Les Inuit du Nord québécois sont victimes de racisme systémique, conclut le rapport d’une enquête publique

Le président de la commission, Jacques Viens, a rendu public, lundi, le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, dans lequel figurent 142 « appels à l’action » qui touchent les Premières Nations et les Inuit de la province. (Jean-François Villeneuve/Radio-Canada)
La construction de nouveaux logements dans le Nord québécois, le soutien aux Inuit en situation d’itinérance en milieu urbain et l’amélioration de leurs conditions de détention sont au nombre des recommandations spécifiques aux Inuit qui ont été rendues publiques dans le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec.

Il est « minuit moins une sur la grande horloge des enjeux sociaux », avertit le juge retraité et président de la commission, Jacques Viens, dans son rapport de quelque 500 pages, rendu public lundi, à Val-d’Or.

Le document est le fruit d’environ deux ans d’audiences publiques lors desquelles 765 témoins ont été interrogés aux quatre coins du Québec.

Selon le commissaire, les Autochtones de la province, parmi lesquels figurent environ 14 000 Inuit, sont victimes de racisme systémique. Cet état des lieux, écrit-il, est le résultat d’un héritage colonialiste, d’une méconnaissance généralisée, d’une image publique tronquée et de l’absence d’une action gouvernementale représentative des besoins réels des Autochtones.

La quasi-totalité des 142 « appels à l’action », qui font office de recommandations, concerne aussi les Inuit du Nunavik, dans l’Arctique québécois. Elles touchent à la fois les services correctionnels, de justice, de police, de santé et de services sociaux ainsi que de protection de la jeunesse.

Pour envisager une réelle réconciliation avec les Premières Nations et les Inuit de la province, le commissaire estime qu’il faut « reconnaître les faux pas qui ont contribué à creuser l’écart de perceptions et de réalités qui caractérisent aujourd’hui les relations entre les prestataires de services publics et les peuples autochtones ».

Un meilleur accès à la justice

Le document souligne l’importance de donner davantage de responsabilités aux communautés inuit et aux organismes qui les représentent en matière de justice.

Durant les audiences publiques, plusieurs témoins ont décrié le nombre élevé de dossiers à traiter et la nature expéditive de la justice au Nunavik. La cour itinérante ne siège qu’une fois tous les trois mois dans certaines communautés, ce qui contribue à dissuader les victimes de déposer des plaintes, indique la commission.

Craignant notamment une perte d’expertise des juges, des procureurs des poursuites criminelles et pénales, et des avocats de l’aide juridique affectés à la région inuit, le commissaire Jacques Viens écarte l’idée de transférer les dossiers du Nunavik vers Montréal : « […] le peuple inuit a déjà suffisamment souffert des lacunes du système pour lui imposer un tel retour en arrière », affirme-t-il.

Le président de la commission demande donc au gouvernement provincial d’investir dans l’aménagement de lieux adéquats à l’exercice de la justice dans chacune des communautés où siège la cour itinérante, et ce, « dans les meilleurs délais possibles », écrit-il.

Des conditions de détention à revoir

Le rapport recommande par ailleurs l’usage de la visioconférence lors des enquêtes sur mise en liberté visant les détenus qui habitent au Nunavik, notamment pour diminuer la surreprésentation des Inuit en détention préventive.

« Une période de huit à dix jours peut en effet facilement s’écouler entre le moment où un individu est arrêté au Nunavik et celui où il comparait à Amos [dans le sud-ouest du Québec, NDLR]. Or, le délai maximum prévu au Code criminel est de trois jours. »

Extrait du rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
De nombreux Inuit du Nunavik sont gardés en détention à Amos, dans le sud-ouest du Québec, à plusieurs centaines de kilomètres de leur communauté. (Émilie Parent-Bouchard/Radio-Canada)

Les conditions précaires de détention sont un autre fléau incitant le commissaire à demander au gouvernement provincial de mettre en oeuvre une action rapidement. Pour ce faire, il lui suggère de donner suite aux recommandations formulées par le protecteur du citoyen dans son rapport spécial de 2016 sur les conditions de détention, l’administration de la justice et la prévention de la criminalité au Nunavik.

