Prison à perpétuité pour l’homme responsable du meurtre d’un Inuk du Nunavik, dans l’Arctique québécois
KUUJJUAQ, Québec – Un homme de 34 ans a plaidé coupable mercredi pour le meurtre au deuxième degré de l’adolescent inuk Robert Adams, survenu au Nunavik en 2018.
Mercredi, Mattiusie Qamugaaluk a aussi été condamné à la prison à perpétuité après que le juge de la Cour supérieure du Québec, François Huot, eut accepté une soumission conjointe de la Couronne et de la défense qui obligera Qamugaaluk à purger 10 ans de prison avant d’être admissible à la libération conditionnelle.
La sentence a été prononcée au palais de justice de Kuujjuaq, une communauté d’environ 2700 habitants qui est aussi la capitale administrative du Nunavik, la région inuit du Nord québécois. Pour cette affaire, le juge Huot s’est déplacé depuis la ville de Québec, à quelque 1200 kilomètres dans le sud de la province.
Robert Adams, 19 ans, a été tué le 19 mars 2018 à Kangiqsujuaq, au Nunavik.
Le soir du drame, Adams buvait de l’alcool et fumait du cannabis avec son frère Mark et deux amis, Andy Nappaaluk et Samwillie Koneak, au domicile de Mattiusie Qamugaaluk, qui était sorti pour assister à une partie de hockey.
Lorsque ce dernier est rentré, aux alentours de 23 heures, les quatre hommes ont quitté les lieux, lançant au passage quelques boules de neige sur la fenêtre de leur ami. Mais le geste ne lui a pas plu; Mattiusie Qamugaaluk s’est précipité dehors, un couteau à la main, et a poignardé Robert Adams à trois reprises.
L’adolescent a succombé à ses blessures peu de temps après.
« Nous avons attendu deux ans ce moment »
Douze membres de la famille de Robert Adams se sont déplacés depuis Kangiqsujuaq, une communauté de 750 personnes située à 435 kilomètres de Kuujjuaq, pour assister à l’audience.
Dans sa déclaration, la famille a indiqué qu’elle ressentait toujours les contrecoups du meurtre de Robert Adams.
Le père de l’adolescent, Bernie Adams, a été pris de vives émotions lorsqu’il s’est adressé directement à Mattiusie Qamugaaluk.
« Ses frères, sœurs, neveux, amis et proches ainsi que sa mère et moi devons maintenant marcher jusqu’au cimetière local et nous asseoir sur le sol parfois enneigé pour parler à notre ami, notre frère, notre fils », a confié Bernie Adams, qui faisait face au coupable.
« C’est à son corps, qui repose dans un cercueil de bois, que nous devons désormais nous adresser, en pensant à tout ce que Robert Adams aurait pu accomplir et devenir si tu ne l’avais pas tué », a-t-il ajouté.
Mattiusie Qamugaaluk a refusé de regarder les membres de la famille Adams durant l’audience de mercredi, un geste que le frère de Robert, Nigel, a largement décrié lors de sa déclaration sur la victime.
« Nous avons attendu deux ans ce moment », a lancé Nigel Adams, retenant ses larmes, pendant que l’accusé fixait le sol. « Et maintenant, vous ne pouvez même pas nous regarder. »
Plus tard dans l’après-midi, Mattiusie Qamugaaluk s’est adressé au tribunal en sanglotant. « Je suis extrêmement désolé, c’est ce que j’ai à vous dire », a-t-il affirmé au juge Huot, laissant tomber sa tête entre ses mains.
Des problèmes de santé mentale et le contexte social au Nunavik ne constituent pas un « feu vert » à un tel crime, affirme le juge
Dans leur soumission conjointe, la procureure de la Couronne Marie-Josée Barry-Gosselin et l’avocat de la défense Jacques Stuart, ont affirmé avoir pris en considération la collaboration de l’accusé lors de l’enquête, ses problèmes de santé mentale et le contexte social du Nunavik.
(Les problèmes sociaux qui ont cours au Nunavik sont intimement liés au passé colonialiste du Canada dans le Nord, marqué par les réinstallations forcées, les pensionnats autochtones, le massacre de chiens de traîneau et l’effritement de la culture.)
Certains facteurs ont pesé en faveur de la victime, notamment son jeune âge, ainsi que les antécédents criminels de l’accusé.
Au cours des 10 dernières années, Mattiusie Qamugaaluk a fait face à plusieurs condamnations à Montréal et dans plusieurs communautés du Nunavik pour vol, vandalisme, entrée dans un domicile par effraction, harcèlement criminel, agressions sur des civils et des policiers, agressions sexuelles sur des femmes et sur une personne mineure, non-respect des ordonnances de probation et non-respect de se conformer à une ordonnance du tribunal concernant la prise de médicaments.
Le juge François Huot a accepté la soumission conjointe de la Couronne et de la défense après avoir considéré que les remords de Mattiusie Qamugaaluk étaient sincères.
Il a toutefois sévèrement indiqué à l’accusé que sa toxicomanie persistante et son refus répété d’aide durant de nombreuses années pour faire face à son trouble de la personnalité antisociale et à d’autres problèmes de santé mentale n’étaient ni un « laissez-passer » ni « un feu vert pour poser tous les gestes qu’[il] voulait ».
Le juge Huot a également remis en doute certains des facteurs évoqués par les avocats pour atténuer sa peine.
« Je ne pense pas que vous puissiez faire valoir, comme l’ont suggéré les avocats, que le fait que vous viviez dans le Nord où les ressources sont limitées soit une excuse, a-t-il mentionné. Je comprends très bien cette situation et je me sens impuissant pour y remédier, mais la famille Adams vit exactement dans les mêmes conditions que vous et pourtant, ils n’ont tué personne. »
« Vous êtes responsable de ce qui est arrivé à Robert Adams. »
Selon le juge Huot, sa peine de 10 ans d’emprisonnement avant toute possibilité de libération conditionnelle est « loin d’être sévère ». Il a par ailleurs ajouté que la Commission des libérations conditionnelles du Canada devra juger si l’accusé représente un danger pour la société et que sa libération conditionnelle sera tributaire de sa capacité à régler ses problèmes personnels et de criminalité.
« Si vous décidez de ne pas affronter ces problèmes, vous ne retrouverez plus jamais votre liberté », a poursuivi le juge.
« Ce sera à vous de choisir. »
Consultez la première partie du reportage Arctique – Au-delà de la tragédie.
La suite de l’enquête sera publiée d’ici à la fin de l’année.
Traduit de l’anglais par Matisse Harvey