COVID-19 dans l’Arctique canadien : le Nunavut, l’exception avant l’explosion?

Apex est une communauté rattachée à Iqaluit, la capitale du Nunavut. (Marc Godbout/Radio-Canada)

L’un des derniers territoires du monde à échapper à la pandémie se trouve au Canada. De tous les territoires et les provinces, le Nunavut est le seul à n’avoir rapporté aucun cas d’infection à la COVID-19. Mais si la situation devait changer, ce territoire pourrait être frappé beaucoup plus durement qu’ailleurs. Explications.


Quand Joe Savikataaq prend la parole en inuktitut, 25 communautés attendent nerveusement ses premiers mots.

Il suit le rythme de nombreux autres premiers ministres au pays : tous les jours à la même heure, en direct d’Iqaluit, il fait le point sur la situation au Nunavut. Mais il est un des rares à pouvoir encore offrir un portrait encourageant.

« Je suis heureux de pouvoir répéter qu’aucun cas de COVID-19 n’a encore été confirmé au Nunavut et je suis très heureux de le dire », a-t-il encore pu annoncer hier.

« Les gens me demandent sans cesse pourquoi le Nunavut est le dernier territoire à ne pas avoir de cas confirmé. Je ne sais pas trop quoi leur répondre. »

Joe Savikataaq et son gouvernement savent, par contre, qu’un seul cas suffirait à allumer la mèche.

Hôtels, quarantaine et gardiens de sécurité
Un gardien de sécurité est posté à l’extérieur des chambres d’un hôtel de Winnipeg où sont logés des résidents du Nunavut. (Source : Inconnu)

Le Nunavut n’est accessible au reste du Canada que par voie aérienne. Depuis la semaine dernière, le gouvernement territorial mise sur une stratégie très rigide.

Ses propres résidents qui se trouvent à l’extérieur du territoire sont interdits de séjour. Avant d’y remettre les pieds, ils doivent s’isoler dans des hôtels situés dans quatre villes : Ottawa, Winnipeg, Edmonton et Yellowknife.

Des agents de sécurité montent la garde pour s’assurer qu’ils restent dans leur chambre et respectent la quarantaine. Après 14 jours, les résidents asymptomatiques obtiendront la permission de rentrer dans leur localité sous haute surveillance et par vol nolisé.

Un avion de la compagnie Canadian North est immobilisé à l’aéroport d’Iqaluit. (Marc Godbout/Radio-Canada)

Très peu d’exceptions sont accordées. Cette exigence vaut autant pour ceux et celles qui s’étaient déplacés pour des raisons de santé que pour les étudiants qui se trouvent dans le sud du pays.

Le médecin-hygiéniste en chef du territoire, Michael Patterson, a demandé à la population de se préparer et d’agir comme s’il s’agissait d’un « piqsiq », c’est-à-dire un blizzard.

« Ce sera un très long blizzard, mais c’est le moyen de nous protéger contre la propagation de la maladie », insiste-t-il.

Une affiche produite par l’Inuit Tapiriit Kanatami indique aux Inuits, en inuktitut et en inuinnaqtun, de respecter la distance de deux mètres. (ITK)

Environ 39 000 personnes vivent au Nunavut et 85 % de ses résidents sont des Inuit. Un seul cas de la COVID-19 pourrait être dévastateur et avoir des conséquences qui vont au-delà de ce qui se passe dans les zones urbaines densément peuplées du sud.

« La COVID-19 a le potentiel d’avoir un impact beaucoup plus important sur le Nunavut que sur d’autres juridictions. »Michael Patterson, médecin-hygiéniste en chef du Nunavut

La population du Nunavut est l’une des plus vulnérables au pays. L’auto-isolement, une des mesures clés contre la propagation du virus, se bute à une difficile réalité. Les communautés sont confrontées à des pénuries de logements. Il n’est pas rare de voir une dizaine de personnes partager une même demeure.

Des lits dans un centre d’accueil pour sans-abri à Iqaluit. (Marc Godbout/Radio-Canada)

Autre grande préoccupation, le Nunavut est reconnu pour avoir un taux de maladies respiratoires beaucoup plus élevé que dans le reste du Canada. Asthme, tuberculose, bronchiolite, emphysème et pneumonie sont chose courante.

Sept respirateurs

Il n’existe qu’un hôpital et deux centres de soins pour l’ensemble des 25 communautés. « Nous n’avons pas de soins intensifs au Nunavut », a confirmé par écrit le ministère de la Santé du territoire.

De plus, le Nunavut ne dispose que de sept ventilateurs pour tout le territoire qui s’étend sur deux millions de kilomètres carrés.

Le ministère de la Santé explique qu’habituellement, « les patients sont mis sous ventilateur à Rankin Inlet et à Iqaluit, puis transportés vers le sud. Une fois le transport terminé, les ventilateurs sont renvoyés au Nunavut pour utilisation ».

Le gouvernement territorial cherche à en obtenir davantage par l’intermédiaire du programme national d’approvisionnement du gouvernement du Canada et du Système de la réserve nationale d’urgence.

L’Hôpital général Qikiqtani, dans la capitale du Nunavut, Iqaluit. (Claudiane Samson/Radio-Canada)

« Il suffit de quelques cas pour que ça se propage comme une traînée de poudre », dit, inquiète, la députée fédérale Mumilaaq Qaqqaq.

De plus, explique-t-elle, plusieurs communautés sont déjà aux prises avec une pénurie d’infirmières, « ce qui force parfois des cliniques à fermer dans certaines communautés. Qu’arrivera-t-il si le virus se propage dans ces villages? »

Elle craint que le Nunavut « paie le prix et soit à risque » en raison du sous-financement d’Ottawa au fil des ans dans certains programmes comme celui du logement social.

Pour mieux affronter la pandémie, Ottawa a annoncé la semaine dernière 305 millions de dollars pour aider les Premières nations, les Métis et les Inuits. De cette somme, 22,5 millions de dollars ont été réservés au Nunavut. « Le financement sera versé aussi rapidement que possible par l’entremise d’accords existants » , indique le gouvernement fédéral.

Mumilaaq Qaqqaq interpelle le gouvernement fédéral pour qu’il livre cette aide dans les plus brefs délais. « L’histoire nous a malheureusement souvent habitués au contraire. » 

En attendant, c’est tout un territoire qui retient son souffle, jusqu’au prochain point de presse du premier ministre Joe Savikataaq.

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