Pourquoi les pays européens s’intéressent-ils de plus en plus à l’Arctique?

Cette photo prise le 21 juillet 2017 montre des glaciers qui émerges sous la coque du brise-glace MSV Nordica qui naviguait à travers le détroit de Victoria, dans l’Arctique canadien. (David Goldman/Associated Press)
En moins d’un mois, la France, l’Allemagne et l’Écosse se sont positionnées face à l’Arctique par le biais de documents publics. Comment analyser cette rapide succession de déclaration d’intentions de pays européens éloignés de la région?

Il s’agit d’une tendance lourde parmi les pays non arctiques dans les dernières années, explique le directeur de l’Observatoire de la politique et de la sécurité de l’Arctique (OPSA), Mathieu Landriault, qui précise que les pays européens ont succédé à la Chine et à la Corée du Sud qui, l’année précédente, avait publié son deuxième énoncé sur l’Arctique.

Cette prépondérance de l’Europe et de l’Asie correspond à l’ouverture de passages navigables dans les détroits formant le passage du Nord-Est.

« C’est là où la fonte des glaces est la plus effective, précise Mathieu Landriault. À terme, ce passage va connecter l’Europe de l’Ouest à l’Asie de l’Est, le Japon, la Corée du Sud et la Chine. Ça explique l’intérêt de ces pays. »

Le message et le discours

Dans la perspective de Mathieu Landriault, les documents émis par ces pays s’adressent prioritairement aux protagonistes de la région et servent à rendre explicites leur plan et leur intérêt pour l’Arctique.

Le cas de l’Écosse est particulier, motivé par le Brexit. « L’Écosse aurait aimé rester dans l’Union européenne, de dire M. Landriault, et possède un fort mouvement séparatiste; son document se lit un peu comme un message à Londres, mais aussi à l’Europe […] et aux pays scandinaves. »

Pour légitimer leurs prétentions arctiques au regard des pays du Nord, l’Écosse, l’Allemagne et autres, qui possèdent souvent le statut peu effectif d’observateur au Conseil de l’Arctique, se font discrets sur leurs intérêts pécuniaires et mettent l’accent sur leurs contributions à l’avancement des connaissances sur le Nord et leur volonté de s’impliquer dans la protection de l’environnement.

Un subterfuge?

« C’est la grande question, concède le directeur de l’OPSA; les pays européens semblent plus sincères quand on parle de protection environnementale. L’Allemagne, par exemple, appelle à davantage de zones marines protégées, ce qui recoupe le Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada. »

Ces préoccupations environnementales des pays européens peuvent heurter les populations du Nord, chez qui elles sont souvent vues comme un obstacle au développement économique.

Des objectifs réalisables

L’intérêt pour le Nord ne se limite pas à ceux qui font des déclarations officielles; quand on se rappelle que la Suisse et la Pologne ont le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, on comprend que la région est vue comme un nouvel Eldorado par nombre de gouvernements, avec des objectifs variables.

Il est loin d’être sûr qu’ils soient atteints, selon Mathieu Landriault.

La plateforme pétrolière West Hercules quitte Skipavika, en Norvège, le 1er avril 2018. Plusieurs pays ont l’oeil rivé sur les réserves de gaz et de pétrole non exploitées de la planète, dont celles de l’Arctique. (Gwladys Fouche/Reuters)

Plusieurs pays ont l’œil rivé sur les 30 % des réserves de gaz et 20 % de réserves de pétrole non exploités de la planète.

Cependant, une bonne partie des ressources fossiles convoitées se trouvent dans des zones économiques exclusives de pays arctiques. Certaines zones sont contestées auprès de la Commission des limites du plateau continental, rappelle le chercheur en sciences politiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Michael Delaunay, mais il faudra plusieurs années avant qu’elle ne statue sur les droits d’exploitation du sol et du sous-sol de ces zones.

Mathieu Landriault rappelle qu’on parle de ressources non découvertes, donc de formations sédimentaires analogues à d’autres recelant, ailleurs, du pétrole. C’est hautement spéculatif, assure le chercheur, ajoutant qu’à la fin, les chiffres atteints ne seront sûrement pas ceux annoncés.

D’autres pays entendent tirer profit de l’Arctique par le biais de leur flotte marchande ou de leurs infrastructures portuaires. C’est le cas de l’Écosse, mais aussi de Singapour et de la Corée du Sud, de l’État américain du Maine également.

« Plusieurs États se positionnent pour jouer un rôle important, résume Mathieu Landriault. Certains vont réussir, d’autres non. […] Les projections futuristes sont toujours très difficiles à établir hors de tout doute raisonnable, et dans ce cas-ci encore plus. Le dégel a des conséquences économiques et sociopolitiques incertaines. »

L’OPSA est associé à l’École nationale d’administration publique et au Centre interuniversitaire de recherches sur les relations internationales du Québec et du Canada.

Le livre de Mathieu Landriault, Couverture médiatique sur les enjeux arctiques au Canada, paraîtra bientôt, en anglais, chez Taylor & Francis.

Denis Lord, L'Aquilon

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