alors que des ours polaires vivent dans les environs… Cela peut paraître anodin, mais cette simple éventualité demande qu’on s’y prépare. Et c’est l’un des nombreux défis que les chercheuses en région nordique doivent surmonter.

Éliane Duchesne, professionnelle de recherche à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et au Centre d’études nordiques, en sait quelque chose. «Je me rappelle, lors de ma première année de recherche, jamais mes règles n’ont été nommées, alors qu’on avait plein de rencontres préparatoires», raconte-t-elle.

Une fois sur le terrain, la réalité la rattrape.

On jette ça où? Il y a des ours polaires à proximité!, se demandait-elle à l’époque.

Une jeune chercheuse observe des bernaches.
Éliane Duchesne fait partie du comité équité, diversité et inclusion du Centre d’études nordiques. (Photo : Éliane Duchesne)

Une étude parue dans la revue PLOS Climate montre que le travail de terrain en milieu nordique continue de présenter des obstacles pour les femmes scientifiques parce que les conditions de travail sont toujours inadaptées à leurs réalités.

Les témoignages recueillis font état d’une majorité de femmes en science ayant vécu des expériences négatives quant aux dynamiques d’équipe et de pouvoir, sans oublier l’absence de vêtements appropriés à leur corps ou aux questions d’hygiène qui leur sont spécifiques sur le terrain, résume la cosignataire de l’étude Daniela Walch, doctorante en sciences de l’environnement à l’UQAR.

Dans le cadre de l’étude, 338 personnes ont été sondées, principalement des femmes de tout âge menant des travaux en région nordique en provenance de l’Angleterre, de l’Australie et du Canada.

Dynamiques d’équipe et gestion de l’hygiène

Certaines participantes interrogées ont déploré des difficultés psychologiques peu prises en charge, du sexisme dans la répartition des tâches ou du harcèlement sexuel.

L’utilisation d’un fusil pour éloigner les ours est enseignée lorsque de nouvelles personnes arrivent au camp de base, indique Éliane Duchesne.

On va systématiquement expliquer à la personne assignée femme comment le fusil fonctionne, mais présumer que la personne assignée homme sait tout à fait comment l’utiliser. Alors que parfois, c’est l’inverse. On se sent parfois infantilisée!

Dans les commentaires recueillis dans l’étude, certaines témoignent avoir ressenti le besoin de déployer des efforts supplémentaires pour se prouver à l’équipe, majoritairement masculine. Ici, il n’y a pas le droit à l’erreur, car les deuxièmes chances sont rares.

Daniela Walch note que les scientifiques sont appelés à travailler de longues heures, dans des régions isolées, hostiles et difficiles d’accès. Les équipes sur le terrain sont parfois composées de 4 à 70 personnes. Les missions se comptent parfois en jour, parfois en mois.

Cette réalité peut vite mener à des expériences négatives qui nuisent aux chercheuses. Elle peut aussi contribuer à creuser le fossé de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ces dernières représentent encore seulement 30 % de la communauté scientifique mondiale.

Les femmes doivent sentir que peu importe la taille du groupe, elles peuvent prendre la parole, parler franchement et contribuer au bon fonctionnement du travail sur le terrain, martèle Mme Walch. Avec l’urgence climatique, la communauté scientifique ne peut pas se permettre d’exclure les connaissances et d’accepter la sous-représentation des femmes en science du climat.

La chercheuse pose près du glacier.
La chercheuse allemande Daniela Walch, lors d’une sortie près du glacier Nordenskiöldbreen, dans la région du Svalbard en Norvège. (Photo : Janne Soreide)

Il faut que tout le monde puisse utiliser son plein potentiel.

L’Allemande était surprise en consultant les nombreuses expériences négatives vécues par ses consœurs en dépit des efforts pour promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion au sein de la communauté scientifique.

Or, rien n’a surpris Éliane Duchesne en lisant les résultats de l’article. « Ça représente certaines réalités que j’aie vécues lors de différentes expéditions depuis que j’ai commencé en 2016 », assure-t-elle.

Elle précise toutefois que depuis le début de sa carrière, la situation s’est améliorée grâce aux efforts de la communauté.

Beaucoup de travail a été fait pour améliorer les conditions de vie sur le camp, améliorer le confort de tout le monde, tant dans le confort physique que dans les équipes de recherche pour nommer ou changer les choses, souligne la professionnelle de recherche.

Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille, qui n’a pas non plus participé à l’étude, a constaté à plusieurs reprises des remarques sexistes ou capacitistes, en qualifiant tout de même de positives ses expériences sur le terrain.

Les deux chercheuses rapportent que la préparation de la nourriture pour le groupe ou le ménage dans le camp de base représentent souvent des tâches assignées aux femmes. « C’est un peu parfois une réplique de ce qu’on peut voir dans nos milieux intimes », dit Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille.

La chercheuse se prend en photo devant des montagnes.
Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille possède une maîtrise en gestion de la faune de l’Université du Québec à Rimouski. (Photo : Madeleine-Zoé Corbeil-Robitaille)

Des solutions à portée de main

L’étude propose diverses stratégies afin d’améliorer les conditions de travail des femmes une fois sur le terrain.

La préparation et la coordination de ce genre de mission sont essentielles pour que les chercheurs puissent les réaliser aux meilleures de leurs capacités, estime Mme Walch.

La scientifique suggère notamment à toutes les équipes de se préparer en amont, de bien déterminer les ressources vers qui se tourner en cas de conflit et d’effectuer un compte-rendu une fois la mission complétée. Un effort supplémentaire devrait être déployé pour instaurer un leadership positif, croit-elle.

Au total, 93 % des répondants au sondage ont exprimé leur désir de continuer leur travail en milieu nordique. La communauté n’a d’autre choix que de s’adapter.

Depuis quelques années, le Centre d’études nordiques de l’UQAR a mis en place un comité d’équité, de diversité et d’inclusion, qui suggère un code de conduite aux membres.

On ne tolère pas les commentaires ou les blagues sexistes, racistes, homophobes ou grossophobes. On respecte l’espace personnel de tous, résume Éliane Duchesne.

De son côté, Madeleine-Zoé Corbeil Robitaille fournit aux équipes un document attestant d’un large spectre d’expériences

« Le but ultime est d’avoir une communauté scientifique forte et diversifiée qui peut répondre aux questions qui découlent des changements rapides dans le contexte des changements climatiques », conclut Daniela Walch.

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