Un an depuis l’évacuation, Yellowknife loin d’avoir oublié

Le 16 août 2023, les autorités ordonnent aux résidents de Yellowknife d’évacuer la ville en raison de la menace d’un feu de forêt. Une année plus tard, les souvenirs sont encore vifs et, pour certains, ont laissé des marques.
Isabelle de Grandpré raconte les quelques jours qui ont précédé l’évacuation. Celle qui vit dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest depuis huit ans était dehors dans la cour, en train de prendre l’apéro avec ses beaux-parents en visite. Un gros nuage de fumée noire s’est dirigé vers la ville.
« Ça devenait vraiment intense, ça s’en venait vraiment angoissant », raconte celle qui était enceinte d’un quatrième enfant à l’époque.

La veille de l’ordre d’évacuation, toute la famille a décidé de quitter la ville.
Ce qui lui revient le plus en tête, en repensant à ce moment, n’est pas le sentiment de fébrilité ou de panique qui s’emparait peu à peu de la ville.
Elle revoit le chemin emprunté en voiture vers le sud du territoire, alors que pour la première fois, la famille pose les yeux sur la dévastation causée par les feux de forêt dans le secteur d’Enterprise.
Le hameau a presque entièrement été avalé par les flammes quelques jours plus tôt.
On voyait les flammes qui venaient de traverser l’autoroute, qui s’en allaient vers Hay River. Juste de voir ça, et je suis encore un peu émotive, je ne sais pas quelle corde ça a touchée, mais on pleurait tous dans l’auto. C’était vraiment intense.
Isabelle de Grandpré, résidente de Yellowknife
Une ville fantôme
Yvonne Careen était en vacances à Terre-Neuve dans les jours qui ont précédé l’évacuation. De retour à Yellowknife le 18 août, elle a, comme la plupart de ses concitoyens, préparé ses effets personnels et pris la route pour se réfugier en Saskatchewan.
C’est le matin du départ, le 19 août, qu’elle a pleinement pris conscience de la situation.
« J’étais seule sur mon balcon, et je regardais les avions passer avec leurs charges d’eau. Il n’y avait pas un chat dans la rue, il n’y avait personne, c’était comme une ville fantôme. C’est là que ça m’a frappée, [que j’ai réalisé que] c’est sérieux, l’affaire », se remémore-t-elle.
Edith Simard, elle, se rappelle les hélicoptères, les avions, la fumée et les flammes qui s’élèvent dans le ciel le long de la route, alors qu’elle et son mari quittent Yellowknife avec leurs trois enfants.
« Je n’ai pas eu peur pour nos vies, mais en même temps, ce sont des choses qu’on voit à la télé qu’on pense qui n’arrivent qu’aux autres et on ne s’imagine pas vivre ça », dit-elle.
Ce qu’ils en retiennent
Une année plus tard, avec le recul, Yvonne Careen reconnaît que cette expérience a sans doute été marquante pour plusieurs, mais elle hésite à dire qu’elle a été traumatisante.
La directrice de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest dit qu’en comparaison avec ce qu’ont vécu d’autres communautés des T.N.-O., comme Hay River, Yellowknife a eu de la chance.
Hay River a été évacuée trois fois entre mai 2022 et août 2023 en raison d’inondations et de feux de forêt.
Tout le feu actif qu’il y avait [sur la route] pour sortir de Hay River, vis-à-vis de l’expérience de ceux qui ont évacué Yellowknife, je dirais qu’il y a une différence marquée dans [ce qu’ont vécu] les gens.
Yvonne Careen, résidente de Yellowknife et directrice de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest

À Hay River, Mme Careen dit que certaines familles ont choisi de quitter la communauté entre autres à cause de ces traumatismes.
Isabelle de Grandpré croit, de son côté, que certaines choses, comme la fumée, peuvent toujours déclencher de l’anxiété chez les gens de Yellowknife.
« Se réunir autour d’un feu de camp, je pense que ça va prendre des années avant qu’on se sente bien à faire ça. On ne peut plus faire ça en sérénité », dit-elle.
Elle estime que ces catastrophes naturelles auront des conséquences à long terme pour beaucoup de gens. « C’est comme s’il n’y avait plus de sentiment de sécurité nulle part, parce que partout où on peut aller, avec ce qui se passe, ça peut arriver », dit-elle.
Pas que du négatif
Pendant que la majorité de la population était évacuée, Stéphanie Vaillancourt a choisi de rester, de relever ses manches et d’aider à construire les lignes pare-feu autour de la ville.
Elle raconte une ville soudée, des gens qui s’entraident durant ces moments difficiles et de la collaboration.
« Tout le monde s’est entraidé, se sont [soutenus]. On a accompli des choses qui auraient pris des années à accomplir. C’était vraiment incroyable tout ce qui s’est fait », explique celle qui dit avoir vécu une belle expérience malgré tout.
Il y avait une belle fraternité. […] On a tous des amis, de la famille qui étaient inquiets, alors on se retrouvait tous un peu là-dedans, dans nos inquiétudes. […] C’était des émotions fortes en même temps pour tout le monde.
Stéphanie Vaillancourt, résidente de Yellowknife
Yvonne Careen essaie aussi de voir les choses de façon positive.
« Les structures, les édifices, les matériaux peuvent se remplacer éventuellement. […] Si on peut en ressortir avec des états d’âme et d’esprit intacts […] et s’en sortir encore résilient, je pense qu’on a passé le test et puis qu’il n’y a que de meilleures choses qui s’en viennent. »