Qu’est-ce que le missile de croisière à propulsion nucléaire testé par Moscou?

Un texte de Fabien Zamora
Le missile de croisière à propulsion nucléaire testé par la Russie est une arme innovante, pensée pour contrer les efforts américains de défense antimissile, mais qui ne bouleverse pas les équilibres stratégiques actuels, selon les experts.
Comment ça marche?
Contrairement aux missiles classiques exclusivement propulsés par des carburants chimiques, le missile Bourevestnik (« oiseau de tempête » en russe) utilise un réacteur nucléaire.
L’air ambiant y est chauffé par le cœur du réacteur puis expulsé à grande vitesse pour générer la poussée. Cela permet d’allonger considérablement le temps de vol et la portée. C’est un peu comme si vous aviez un moteur de voiture qui consomme beaucoup moins de litres aux 100 km, explique à l’AFP Amaury Dufay, chercheur au centre IESD à Lyon et spécialiste de la propulsion nucléaire.
Résultat : le missile aurait parcouru 14 000 kilomètres en 15 heures, d’après la Russie.
Son objectif est de voler longtemps, très bas, entre 15 et 200 mètres, ce qui complique la détection. On peut imaginer le faire décoller de Russie, faire un détour par l’Amérique du Sud et attaquer l’Amérique du Nord par le Sud, par des côtés qui pourraient être moins défendus par les défenses antimissiles américaines, ajoute-t-il.
En revanche, il est relativement lent, à une vitesse subsonique, et « a priori sa capacité de manœuvre et d’évitement est limitée par sa lenteur », estime Héloïse Fayet, spécialiste du nucléaire au centre de réflexion français IFRI.
À quoi ça sert?
Cette arme, potentiellement capable d’emporter une charge nucléaire ou conventionnelle, tente de fournir une réponse au renforcement des systèmes de défense antimissile, en particulier celui des États-Unis et leur projet de Golden Dome.
Le Golden Dome américain et les projets de développement de défense antimissile en général sont parmi les principaux moteurs du projet, indique sur X l’analyste russe spécialiste des questions nucléaires Dmitry Stefanovich.
« Le missile a entièrement été conçu dans l’idée de contourner les défenses antimissiles », précise M. Dufay.
On peut très bien l’imaginer, avec sa capacité de manœuvre et sa portée illimitée, en train de harceler et d’affaiblir les défenses antimissiles, puis de repartir pour laisser la place à d’autres missiles classiques, dit à l’AFP Héloïse Fayet.
Qu’est-ce que ça change?
À l’heure actuelle, l’impact stratégique reste limité.
Le missile n’est pas opérationnel, il n’y a pour l’instant aucune infrastructure de déploiement dans les forces, pas de doctrine d’emploi, explique Mme Fayet. Il faut voir cela comme une tentative de Poutine de continuer d’épuiser Trump sur le nucléaire et sur la défense antimissile. C’est dans son intérêt de le persuader qu’il a absolument besoin d’un Golden Dome, mobilisant de nombreuses ressources.
Aujourd’hui, ni les États-Unis ni encore moins l’Europe n’ont de « bouclier antimissile permettant d’intercepter une attaque massive de missiles balistiques et de croisière », rappelle sur X Étienne Marcuz, chercheur à la FRS.
C’est donc une arme de déstabilisation qui pèse dans le domaine de la défense antimissile, qui montre que les Russes sont toujours capables d’innovation et qu’ils ne se préoccupent pas trop de sûreté, note Mme Fayet.
Quels risques radioactifs?
S’il touche une cible ou est intercepté, la contamination est inévitable.
Il semble en revanche que le test n’ait pas provoqué de contamination détectable.
Nous n’avons rien mesuré d’anormal sur nos stations au Finnamrk, région frontalière de la Russie dans l’Arctique, a déclaré Bredo Møller, responsable de l’Autorité norvégienne de radioprotection et de sûreté nucléaire, cité par une porte-parole dans une réponse à l’AFP. On ne devrait être sûr à 100 % qu’aux alentours de jeudi, mais (sur la base des relevés préliminaires) rien n’indique qu’il y aura un impact chiffré.
« De même, les stations du TICE [le traité d’interdiction des essais nucléaires, NDLR] n’ont rien détecté non plus. Donc, a priori, le missile en lui-même n’a pas de dimension radioactive », affirme Mme Fayet.
Pour autant, M. Dufay estime « inévitable qu’il y ait quand même quelques rejets ».
Par ailleurs, le missile lui-même est radioactif, une fois que le réacteur est lancé. Si vous vous en approchez trop, vous êtes irradié. Cela veut dire qu’il est difficile à employer, que vous n’allez pas beaucoup pouvoir le tester. Or, dans la dissuasion nucléaire, ce qui compte, c’est le signalement, la crédibilité qui passe par des tests.
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