L’« Eurovision du Nord » réunit des artistes des quatre coins de l’Arctique

Des artistes originaires de neuf régions de l’Arctique se sont retrouvés à Nuuk, au Groenland, pour un rendez-vous musical inspiré du concours de l’Eurovision, mais taillé sur mesure à leurs réalités dans l’espoir de renforcer leur identité nordique.
Baptisé Pan-ArcticVision, le concours a réuni des artistes originaires de l’Alaska, du Nunavut, du Groenland, de l’Islande, des îles Féroé, de la région samie du nord de l’Europe et de la Russie.
Sous les projecteurs du Centre culturel Katuaq, le samedi 12 octobre, les artistes autochtones et allochtones ont présenté une composition musicale de leur cru qui met en lumière des aspects centraux de leur culture et, dans certains cas, laisse transparaître une dimension politique.

Diversité des styles
Oscillant entre modernité et tradition, des sonorités de rap et de black metal ont succédé à celles du joik et du katajjaq, des chants traditionnels respectivement sami et inuit.
Le duo Iva & Angu, formé des chanteuses de gorge Kathleen Ivaluarjuk Merritt et Charlotte Angugaattiaq Qamaniq, a été sélectionné lors d’une compétition au festival des arts Alianait d’Iqaluit, au mois de juillet, pour représenter le Nunavut.
Je me sens vraiment excitée et honorée d’être ici et de représenter les Inuit […] du Nunavut, a confié Kathleen Ivaluarjuk Merritt, fébrile, quelques heures avant de monter sur scène.
Le duo insuffle à ses katajjaq une touche contemporaine qui s’inspire de leur personnalité. Le chant de gorge traditionnel est très rapide et consiste en une véritable compétition, explique Charlotte Angugaattiaq Qamaniq.
À travers notre style contemporain, nos chants de gorge sont un peu plus fluides, car nous avons tendance à ralentir le rythme et à faire des chants un peu plus mélodieux.
Cohésion circumpolaire
La première édition de Pan-ArcticVision a eu lieu en août 2023 à Vadsø, dans le nord de la Norvège. Depuis, l’événement cherche surtout à briser les frontières entre les nations circumpolaires et ainsi « renforcer l’idée d’une identité pan-arctique », explique l’instigateur et directeur artistique du projet, Amund Sjølie Sveen.
L’une des particularités que nous partageons vraiment à travers l’Arctique est le fait que les décisions sont prises loin de nous […] dans les capitales, affirme Amund Sjølie Sveen.
En plus, dit-il, les nations circumpolaires sont souvent absentes des événements artistiques et sportifs d’envergure à l’international, ce qui justifiait la tenue d’un rassemblement leur étant spécialement destiné.
Le Pan-ArcticVision est un Eurovision pour le Nord, résume-t-il.
L’objectif principal est de construire des ponts au-delà des frontières […], d’apprendre à mieux connaître nos conditions de vie et nos similitudes respectives, et ainsi renforcer ces liens entre l’Est et l’Ouest, car nous pensons que nous avons de nombreux points communs.

Une rare représentation de l’Arctique russe
Un des moments forts cette année a été la participation de l’exilé russe Evgeny Goman, qui attendait toujours de recevoir son visa pour entrer au Groenland, à seulement quelques jours de l’événement. Originaire de Mourmansk, l’auteur-compositeur-interprète est établi à Kirkenes, dans le nord de la Norvège, depuis janvier 2022.
Je pense qu’il était important qu’un représentant de l’Arctique russe participe au Pan-ArcticVision, dit-il. Un représentant antiguerre qui se sert de son art pour dénoncer ce qu’il se passe dans le pays.
Il décrit sa chanson, intitulée Pravilo Dvuh Sten (La règle des deux murs en français), comme un pied de nez à la propagande russe, l’arme de guerre de Vladimir Poutine depuis le début de l’invasion en Ukraine.
Ses paroles font allusion à des euphémismes couramment utilisés dans le discours populaire, tels qu’un « coup » pour décrire une explosion ou une opération spéciale en référence à la guerre.
À mon sens, la propagande est comme une bombe. [Le gouvernement] lance des bombes de propagande dans l’esprit des Russes, affirme Evgeny Goman, auteur-compositeur-interprète russe en exil.
Grands gagnants
Des diffusions en direct ont donné la chance à des spectateurs d’assister au concert aux quatre coins de l’Arctique. À l’issue de la compétition, il incombait au public de voter virtuellement pour les trois morceaux ayant le plus retenu leur attention.
Le prix de la composition la plus révolutionnaire a été remis à Evgeny Goman, tandis que celle incarnant le plus grand sentiment de communauté et d’unité a été décernée à Emil Kárlsen, chanteur sami originaire de Čávkkus, dans le nord de la Norvège.
Iva & Angu ont quant à elles remporté le prix de la chanson la plus évocatrice de l’Arctique. Elles ont tenu à remercier leurs ancêtres et les femmes inuit qui perpétuent la tradition des katajjaq à travers les générations.
[Nos ancêtres] étaient sans aucun doute dans la salle avec nous et j’ai ressenti leur présence très profondément, a déclaré Charlotte Angugaattiaq Qamaniq, à la clôture de l’événement.
Le public a aussi voté pour la ville qui accueillera la troisième édition du concours en 2025. Il s’agira d’Iqaluit, au Nunavut, à la grande fierté du duo de chanteuses de gorge.
Pour Amund Sjølie Sveen, la force de l’événement surpasse toutefois les prix décernés . « Il s’agit de tisser des liens et de créer une communauté », dit-il.
Il estime que le rendez-vous musical témoigne d’un besoin flagrant d’échanges entre les régions de l’Arctique.
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