« Du confinement en cellule 24 heures sur 24 au fait d’avoir été menotté pendant plusieurs heures dans le corridor ou forcé de partager une cellule à plusieurs, la liste des problèmes rapportés par le protecteur du citoyen est imposante », écrit-il.

« De mon point de vue, aucune raison ne peut justifier le fait que les Nunavimmiut [les Inuit du Nunavik, NDLR] voient leurs droits les plus élémentaires bafoués. »

Extrait du rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
L’itinérance en milieu urbain, un fléau chez les Inuit

Selon le dernier recensement de Statistique Canada, Montréal arrive au troisième rang des villes du Canada où la population inuit est la plus élevée. Mais les Inuit en situation d’itinérance y sont aussi surreprésentés.

En février 2018, une étude du Réseau pour la stratégie de la communauté autochtone de Montréal, chapeautée par l’Université McGill, révélait qu’environ 10 % des 3000 personnes sans domicile fixe étaient des Autochtones, alors que ces derniers ne représentaient que 0,6 % de la population montréalaise. Parmi ces 10 %, environ 40 % étaient Inuit.

Selon le rapport, le nombre de personnes autochtones en situation d’itinérance ne cesse d’augmenter en milieu urbain. Les Inuit seraient particulièrement visés par le phénomène. (Radio-Canada)

Le coût élevé de la vie au Nunavik, la violence physique et sexuelle ainsi que la pénurie de logements sont plusieurs facteurs qui poussent certains Inuit à quitter leur communauté.

Pour remédier à cette situation restée inchangée depuis plusieurs années, le rapport recommande de « soutenir financièrement la création d’un centre d’hébergement exclusivement réservé à la clientèle itinérante inuit à Montréal », et ce, même si plusieurs organismes communautaires viennent déjà en aide aux Autochtones dans la métropole.

Mais le président de la commission rappelle que cette problématique est sous-jacente au manque de logements dans les 14 communautés inuit du Nunavik. En 2016, un peu plus de la moitié des 11 795 Inuit du Nunavik vivaient dans un logement surpeuplé, selon Statistique Canada.

« Le surpeuplement et la promiscuité qu’il engendre favorisent aussi la propagation de maladies contagieuses comme la grippe, l’hépatite A et la tuberculose. »

Extrait du rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec
Prendre conscience des torts causés

Le commissaire espère, somme toute, que ses « appels à l’action » ne resteront pas lettre morte. Il demande au gouvernement du Québec de formuler des excuses officielles aux communautés autochtones pour les torts qui lui ont été causés.

La commission s’est rendue à Kuujjuarapik et Kuujjuaq pour y entendre citoyens, experts, représentants des services publics et leaders inuit. Elle a aussi tenu des séances de présentation dans les douze autres communautés inuit du Nunavik.

La commission en quelques chiffres
  • 142 « appels à l’action »
  • 38 semaines d’audiences
  • 765 témoins entendus
  • 423 déclarations
  • 14 communautés inuit visitées
La publication de son rapport survient environ quatre mois après celle du rapport final de la commission d’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA).

En février 2018, Québec a prolongé de 10 mois le mandat de la commission, qui devait déposer son rapport final le 27 septembre, journée de la mobilisation pour le climat. Le dévoilement du rapport a par la suite été reporté au 30 septembre.

Correction
Une précédente version de ce texte indiquait que la commission avait recueilli des témoignages dans les quatorze communautés du Nunavik. La commission s’est rendue à Kuujjuarapik et Kuujjuaq pour y entendre citoyens, experts, représentants des services publics et leaders inuit. Mais dans les douze autres communautés de la région, elle y a tenu des séances de présentation destinées à la population. Cette version du texte a été modifiée.

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