Le Festival des arts Alianait, un tremplin pour les artistes émergents de l’Arctique canadien
La ville d’Iqaluit, au Nunavut, s’apprête à donner le coup d’envoi à la quinzième édition du Festival des arts Alianait, qui se targue d’être un levier pour la carrière des artistes émergents de la scène circumpolaire.
« Le Festival des arts Alianait permet à des artistes qui commencent leur carrière dans l’industrie de la musique d’être enfin reconnus », affirme au bout du fil Sam Tutanuak, un chanteur inuk de Rankin Inlet, dans le centre du Nunavut.
Joey Nowyuk, Corey Panika, Sam Tutanuak, Kinngait Band… Tous sont des artistes inuit venus des quatre coins du territoire pour faire connaître leurs compositions musicales devant les quelque 5000 visiteurs attendus entre le 28 juin et le 1er juillet.
Le Festival des arts Alianait est un lieu de rencontre entre des artistes issus de différents domaines artistiques, dont la danse, le théâtre, les arts visuels et le cirque. Cette année, les troupes de cirque Artcirq et Les 7 doigts de la main, en collaboration avec Taqqut Productions, présenteront le spectacle Unikkaaqtuat, une coproduction multidisciplinaire inspirée de mythes inuit.
L’événement culturel, qui a pour mandat de promouvoir les arts au Nunavut, réunit des artistes d’un peu partout au pays et d’ailleurs dans l’Arctique, dont le Groenland. Le chanteur groenlandais Nick Ørbæk et la formation musicale de rock alternatif Small Time Giants figurent notamment parmi la liste des artistes invités.
Une vitrine pour les artistes émergents du Nord
Le festival est avant tout l’occasion pour des artistes émergents de se faire connaître en dehors de leur collectivité. À terme, bon nombre d’entre eux espèrent percer sur la scène musicale nationale.
« Nous avons longtemps cru que, puisque nous vivions dans des communautés plus petites et isolées du Nord, nous avions moins le droit d’occuper une place sur la scène musicale nationale », affirme la chanteuse inuk Tiffany Ayalik et membre du groupe Quantum Tangle, qui sera au nombre des invités. La formation musicale s’est fait connaître en 2017, après avoir remporté le prix du meilleur album de musique autochtone aux prix Juno.
« Ma première expérience avec le festival a été extrêmement formatrice, puisque je jouais sur une scène pour la toute première fois », se souvient le jeune auteur-compositeur Joey Nowyuk, qui s’est fait connaître lors du Festival des arts Alianait de 2015. « Je commençais à peine ma carrière à l’époque », explique l’Inuk de 23 ans, qui joue de la guitare depuis l’âge de 14 ans.
Le chanteur originaire de Pangnirtung, une communauté d’environ 1500 habitants située dans l’est du Nunavut, a été sélectionné parmi les 122 artistes qui ont soumis leur candidature aux organisatrices du festival cette année.
Dans ses compositions, le jeune artiste revient sur l’histoire du territoire et de sa création en 1999, mais il aborde aussi « des côtés plus sombres du Nunavut, comme le nombre élevé de suicides et la pauvreté ».
Défis nordiques
L’événement offre une vitrine à des artistes qui n’ont pas la chance de jouer dans des salles de spectacle, explique la codirectrice du festival, Victoria Perron, en entrevue téléphonique avec Regard sur l’Arctique. Le manque d’infrastructures destinées aux performances artistiques, conjugué au coût élevé des déplacements entre les communautés, complexifie la tâche des artistes qui souhaitent amorcer leur carrière dans le nord du pays.
« Pour jouer, nous devons souvent nous réunir chez quelqu’un […] ce qui est assez contraignant », mentionne le chanteur inuk Sam Tutanuak, depuis Rankin Inlet, au Nunavut. « Lorsque j’ai été invité au festival de musique d’Arviat, j’ai dû payer près de 200 dollars [en frais supplémentaires de bagages] pour apporter mon djembé sur le vol… qui a duré 35 minutes », lance-t-il, mi-sourire, mi-soupir.
Mettre en valeur sa langue
En plus de faire connaître leurs créations musicales, certains artistes y voient l’occasion de jouer le rôle de modèle pour leur communauté ou pour la jeune génération.
« Comme l’inuktitut est en déclin au Nunavut, c’est important pour moi de le transmettre à la jeune génération », mentionne Joey Nowyuk, qui chante majoritairement dans ce dialecte inuit.
Même s’il partage le même avis, le chanteur Sam Tutanuak croit que l’usage de l’anglais donne un coup de pouce à des artistes qui souhaitent se faire connaître dans le sud du pays. « L’anglais est la langue prédominante au Canada […] donc elle touche un plus large public », explique le chanteur. Il ajoute qu’ironiquement, l’unique chanson en anglais qui figure dans son premier album est aussi celle qui a obtenu le plus de popularité dans le sud du Canada.
« Comme tout le monde ne comprend pas forcément l’inuktitut, mes chansons en inuktitut attirent moins l’audience du sud du pays », résume-t-il. Sam Tutanuak ajoute qu’aucun Inuk ne lui a encore reproché de privilégier l’anglais plutôt que l’inuktitut, mais il avoue trouver malheureux de devoir faire un choix pour se faire connaître à l’échelle nationale.
D’ici les prochains mois, le chanteur de Rankin Inlet espère prendre part à d’autres festivals de musique pour se faire connaître ailleurs dans l’Arctique canadien. Il cite le festival de musique Aqpik Jam, organisé du 12 au 15 août à Kuujjuaq, au Nunavik, la région inuit du Nord québécois. « J’en ai beaucoup entendu parler et j’aimerais beaucoup y être invité », espère-t-il.
Depuis la création du Festival des arts Alianait, en 2005, aucune édition n’a réuni autant de musiciens et de chanteurs autochtones, affirme Victoria Perron. « Cette année, nous sommes vraiment enthousiastes qu’autant d’artistes autochtones fassent partie de la sélection », se réjouit-elle.
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